Valeurs actuelles
Petite mise au point sur les valeurs et les institutions républicaines qui fondent notre vie politique en France et dont beaucoup pleurent la perte. Ceci n’est pas une lecture de la révolution française mais un point de vue sur le moment où la République assoit son pouvoir avec l’avènement de la IIIe République. La devise liberté égalité fraternité inscrite sur la devanture des bâtiments publics ne représente en aucun cas le socle concret sur lequel repose l’édifice gouvernemental français, ou alors il faut se demander pour qui s’applique-t-elle ? Les appels à la soumission que nous lance le pouvoir en place deviennent de plus en plus pesants, notamment au vu du comportement moutonnier de la plupart d’entre vous qui vous émouvez sur commande.
La République française se construit sur le mythe fondateur de la Nation, elle serait l’émanation de la souveraineté du peuple français sur son territoire. En cela elle s’est bâtie au cours du XIXe siècle en opposition à deux altérités bien distinctes, l’une extérieure représentée par les peuples colonisés, les barbares, les sauvages qu’elle a exploités, pillés, violés en prétendant les civiliser ; l’autre à travers la figure de l’ennemi allemand qu’il faut combattre. Ceci lui permet de dresser des frontières raciales, culturelles et géographiques.
Une de ses valeurs cardinales, de ses principes de légitimité, c’est l’universalisme des droits de l’homme blanc. Exit les femmes et les non-blancs. C’est ce qui légitime sa mission civilisationnelle, en réalité envahir des territoires et opprimer des peuples, bref pratiquer la barbarie sous le couvert de l’universalisme et de la raison ; ce qu’elle continue allègrement à faire aujourd’hui et ce qui nous assure le maintien de notre standard de vie fondé sur la spoliation permanente d’autres peuples. La République française est bâtie sur des fondations colonialiste, raciste et sexiste qui ont marqué son histoire au fer rouge et continuent à dicter sa conduite et son rapport à l’étranger, à l’immigré. Car elle est née dans la guerre. Guerre coloniale en Afrique, guerre européenne face à l’Empire allemand, et surtout guerre intérieure avec la Commune de Paris. La République bourgeoise marque sa victoire finale du sang de son propre peuple en massacrant des dizaines de milliers de communards en 1871 pendant la semaine sanglante. C’est sa génèse. Elle se veut une et indivisible, totale et définitive. C’est là son essence.
Elle n’a plus besoin de Dieu pour légitimer sa domination au plan symbolique, le contrat social et sa concrétisation dans l’État de droit lui suffisent. Elle inscrit son pouvoir dans l’éternel sans possibilité de rompre ce contrat imposé à chaque citoyen avant sa naissance. Leur soumission consentie est réactualisée régulièrement dans l’acte rituel du vote, symbole de l’égalité dans la citoyenneté. Elle n’a pas besoin non plus du pouvoir de l’Eglise au contraire de la royauté. Elle acte cette victoire sur le divin en 1905 sur les plans matériel et organisationnel et elle l’appelle laïcité.
Elle exige avec plus ou moins de succès le monopole de la violence physique légitime. Elle seule a le droit d’utiliser la force car elle représente l’intérêt général. Elle a gardé ce droit divin à définir la ligne de partage entre bien et mal car elle doit, après s’être imposée par la guerre puis par la politique, asseoir sa domination au plan spirituel pour éviter qu’on lui fasse la guerre. Le fait même de lutter contre elle est mal.
