La COP est terminée, comment continuer ?

Ce texte propose quelques réflexions à partir de la COP et de son dernier jour, samedi 12.

L’État d’urgence, et ce que cela disait de la situation tant mondiale que française, aura en quelque sorte redoublé ce que la COP peut signifier. Nos dirigeants prennent en charge les problèmes, mais ils veulent le faire tant que cela se fait sans nous. Face au terrorisme, il faut défendre la France, la République, nos valeurs, les terrasses et l’occident, et la police est là pour ça. Nous pouvons les aider en suivant leurs consignes, en déballant nos sacs, en épiant nos voisins louches ou les colis suspects, en fermant toutes frontières, en reprenant pour nous la quête suspicieuse qu’ils imposent partout. Face à la catastrophe écologique, il faut défendre les moyens des puissants, le gouvernement mondial, l’ONU, la coopération mondiale, la mondialisation technologique, et la conversion d’EDF, les panneaux solaires dans les déserts, les i-phone, l’internet 4G sur toute la planète, les drones qui surveillent, les OGM, les militaires et les barrières, et surtout la nature comme problème à gérer dans ses détails les plus infimes, etc. Dans les deux cas, il faut défendre la croissance, le progrès, la technologie, la raison de nos chefs et les raisons qu’ils nous vendent.

On se retrouve piégés à les regarder jouer les gardiens protecteurs, de la société comme de la nature, à l’échelle du monde.

Soyons précis toutefois. Nos gardiens mondiaux n’excluent jamais complètement que ceux qu’ils protègent se montrent. Ils tiennent à leur présence, mais exigent toutefois de décider comment et quand. L’état d’urgence a rendu ambigu la chose, mais il reste sûr que la COP n’excluait pas à priori toute apparition de la société civile, mais précisément tant que celle-ci se montrait comme « société civile », et rien d’autre. En démocratie, l’opinion est bienvenue, la manif l’est autant tant qu’elle reste manifestation d’une opinion qui à la rigueur peut s’afficher sur des pancartes mais ne doit conduire à aucun geste, à aucune action. Il n’était par exemple pas de bon ton de perturber telle ou telle exposition du capitalisme vert, ou il aurait été mal venu, de leur point de vue, qu’un des chantiers des DATA-CENTER prévus dans le 93 se voit bloqué ou perturbé. De plus, s’il paraissait normal que la société civile s’inquiète du climat, il était bien plus réprimé que des migrants ou des galériens posent un peu trop expressément le problème de leurs conditions d’existence ici et maintenant (peu importe le lieu de « l’ici »).

Le mouvement alter-mondialiste, très présent lors des grands sommets comme la COP et qui aujourd’hui, sous une nouvelle forme, se concentre beaucoup autour des enjeux climatiques (avec Naomi Klein en figure intellectuelle de proue), a toujours était traversé de cette ambiguïté de la présence du peuple. Chaque grand manif de contre-sommet est l’occasion d’une apparition du peuple mécontent, d’un peuple qui veut décider, qui sait pouvoir décider, et qui sait aussi qu’il y a de tout autre possibles que ceux qui sont discutés à huis clos au bourget ou ailleurs. Cette pression là, de la simple apparition, serait suffisante en soi. Le gouvernement finirait par céder en voyant qu’un peuple mécontent ensuite. Les conflits viennent inévitablement, quand il s’agit d’imaginer d’autres modes d’actions.

Pour le 12 décembre, le gouvernement faisait pression pour que rien n’ait lieu mais la coalition climat, 350.org et beaucoup d’autres ont finalement réussi à imposer un rassemblement autorisé à midi près de l’arc de triomphe. C’était l’occasion de dérouler une longue ligne rouge, censée à la fois démontrer notre force collective et le fait que nous regardions ce que faisaient nos dirigeants au Bourget, si oui ou non ils allaient passer la ligne rouge de la crise climatique… De fait, sur le moment, il y avait une belle joie, une impression de force diffuse, malgré l’entourage policier, et l’absence de mouvement. C’est peut-être ce début de joie qui a poussé ensuite le rassemblement a partir en manif (non autorisé au préalable, à priori), via l’avenue Malakoff jusqu’à la Tour Eiffel, ce qui fut quasiment la seule occasion de manif de toute la COP… Et il fut fort agréable de joyeusement marcher dans ces rues du Paris riche, à si nombreux.

