Nous ne pouvons que constater ceci : la société capitaliste moderne se présente comme un immense amas de larbins et de flics dédiés à la cause de la marchandise et de sa sécurisation.
Quelques réflexions ont pu émerger de ce régime de vie apocalyptique sous lequel nous vivons depuis deux ans, et qui est une déclinaison particulièrement meurtrière de la nocivité capitaliste. Les points de vue de l’ennui, de la détérioration ultime de l’existence sociale et subjective, de la perte de sens totale et abrupte mais surtout le sacrifice de vies humaines perpétués comme des offrandes faites au cadavre "travail" s’articulent autour d’une nouvelle pensée critique, révolutionnaire et encore partiellement indicible de la dépossession et de la mort comme régime social actuel du capitalisme. Autant lister quelques certitudes et faire l’état des lieux de nos imaginaires, de nos capacités à imaginer de nouveaux modes de vie émancipés de l’abstraction marchande.
1) L’inconstance des motifs de la domination sur nos vies s’avère négligeable par rapport à la constance de notre intérêt (aujourd’hui vital) à braver l’autorité de l’État et du travail. La domination de l’État et celle des cadres économiques, qui fournissent au premier un contexte de super-existence inédit, s’imposent depuis le début de cette pandémie par le maintien du travail et par une démarche de replanification permanente de la vie sociale vers ce but : leurs désintérêts conjugués pour l’existence sociale non subordonnée au travail se sont enfin déployés en mépris pour l’existence biologique elle-même. Force est de constater que le spectre de la "remise au travail", cultivé après les premiers confinements radicaux, dans des sociétés archi-industrialisées qui sont les témoins de sa disparition, du chômage de masse et de la pénurie de sa valeur effective, se présente bien comme le fétiche même de ce « monde d’avant » dont le culte est bien antérieur à la pandémie et tout aussi fictionnel que celui fantasmé par tous les types de pensées réactionnaires.
2) L’incapacité visible des États capitalistes à proposer autre chose qu’une domestication informe, individualisée et insensée (couvre-feux à 18h pour maintenir le travail, maintien des écoles ouvertes, le tout saupoudré de flicage des moments de convivialité entre amis où les mesures barrières étaient beaucoup plus faciles à faire respecter) pour œuvrer à la conservation du semblant de vie qu’il nous restait a finalement achevé de réduire cette dernière à sa disponibilité. Les politiques actuelles technophiles, tablant tout sur la vaccination au péril d’une gestion responsable et en temps réel du risque sanitaire, ont quant à elles acté que la vie n’était envisageable socialement que du point de vue de sa validité, catégorie également dérivée de l’idéologie du travail. Ce mépris pour l’existence non-subordonnée au travail s’exprime dans un désir tenace et ancien de reconversion de la société en usine généralisée où la dissociation (et non la distanciation) sociale a pris racine dans de nouvelles dispositions de contrôle social, notamment des couvre-feux à répétition à des horaires variables et absurdes qui ont fini de réduire la vie sociale à la vie active, de finaliser la banalisation du contrôle policier des espaces publics et d’exclure dans les limbes de l’ennui les marginalisés de l’emploi. Ces dispositions étatiques, très dangereuses car objectivement et facilement ressenties comme pesantes et déprimantes, se sont aventurées sur le terrain extrêmement aventureux de la quotidienneté où le panel infini des modes de résistance à l’autorité a pu rencontrer, un temps, l’inventivité et le maintien des tactiques de lutte [1] contre la pandémie et contre tous les pouvoirs qui l’entretiennent...
