[Lecture] La rafle du Vél’d’Hiv, Maurice Rajsfus

Loin d’être la seule, la rafle du Vél’ d’Hiv reste la plus importante et la plus emblématique des opérations antijuives menées par la police française, « corps de fonctionnaires ayant perdu ses repères », pendant l’occupation nazie. Maurice Rajsfus, fin connaisseur des archives de cette période, analyse tous les aspects de cet évènement, dans l’espoir « d’alerter les citoyens d’un pays libre sur les dérives des pouvoirs forts ».

Il rappelle tout d’abord rapidement la tradition xénophobe française, le premier statut des Juifs de France, dès 1937, par Louis Darquier, dit de Pellepoix, les décrets-lois Daladier, l’année suivante, qui permirent l’assignation à résidence des étrangers en situation irrégulière, puis l’internement dans des camps de concentration des « débris des armées républicaines espagnoles », celui des ressortissants allemands résidant en France, à partir d’octobre 1939, essentiellement des antifascistes et des Juifs, qui seront d’ailleurs livrés au nazis l’année suivante.

«  Bien avant que l’Allemagne nazie, qui occupe les trois cinquièmes de la France, ne dicte sa loi au gouvernement de la zone dite libre, Pétain et ses ministres se préoccupent déjà de réprimer les étrangers, “cause des malheurs“ du pays et, plus directement, les Juifs. » À partir de juillet 1940, différentes lois écartent les juifs de certaines professions, médicales, judiciaires, puis commerciales et industrielles un peu plus tard.
Le 3 octobre le premier statut des juifs de France est édicté, «  selon des critères plus drastiques que ceux des nazis ».
Le 14 mai 1941, 6000 juifs étrangers de Paris sont convoqués au commissariat de leur quartier et les 3800 qui vont se présenter sont envoyés et internés dans deux camps du Loiret. Maurice Rajsfus illustre ces événements avec des extraits de circulaires officielles et des articles de presse, notamment d’extrême-droite.
Puis le 20 août, une rafle limitée au 11e arrondissement, est décidée par les Autorités allemandes, pour tester « la bonne volonté des cadres comme de la base policière ».
L’organisation des services de renseignements (en particulier la constitution du fichier juif à la préfecture de police, sous la responsabilité de l’inspecteur André Tulard), de police et de gendarmerie, est présentée, ainsi que leur synergie avec les services allemands. À la fin du mois d’avril 1942, avec le retour de Pierre Laval à la tête du gouvernement de Vichy, René Bousquet accède an poste de secrétaire général de la police.

La préparation de la rafle du Vél’ d’Hiv proprement dite, est ensuite exposée en détail. Ainsi, une note adressée le 6 juillet par le SS Dannecker à Adolf Eichmann, suite à sa rencontre avec René Bousquet, révèle que «  le président Laval a proposé que, lors de l’évacuation des familles juives de zone non occupée les enfants de moins de seize ans soient emmenés eux aussi  ». Le compte rendu du conseil des ministres du 10 juillet confirme que «  dans un souci d’humanité, le chef du gouvernement a obtenu – contrairement aux premières propositions allemandes – que les enfants, y compris ceux de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents  ».

Maurice Rajsfus évoque également des « fuites » venant « de trop rares fonctionnaires de police  » permettant à un certain nombre de familles de se cacher. De son côté, l’Union générale des Israélites de France (UGIF) et d’autres institutions, informées de la date approximative de la rafle, n’ont aucune volonté de prévenir. Au contraire, l’organisation Solidarité, des communistes juifs immigrés, diffusent un trac très bien informé, avertissant de la « rafle monstre » qui n’épargnera ni les femmes ni les enfants. Par ailleurs, des rumeurs et des fausses nouvelles sont aussi propagées presque quotidiennement.

Il décrit ensuite avec la plus grande précision le déroulement des opérations, depuis le décompte des effectifs de fonctionnaires mobilisés, des interpellations heure par heure, des tentatives de suicide, des accouchements, etc. De très nombreux témoignages sont aussi rapportés. Puis les conditions abominables de détention au Vélodrome d’Hiver sont longuement détaillées : eau coupée, odeur pestilentielle, mares de déjections, fausses couches, cas de folies, tentatives de suicides, la trentaine de morts dont plusieurs enfants. Quelques évasions réussissent. Les rapports des évacuations vers les camps de Drancy, Phitiviers et Beaune-la-Rolande sont également commentés. Des consignes strictes ont été données aux journaux car la presse passe sous silence ces évènements dans les premiers jours. Des allusions dans les publications les plus antisémites n’apparaissent qu’une semaine plus tard et se précisent fin août seulement. La presse clandestine reste laconique sur le sujet.
L’Église catholique, en la personne d’un cardinal, se fend d’une discrète lettre de « protestation en faveur des droits imprescriptibles de la personne humaine », adressée au Maréchal Pétain. Seuls, l’archevêque de Toulouse et l’évêque de Montauban interviennent publiquement, en des termes plus vigoureux. La Semaine religieuse, publication du diocèse d’Évreux, explique la nécessité des mesures de répression raciale en citant l’exemple du pape Paul IV qui, au XVIe siècle, avait pris des mesures contre les Juifs. La réaction des protestants est plus nette bien que tardive.

S’en tenant strictement aux faits, Maurice Rajsfus livre une histoire de la rafle du Vél’ d’Hiv, mettant en lumière le rôle d’une police française majoritairement docile et servile.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

LA RAFLE DU VÉL’D’HIV
Maurice Rajsfus
154 pages – 10,90 euros
Éditions du Détour – Bordeaux – Juin 2021
editionsdudetour.com/index.php/les-livres/la-rafle-du-vel-dhiv/

Voir aussi, d’autres fiches de lecture du même auteur : https://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2021/05/la-police-de-vichy.html

À lire également...