La seconde partie de la journée, samedi 12, était beaucoup moins joyeuse. L’autre aile du mouvement, représenté par Alternatiba, avait refusé de participer au rassemblement de la ligne rouge, trouvant la chose trop « eco-terroriste » ou presque. Cela n’avait pas manqué de faillir faire exploser l’unité des organisations (350.org, attac, coalition climat, Climate Justice Action,…), toutes les autres ne partageant pas la position d’Alternatiba, qui a pour autant du poids du fait de disposer de beaucoup de bénévoles (ils ont organisé cette année de très nombreux rassemblements festifs, tels qu’à montreuil le 4 et 5 décembre. Ils ont acquis ainsi une bonne capacité de mobilisation)… Essentiellement, leur problème venait de ne pouvoir être sûr de pouvoir gérer ce qui allait se passer et qui allait être là. Alternatiba, en ce sens, veulent bien du peuple mais pas n’importe lequel. Il le préfère discipliné. D’emblée, de sous la tour eiffel, il fallait faire tout un détour pour atteindre le champ de mars où était prévu le rassemblement.

Des barrières de police quadrillaient tout l’espace pour qu’on ne puisse entrer qu’en un seul endroit, choisi par la police, afin qu’ils puissent procéder à une fouille systématique de tous les sacs. Une fois passé, une ribambelle de gilets jaunes fluo (taggés action non-violent cop21) était là pour guider la foule et mettre en place une chaine humaine de mains autour du champ de mars..

La manif en a perdu pas mal de sa joie

… Surtout, un tel contrôle de qui est là semblait absurde.
On avait l’impression d’arriver dans l’espace d’un festival, sauf que pour une fois c’était gratuit.

Certains démocrates oublient trop souvent que la démocratie est inconditionnelle et non conditionnée à une bonne présentation, ou à tel ou tel caractère, de sorte qu’ils imposent (ici aidés de la police et de l’excuse du terrorisme) des barrières, des critères, des filtres, bref une certaine vision hygiéniste du mouvement. Quand il n’y a pas de frontières, ils les construisent eux-mêmes. Ce qui est en jeu pour eux, ce sont les conditions d’apparition du peuple, il peut être là mais sous certains conditions, « non-violent » et « à visage découvert ». Le terme désigne ici une décision morale, on ne sait pas très bien ce qu’il implique concrètement. Nul dans la manif de la ligne rouge ne songeait à frapper son voisin.. On connaît peu en général de manif appelée comme « manif violente » qui supposerait une multiplicité d’actions irréfléchies, non.

Évidemment, ce qu’ils ne veulent pas, c’est tant perdre la main sur la situation que plus largement perdre toute gestion de l’apparition. Si des éléments indésirables viennent sur les lieux avec d’autres volontés ou d’autres modalités d’actions que les leurs, de sorte que leur message ne passent pas exactement comme ils l’entendaient, tout est perdu. Leur démocratie est bien sélective, elle veut faire une chose et rien d’autre. Elle fait, au passage, de la violence une volonté permanente chez certains ou certaines, comme si il y avait des violents et des non-violents, en dehors de tout objectifs, de toutes nécessités stratégiques (par exemple, briser une ligne de CRS qui maintient enfermé une manif) ou de toutes les situations qui parfois suppose d’agir violemment (à la manière d’un paysan ou d’un occupant qui en tel ou tel lieu refuse le passage d’un bulldozer ou d’un camion de police), etc. On ne sait guère non plus ce qu’ils penseraient du blocage d’un chantier d’extraction pétrolière par exemple… `

Dans l’après-midi, il y aura des prises de parole, des discours, pas de discussions mais une forme d’auto-congratulation sur le mouvement populaire en train de se construire. Nous en serions à ce qui commence, le peuple là qui doit être pris en compte et agir. Tout les propos n’y seront pas absurdes, loin de là, ils seront toutefois maintenus dans l’espace quadrillé par la police.