3) L’État ne se soucie pas de votre santé : c’est la quantité de vie et de bien-être relatif qui est mis dans le travail, cette portion, ce fragment d’existence-là (ou devrait-on écrire « de non-existence ») qu’il cherche à préserver, au détriment du reste. Pour preuve aujourd’hui, en plein envol épidémique, la révélation de nouvelles lignes de « gestion » des gouvernements bourgeois à travers le monde qui optent de concert pour une « stratégie » d’eugénisme social sur fond de pure technophilie : intégrer un seuil « normal » de morts quotidiennes, sacrifiées sur l’autel de la planification abstraite de la reconduction économique. Le fait est que même les forces "contestataires", taillées à son image par la gauche du travail, semblent encore incapables d’assimiler l’assignation au travail à une fragmentation en soi et perpétuelle de la vie, que les déclinaisons novices actuelles avec la crise du Covid rend pourtant nettement lisible. Et leurs délires intégrationnistes, joint à leur fétichisme de l’emploi et de son droit fantasment finalement autant le calfeutrement de la vie sociale à l’exercice du travail que n’importe quelle politique étatique répondant aux besoins de la société marchande et de sa perpétuation.
4) L’immatérialité de l’avenir économique, bien souvent son absence, son incertitude, sa précarité ne servent pas à décourager l’État de venir polluer le semblant de vie qui subsiste à côté (souvent dans les formes aliénées qu’il lui a lui-même données). Ainsi les moments de collectivités, de convivialité même tronqués et jusque-là enrobés d’une spontanéité feinte pour servir de garde-fous ( des "after-work" entre collègues désabusés aux faux dépaysement garantis par l’industrie du tourisme) ont pendant longtemps été anticipés par des autorités "compétentes" qui cherchaient à les annihiler ou à les contrôler dans leur formation-même. La pandémie a été niée comme réalité dès ses premiers moments, et les États ont substitué à sa gestion un investissement collectif dans la planification de la continuité du travail, qui n’aurait pu se faire sans l’invention antérieure de formes toujours nocives et précaires de salariat (uberisation, culte de l’auto-entreprenariat). Ces nouvelles formes d’auto-exploitation massivement répandues au sein des classes populaires et des marginalisés de l’emploi sont d’autant plus détestables que la précarité économique qu’elles entretiennent se fait le relais criant d’une société qui considère que le travail est une fin en soi, un gage de bonne volonté et rien d’autre, car il ne produit de toute façon plus rien et détériore au contraire la qualité de vie de ceux qui y sont contraints.
5) Le travail est entré en opposition manifeste avec tout ce qui se fait de libre et de vivant ou qui aspire à l’être (et à le rester) dans la société. C’est une activité fanatique à part entière : dans nos sociétés dévastées par l’aliénation politique diffuse, par le désastre climatique et les pandémies présentes et à venir autant que par le tarissement des ressources naturelles, le travail est une espérance posée dans la marchandise comme arme de reconduction du monde et, donc, comme promesse de sécurisation. Travailler à reproduire son existence revient désormais purement et simplement à perpétuer la nocivité dans laquelle elle s’enlise. L’État, à l’avant-garde de ce fantsame de reconduction de l’insoutenable, nous renvoie sa vision mutilante du social : une fabrique qui assujettit l’ensemble de l’existence aux exigences de la reconduction du capital, pôle anti social et anti liberté par excellence. Il n’existe pas de gestion gouvernementale qui ne soit pas une mutilation au nom d’une conception, vacillante ou fixe au contraire dans ses positions historiques, de l’autoconservation compulsive de l’ordre marchand. Cette démarche compulsive, si elle est dans les faits entretenue par quelques bourgeoisies et technocrates jouissant de l’appareil centralisateur d’État, est aussi assimilée comme ordre naturel des choses par à peu près toutes les populations vivant au sein des démocraties marchandes avancées. Et cette utopie réactionnaire pourrait être mise en péril (faiblement mais tout de même) par la gestion solidaire (qui passe aussi par l’oisiveté) d’un virus ultra-contaminant et mortel. Ce que cette gestion solidaire remettrait en cause également, c’est un avenir proche ou historique qui conserverait l’économie comme ordre naturel des choses et l’État comme père des peuples.
