Je suis allée manifester le 14 juin et plein d’autres fois avant. Je suis allée manifester comme d’habitude, sans pression, sans violence mais avec conviction. Je me place toujours en tête de cortège. Je suis loin de la description donnée par les médias des "méchants casseurs qui terrorisent les enfants". J’ai un CDI dans l’associatif, je suis bien payée, je n’ai pas vraiment de patron, une vraie liberté d’action, un bon salaire et je suis une maman. La plupart du temps, je traîne à Paris, avec ma famille, avec mes amis, dehors dans un parc, dedans dans un bar, on s’occupe. Je suis la voisine sympa, la meuf qui aide les touristes à s’orienter, la meuf que tu ne relèves pas tellement je fais partie de la banalité de ta ville. Je ne vote que rarement, surtout quand le chantage au FN me fait flipper, je m’achète une conscience avec mon bulletin de vote.
Je vais manifester, parce que je suis consciente que je suis une privilégiée, blanche, avec un capital social et culturel en partie hérité mais que nombre de mes voisins, connaissances, amis ou famille ne possède pas. Et chaque jour qui passe, je suis témoin de la domination (consciente ou non) de ce système sur chacun d’entre nous. Manifester est un moyen d’expression fort et le plus légitime pour moi. J’aime l’ambiance kermesse CGT mais va-t-on vraiment changer les choses en chantant la cucarracha ? J’ai décidé de rejoindre le cortège de tête car je ne me reconnais dans aucun syndicat ou parti politique. En ce sens, je suis autonome et je le comprends comme autonome de toute organisation syndicale ou partisane et je ne souhaite pas leur donner de la légitimité pour porter ma voix.
Le cortège de tête m’a fait comprendre une chose - tu es capable de te révolter, de porter ta voix, tu as une dignité et une place avec nous. J’ai entendu la préfecture dire que le cortège de tête était présent pour casser. Grosse erreur - le cortège de tête manifeste, certain.e.s cassent, certain.e.s défilent, certain.e.s chantent, certain.e.s boivent et certain.e.s sont plus déterminé.e.s. Il est plus facile de nous coller des étiquettes : bon/mauvais, casseur/pacifiste, devant/derrière mais la seule chose que j’ai compris, c’est qui que tu sois, tu te fais gazer, nasser, frapper de la même façon.
A ma première manif’ à Paris, j’étais venue les mains dans les poches, grave erreur, j’ai pris cher à la première grenade lacrymo et heureusement que ces « odieux casseurs tueurs d’enfants à Necker » m’ont filé du sérum phy, aspergée de Maalox et filé un masque. Merci les gens, j’ai pu finir le parcours.
Je ne reviendrai pas sur les multiples violences policières, l’état d’urgence permanent et les violations des droits humains, quotidiennes en France, certains le font bien mieux que moi.
Simplement, le cortège de tête est fort de toute ses individualités mais surtout de la solidarité qui y règne, nous ne sommes pas un bloc, on fait bloc. Chacun est légitime à participer à ce mouvement de la façon dont il l’entend. Le cortège de tête/autonome/casseur/émeutier est avant tout politique. Je crois bien que cela arrange tout le monde de passer sous silence ce fait essentiel. Personne ne casse pour casser, personne ne manifeste pour faire chier les gens, ce sont des actes politiques qui sont réfléchis et revendiqués comme tels. Le nier ou le réduire à la violence, c’est vider nos actions de leur substance et c’est contre cela que nous devons nous battre.
Pas évident de faire passer le message, mais on se revoit à la prochaine manif’ et même avant j’espère.