La dernière manif du jour à 17H à Belleville a rassemblé finalement pas mal de personnes. Elle avait toutefois à l’image de beaucoup d’autres moments pendant la COP, une allure de rencontre manquée. Pas plus à ce moment là que d’autres, les forces en présence pendant toute la COP ne se sont beaucoup composées. L’appel à la manif n’a pas rejoint beaucoup de toutes celles et ceux venues suivre toute la COP, qui le plus souvent se réunissaient dans d’autres espaces que celui de l’assemblée anti-cop à Paris par exemple. Une grande AG n’aurait pas solutionné cette distance, et cet écart n’avait rien d’étanche ni d’absolu. Il y avait du monde, mais pour autant, et quand bien même ce n’est peut-être qu’une opinion ratée, il y a des rencontres qui semblent ne pas avoir eu lieu et avoir cantonné certains énoncés ou moments à une certaine extériorité (peut-être en partie nécessaire et justifiée) par rapport aux autres événements de la COP… Tout comme pendant beaucoup d’autres contre sommets sans doute, une part du mouvement a fait ses actions et ses rencontres, et la part plus radicale les siennes.

Plus largement donc, la journée fit place à quelques divisions qui ne manqueront pas de ressurgir et qu’il faudra travailler à l’avenir pour ne pas (du moins dans certains cas plutôt que d’autres) courir trop vite à la rupture ou la défaite. Il en va d’une question centrale, toute politique révolutionnaire effective ne peut que garder ouvert la question du comment, et la multiplication des moyens d’action. Et une telle chose se pose en pratique, en acte.

La COP et tout son processus fait de l’écologie une question morale, une obligation de principe à laquelle face à l’étendue de la catastrophe 195 dirigeants ont accepté hier de se plier. Pour nous, ce n’est pas une donnée de plus, ou un nouveau domaine qu’il faut gérer, ce sont des manières de vivre et d’habiter qui sont en jeu, ce sont tout nos modes d’existence qui doivent être bouleversées, transformées.

Il n’est jamais question d’une nouvelle forme de croissance, d’un autre progrès, mais au contraire d’imposer une coupure entre le développement du capitalisme et ce que nous devons faire aussi bien que comment ici et maintenant nous voulons vivre

. Il n’est pas seulement question de montrer à nos dirigeants qu’il y a un peuple, qu’il y a des manifestants, qu’il y a des voix qu’ils n’entendent pas et une sagesse qu’ils doivent écouter. Ce peuple là, son existence est une évidence, une vérité, il y a des centaines de forces, de lieux, de gens, capables et en mesure (avec un peu d’air et moins de police) d’exister librement et de prendre en main ce monde.

De l’existence de quelque chose comme des peuples ou du populaire, en quelque sorte, nous n’avons jamais douté, quand bien même eux nous prétendent que ce n’est là que chimères ou fantômes absurdes. Il ne s’agit que de gagner en confiance, en pouvoirs, en puissance d’agir et d’occuper tous les lieux que nous souhaitons. La démocratie n’est pas cette affaire d’angoissés qui multiplie les barrières, les contrôles et les gilets jaunes, mais tout l’inverse. C’est affaire de profusion, de multiplications d’initiatives et d’actions, de prises de paroles et d’interventions. C’est affaire de surgissement, d’apparitions tant impromptues que préparées, mais dont les termes et les façons ne sont pas déterminées ou déterminables à l’avance. Il n’y a rien à organiser, mais tout à aider, tout à favoriser, tout à faire pour que se multiplient nos forces sans qu’aucunes puissances en surplomb n’en organise ni les venues, ni les formes, ni les temporalités. La démocratie suppose, exige, une grande confiance, et c’est de cela que l’anti-terrorisme et l’écologie tant moraliste qu’abstraite de nos dirigeants veulent nous déposséder.

(Collectif étendu)

Note

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