On entend souvent un petit refrain sur internet, dans les médias, dans des conférences et dans le militantisme, celui de l’action individuelle comme moyen de lutte.
Pour palier les problèmes créés par le capitalisme, il faudrait construire nous même un système plus juste, plus équitable, au sein même de la société capitaliste. Il ne faudrait pas détruire mais construire, il ne faudrait pas lutter contre la société telle qu’elle est mais prendre des initiatives pour la rendre meilleure avec l’idée sous-jacente que si nous agissions tous, à notre échelle, pour rendre le système capitaliste plus humain, nous finirions par vivre dans une société harmonieuse libérée de ce qui est considéré aujourd’hui seulement comme des « conséquences négatives » du capitalisme.
Bref, le capitalisme ne serait pas le problème fondamental, seuls ses « excès » constitueraient un réel problème qui serait largement réglable en conservant le mode de production capitaliste, à savoir celui où des personnes détiennent les moyens de production, le capital, et où d’autres vendent leur force de travail au profit des détenteurs de ce capital.
Ainsi, la start-up éthique est à la mode, et aux critiques portant sur l’état du Monde la réponse « t’as qu’à consommer éthique ou monter ta start-up et essayer d’apporter des solutions à ça » est devenue un classique.
Si ces idées semblent souvent partir de bons sentiments, elles servent en réalité les intérêts d’une classe sociale au détriment d’une autre pour plusieurs raisons.
La négation de la lutte des classes
Premièrement, l’idée de la start-up éthique ou de la consommation personnelle comme moyen de lutte contre les dérives du capitalisme se fonde sur l’idée selon laquelle les intérêts des différentes classes sociales de la société iraient dans le même sens.
Parfois les promoteurs de la start-up éthique vont jusqu’à nier l’existence de classes sociales ou à simplement analyser celles-ci en fonction du niveau de vie et non en fonction du rapport à la production, c’est-à-dire du rôle dans la société. Cette idée s’oppose donc au concept de lutte des classes, à l’origine même de tous les mouvements de lutte contre le capitalisme.
Puisque les intérêts des différentes classes sociales vont dans le même sens, la lutte des classes est dépassée.
Puisque la grande précarité de vie de ce qui composait le prolétariat au 19e siècle n’est plus d’actualité, l’antagonisme entre prolétariat et bourgeoisie a disparu.
Puisque, grâce au libéralisme, chacun peut créer son entreprise et devenir riche, le fait de ne pas en créer une constitue une acceptation de la pauvreté.
Cette analyse, souvent enveloppée d’humanisme, est au mieux naïve, au pire un outil de manipulation.
Derrière l’idée, jolie à première vue, que « nous sommes tous des humains, donc ne nous opposons pas les uns aux autres » on retrouve souvent la négation des mécanismes de domination intrinsèques au capitalisme.
De même, cette position est très souvent une posture morale, consistant finalement à dire que le problème ne réside pas dans les schémas de production de valeur mais dans certains individus qui abuseraient de leur position.
Ainsi, le problème ne serait pas l’inégalité découlant de la possession ou non d’un capital mais le caractère « gentil » ou « méchant » d’un patron ou d’un salarié, tous deux mis sur le même plan.
On retrouve une analyse comparable au sein des mouvements d’extrême droite pour lesquels le problème du capitalisme n’est pas l’existence d’une classe sociale dominante et d’une classe sociale dominée mais bien l’antagonisme entre les petites entreprises locales et les multinationales étrangères ou encore l’antagonisme entre le peuple et l’oligarchie.
La posture morale prenant en compte en premier lieu le caractère prétendument gentil ou méchant de tel ou tel individu ou groupe social déterminé ne repose donc sur aucune base scientifique, sur aucune analyse précise, elle fait appel à l’affect, au ressenti personnel et non aux faits et aux réalités matérielles.
L’absence de portée collective
Deuxièmement, l’idée de la start-up éthique ou de la consommation éthique comme moyen de lutte contre les dérives du capitalisme est une idée individualiste se fondant sur une analyse individuelle, croyant qu’en changeant tous collectivement nos modes de production et de consommation on changera le Monde. Cette vision individualiste du Monde et de la lutte s’oppose totalement au projet communiste qui est un projet collectif.
Il y a ainsi un certain nombre de personnes qui basent leur militantisme sur tout un tas d’actions individuelles comme le fait de boycotter les supermarchés, d’aller acheter leurs légumes à l’AMAP ou encore de vivre dans une maison écologique.
Bien sûr, ce mode de vie est bien moins destructeur que celui de la majorité de la population, mais il est trop souvent accompagné de l’idée selon laquelle si tout le Monde faisait la même chose le Monde irait mieux. Ainsi, la faute est remise sur les autres, c’est eux qui font que le Monde est tel qu’il est, le problème ce ne sont pas les tyrans, les dominants et les rapports de production, mais bien toutes les personnes qui pour une raison X ou Y refusent d’adopter un mode de vie plus sain.
