Le 8 février 1971, au cours d’une conférence de presse à la chapelle Saint-Bernard (Paris, 15e), le philosophe Michel Foucault annonce la création du Groupe d’information sur les prisons (GIP) qui se donne pour mission d’informer sur la vie quotidienne dans les prisons.
Il lit le texte suivant :
Le Manifeste du GIP
"Nul de nous n’est sûr d’échapper à la prison. Aujourd’hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours, le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes ; le délit d’opinion est réapparu : les mesures antidrogues multiplient l’arbitraire. Nous sommes sous le signe de la « garde à vue ». On nous dit que la justice est débordée. Nous le voyons bien. Mais si c’était la police qui l’avait débordée ? On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ?
Peu d’informations se publient sur les prisons ; c’est l’une des régions cachées de notre système social, l’une des cases noires de notre vie. Nous avons le droit de savoir, nous voulons savoir. C’est pourquoi, avec des magistrats, des avocats, des journalistes, des médecins, des psychologues, nous avons formé un Groupe d’information sur les prisons.
Nous nous proposons de faire savoir ce qu’est la prison : qui y va, comment et pourquoi on y va, ce qui s’y passe, ce qu’est la vie des prisonniers et celle, également, du personnel de surveillance, ce que sont les bâtiments, la nourriture, l’hygiène, comment fonctionnent le règlement intérieur, le contrôle médical, les ateliers ; comment on en sort et ce que c’est, dans notre société, d’être l’un de ceux qui en sont sortis.
Ces renseignements, ce n’est pas dans les rapports officiels que nous les trouverons. Nous les demandons à ceux qui, à un titre quelconque, ont une expérience de la prison ou un rapport avec elle. Nous les prions de prendre contact avec nous et de nous communiquer ce qu’ils savent. Un questionnaire a été rédigé qu’on peut nous demander. Dès qu’ils seront assez nombreux, les résultats en seront publiés. Ce n’est pas à nous de suggérer une réforme. Nous voulons seulement faire connaître la réalité. Et la faire connaître immédiatement, presque au jour le jour ; car le temps presse. Il s’agit d’alerter l’opinion et de la tenir en alerte. Nous essaierons d’utiliser tous les moyens d’information : quotidiens, hebdomadaires, mensuels. Nous faisons donc appel à toutes les tribunes possibles.
Enfin, il est bon de savoir ce qui nous menace ; mais il est bon aussi de savoir comment se défendre. L’une de nos premières tâches sera de publier un petit Manuel du parfait arrêté, doublé évidemment d’un Avis aux arrêteurs. Tous ceux qui veulent informer, être informés ou participer au travail peuvent écrire au G.I.P.".
Cette déclaration sera signée par Jean-Marie Domenach, de la revue Esprit, Michel Foucault, le philosophe et Pierre Vidal-Naquet, l’historien. Le GIP est avant tout un collectif anonyme qui fonctionne de manière horizontale, pas seulement un groupe d’intellectuels.
Le mois suivant, un article annonce la première enquête « Intolérance » du GIP qui en l’espace de ses 18 mois d’existence aide à faire connaître la situation des prisonniers par ses enquêtes-intolérance. Des questionnaires sont distribués à la sortie des prisons de Paris et de province (et amenés discrètement par la famille au parloir) pour connaître la situation des prisons et recueillir la parole des prisonniers. Le résultat de ces enquêtes sera publié sous la forme de fascicule.
Les enquêtes-intolérance
Qu’est-ce qui est intolérable pour le GIP et qui devrait l’être pour tous ?
« Sont intolérables : les tribunaux, les flics, les hôpitaux, les asiles, l’école, le service militaire, la presse, la télé, l’État et d’abord les prisons. » « Le but du GIP n’est pas réformiste, nous ne rêvons pas d’une prison idéale : nous souhaitons que les prisonniers puissent dire ce qui est intolérable dans le système de la répression pénale. ».
« Intolérable » est le titre choisi pour les quatre publications du GIP :
- « enquête dans vingt prisons »
- « le GIP enquête dans une prison modèle : Fleury-Mérogis »
- « l’assassinat de George Jackson »
- « suicides de prison ».
En décembre 1972, le GIP décida son auto-dissolution, mais son modèle fut repris : le Groupe d’information-asile (GIA), le Groupe d’information-santé (GIS) ou encore le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI).
Le GIP laisse la place à une autre organisation créée par d’anciens détenus : le C.A.P (Comité d’Action des Prisonniers). Lancé en novembre 1971, le CAP continuera de publier jusqu’en 1982 informations sur les prisons et lettres de prisonniers dans le Journal des prisonniers.