Pour asseoir sa souveraineté de manière uniforme sur la totalité du territoire, elle a besoin d’imposer un cadre de pensée unique, et donc un langage unique : c’est le français de Paris. Elle envoie ses prêtres à elle, les instituteurs, pour préserver continuellement le processus d’institutionnalisation de sa domination par la formation de ses sujets. Son Eglise à elle, c’est l’Education nationale, son vocabulaire est guerrier, ses ordres de mission : inculquer la discipline, les valeurs et les symboles de la République. A chaque religion ses rites républicains : hymne, drapeau, devise, langue française et non langue régionale, patois ou arabe, afin d’assurer l’endoctrinement des bons citoyens et le dressage des braves soldats. C’est la principale leçon tirée par la bourgeoisie parisienne mais aussi française et mondiale de la Commune de Paris en 1871, « civiliser les mœurs du peuple »… pour qu’il soit docile. Malheureusement aujourd’hui la foi républicaine n’est pas partagée par tout le monde et il faut réactiver l’imposition des rites républicains, le respect de la loi, rétablir l’autorité…
Chaque citoyen qui agit dans le cadre et le respect de la République reçoit en échange la garantie du respect de certains droits fondamentaux comme la liberté d’expression. Evidemment s’il ose questionner le cadre républicain quand on lui ordonne de se taire, il est poursuivi et privé de ces droits, ce qui signifie le fichage, comme pour les écoliers n’ayant pas respecté la minute de silence dénoncés à leur direction, la répression, la prison voire la mort, n’oublions par Bouna, Zyed, Amine, Wissam, Rémy et les autres trop nombreux chaque année... On restaure alors la discipline auprès des soldats égarés à qui on redemande d’adhérer au contrat social. Cette adhésion peut être traduite de différentes manières depuis quelques semaines : « Je suis Charlie », « je condamne le terrorisme », « je suis musulman et je me désolidarise des islamistes », « j’ai fauté en ne respectant pas la minute de silence nationale, je m’en excuse et je promets que je ne recommencerai plus à l’avenir », je reviens ainsi dans le bon camp. En tant de guerre on est sommé de prendre position. Si on n’est pas dans les clous du deuil républicain, on devient suspect, ennemi potentiel de la République. Attention dans ce cas à ne pas trop cumuler, si vous êtes jeune, habitant en cité, arabe ou noir et musulman, il se pourrait que vous alliez directement en prison, c’est plus ou moins votre case départ à vous.
Inversement, d’autres droits fondamentaux comme le droit de réunion, de manifestation ou de résistance à l’oppression peuvent être facilement bafoués. Ces droits ne font en réalité pas partie des valeurs républicaines parce qu’ils en menacent l’ordre et l’existence même, parce que le peuple n’a besoin ni de l’ordre ni de l’aval d’un gouvernement sensé lui être soumis. La réponse de celui-ci aux rassemblements en soutien aux populations de Palestine à nouveau massacrées par l’État d’Israël au printemps dernier : interdiction. Rémi Fraisse, jeune homme de 21 ans tué par l’armée de son propre pays pour avoir seulement tenté de dire stop à un projet d’aménagement grotesque, n’a pas eu le droit au même hommage ni aux mêmes condoléances que les journalistes de Charlie Hebdo ou de feu monsieur Christophe de Margerie. Ce dernier, mort dans un banal accident d’avion, était président de l’entreprise française Total, mastodonte du pétrole et pilleur parmi les pilleurs de ce monde. A l’annonce de sa mort, tous les pontes républicains, à droite comme à gauche, se sont empressés de louer les immenses qualités de ce grand humaniste.
On voit envers qui s’exprime la fraternité inscrite dans la devise de la République, les riches, les puissants, ceux qui oppriment, exploitent et volent leurs con-citoyens mais surtout les peuples des pays pauvres. Pour Rémi Fraisse, un cas d’homicide et non pas un accident, il aura fallu attendre plusieurs jours avant que le gouvernement ne daigne assumer que ce sont ses propres ordres et ses propres effectifs militaires qui l’avaient tué. Là, l’État n’a pas commandé au peuple de s’émouvoir et Cécile Duflot, pour des raisons politicardes peut-être, s’est fait rire au nez quand elle a exigé une minute de silence à l’Assemblée nationale pour cette mort si particulière, inédite depuis 28 ans, la mort d’un jeune manifestant tué par les forces de l’ordre. Les rares membres de notre pays qui ont crié à la lutte contre la répression policière et l’oppression d’un gouvernement de plus en plus autoritaire ont été arrêtés, certains gravement blessés pour avoir seulement voulu commémorer la mort d’un jeune de leur pays. Quant aux jeunes ou moins jeunes tués par la police dans les quartiers, silence radio sur les ondes médiatiques, bouches cousues des politiques et mises en examen assorties d’amende pour les familles qui osent réclamer justice…
Alors que sont les valeurs républicaines en réalité ? Qui sont les barbares, les perpétuateurs d’atrocités meurtrières à grande échelle ? Où est l’unité nationale criée dans la plupart des médias et revendiquée par la plupart des politiques dans ce pays ? Pour quoi et pour qui vous êtes-vous réellement levés le dimanche 11 janvier 2015 dans cette mascarade républicaine, en ligne derrière certains des plus grands tyrans de ce monde ? Combien de temps faudra-t-il attendre avant que vous ne vous leviez à nouveau et en quel nom ?
Gertrude Navarro