Avoir un mode de vie respectueux de l’humain et de la nature n’est pas un problème en soi, loin de là, et les personnes ayant ce mode de vie auront d’ailleurs certainement beaucoup à apprendre aux révolutionnaires le jour où il faudra construire un autre système après le capitalisme.
Cependant baser son action militante sur le fait de ne pas détruire personnellement l’environnement et de ne pas exploiter personnellement les autres humains est une impasse, surtout quand cela s’accompagne de l’envie d’inciter les autres à en faire de même.
Cette individualisation de l’action détourne nombre d’individus de considérations et d’actions pourtant primordiales au développement d’un mouvement révolutionnaire capable de renverser le capitalisme.
Les personnes de bonne volonté et ayant envie de réellement lutter contre le système capitaliste ne doivent pas s’enfermer dans un individualisme qui ne mène nulle part à part à espérer que le Monde entier en fasse de même, ce qui n’arrivera pas.
Aujourd’hui, l’activisme individuel offre une solution satisfaisante sur le plan personnel aux personnes faisant ce choix car ce mode d’action donne l’impression de prendre part activement à l’amélioration du Monde, mais dans les faits la focalisation croissante sur la capacité individuelle à agir et non sur le développement d’un mouvement collectif révolutionnaire représente un grand danger pour le mouvement révolutionnaire et une grande opportunité pour le capitalisme qui en sort renforcé.
Aussi, certains mouvements de Boycott, lorsqu’ils prennent de l’ampleur, deviennent une réelle action collective et sont accompagnés d’autres moyens d’action complémentaire, peuvent avoir un réel impact, c’est le cas du mouvement BDS par exemple.
La croyance naïve en un capitalisme à visage humain
Troisièmement, la promotion de l’action individuelle comme mode d’action militant et la croyance en sa capacité à changer réellement les choses découle d’une mauvaise connaissance de ce qu’est le capitalisme.
En effet, la focalisation sur les « dérives » du capitalisme et non sur ses fondements mêmes laisse penser que le capitalisme n’est pas en lui-même un mode d’organisation économique injuste et à combattre mais que le problème serait en réalité ses dérives.
La classe bourgeoise n’est pas une classe uniforme et il n’est pas possible de distinguer de réelle volonté qui se dégagerait de la bourgeoise dans son ensemble. En revanche, il y a au sein de la bourgeoisie un certain antagonisme entre la petite et la grande bourgeoisie.
En effet, si au sein de la petite bourgeoisie, un certain nombre d’individus ont la volonté de créer des start-up éthiques pour arriver à ce qu’ils considèrent être un capitalisme éthique, au sein de la grande bourgeoisie, ce n’est pas le cas et le contrôle très important qu’a cette classe sur la production lui permet de ne pas se laisser concurrencer par des initiatives venant de la petite bourgeoisie.
Le capital accumulé par la haute bourgeoisie lui permet d’investir massivement dans certains secteurs afin de créer des monopoles. La capacité pour la haute bourgeoisie de perdre de l’argent à court terme et de produire à moindre coût, capacités que n’a pas forcément la petite bourgeoisie, lui permet de se maintenir en situation de monopole dans de nombreux secteurs et d’écraser la concurrence lorsque celle-ci se présente.
Ainsi, la volonté, souvent sincère, de créer des start-up éthiques de la part de membres de la petite bourgeoisie s’avère presque toujours être impossible sur le long terme tant le capital accumulé par la haute bourgeoisie donne à celle-ci un pouvoir important. De même, lorsque ces start-up éthiques grossissent et se retrouvent en situation de concurrence avec d’autres grandes entreprises, elles n’ont pas d’autre choix que d’abandonner leurs principes initiaux si elles souhaitent continuer à exister et à se développer.
Pour toutes ces raisons, l’individualisme militant est une impasse inefficace, il ne vise pas à détruire le capitalisme, mais à l’améliorer et ce en pensant naïvement que les tenants du pouvoir économique veulent faire de même.
L’analyse des rapports de production doit primer sur l’analyse individuelle des rapports interpersonnels car le fondement même du mouvement révolutionnaire est la volonté de changer radicalement les rapports de production, qui influencent grandement les rapports interpersonnels.
Certes, le communisme a largement été diabolisé depuis sa théorisation par Marx et Engels au XIXe siècle, mais si le capitalisme est en train de montrer partout à travers le Monde qu’il n’est un système viable que pour la bourgeoisie, il est grand temps de remettre les idées communistes au goût du jour et de comprendre que la collaboration de classe n’existe pas, que l’intérêt de la classe qui produit tout ne va pas dans le même sens que celui de la classe qui capte la valeur égoïstement en raison de sa domination économique, politique et policière.
Il est temps de comprendre qu’il n’y a pas de capitalisme à visage humain et que la mise en commun des moyens de production couplée à une gestion démocratique et collective de la production est la seule alternative crédible au système capitaliste.