6) La décrépitude politique dans laquelle nous nous enlisons devrait nous faire questionner ce qui tient réellement lieu d’attitude révolutionnaire, et ce qui dans notre rapport au monde nous enchaîne encore à la planification marchande et au maintien du travail comme alpha et oméga du lien social. L’égoïsme de classe, les illusions sur le développement des « forces productives », les politiques validistes dérivées de l’idéologie travailliste et consumériste en plein règne de l’abstrait et du flou sont autant d’expressions de la nocivité politique révélée par cette pandémie. Et ces discours s’imposent comme une maladie généralisée à gauche. Nous partageons désormais tous le même rapport fictionnel à l’avenir, et il faut nous réapproprier la définition même de ce que nous appelons une "qualité de vie" pour faire face à cette nocivité politique qui révèle notre incapacité à imaginer un monde réellement émancipé de la logique marchande. Car même l’horizon fantoche et d’ores-et-déjà douteux de la « diversités des activités sociales et culturelles » rendue relativement accessible aux classes moyennes et populaires des pays « développés » en a pris pour son grade dans cette vaste mobilisation sacrificielle pour le maintien de l’ordre marchand et de la société du travail : il faut désormais avoir plus d’imagination que ceux qui clament que le capitalisme est la fin de l’histoire.
7) On a parlé pendant deux ans de politique sanitaire, de gestion : tous ces termes nous ont enfin obligé·es à démystifier l’État pour évaluer ses capacités en tant qu’outil, à faire le tour de sa nature d’ustensile au service d’une classe certes, mais aussi d’une logique pénétrante, autant incarnée qu’autonome et sans rapport avec les conditions situationnelles de la société en crise et de la planète. Le constat est sans appel : l’incompétence est aussi ce sur quoi la bourgeoisie capitaliste assoit sa gestion économique de la société. Cette incompétence est celle que médiatise et incarne l’État, appareil de domination, de centralisation et donc de neutralisation des possibilités organisationnelles, solidaires et créatives des forces sociales populaires, et captateur de la politique et de ses imaginaires : il redevient pourtant, à la lumière de cette pandémie, un vulgaire outil daté duquel Engels disait, avec une lucidité écrasante, qu’il finirait dans un musée à côté du métier à tisser et du silex.
8) Les couvre-feux, confinements partiels ainsi que les mille couleurs possibles et d’ores-et-déjà expérimentées de l’assignation au travail ont eu en leurs temps des relents de désorganisation forcée, de signes de faiblesse manifestés quotidiennement par le pouvoir bourgeois. La gestion centralisée du risque sanitaire ne prend forme, quand c’est l’immédiateté d’un devenir collectif qui est en jeu et ouvertement menacée, qu’en regard de l’anticipation de la poursuite marchande : c’est cette réalité de la gestion étatique, qui a amené à maintenir les activités "productives" en plein essor épidémique et notamment au début de cette pandémie, qui nous oblige enfin à nous référer à la logique marchande comme à une abstraction. La nature abstraite de la production et de l’échange marchand a été expérimentée concrètement dès mars 2020 dans les pays capitalistes développés comme la France : c’est bien par un manque de moyens sanitaires (pénurie de masque, de gel hydroalcoolique, de matériel de réanimation et de protection dans les hôpitaux) que ces pays se sont retrouvés à déterrer des systèmes D dignes des pires fables sur le "sous-développement", tout en justifiant le maintient de la production diversifiée de bien de consommation par une peur de l’effondrement économique qui menacerait la survie générale... La logique marchande fait abstraction de toute situation immédiate, même celle exposant à un risque inconnu, et elle nous fait nous adapter à des climats sociaux et politiques nauséabonds, qui ont tous pour point commun d’exposer notre incapacitation. La nocivité politique nous a ainsi appris à nous adapter à l’ennui généralisé qui ne trouve de substitut que dans l’accélération consumériste, ou encore à faire nôtre un ras-le-bol qui emprunte au fascisme la nostalgie des temps passés, la haine des plus fragiles qui empêchent qu’on retourne tous "vaquer à nos occupations", une lecture raciste des événements ou encore un désir de renforcement du flicage pour "qu’on en finisse" [2]. Cette gestion étatique fait alors en sorte que la reconduction marchande et son anticipation se subsument à toutes formes de logiques collectives et de pensée originale sur les événements. Ces mesures n’étaient pourtant pas indépassables, et surtout pas rationnelles : elles expriment un réflexe d’auto conservation qui met au jour la dépossession généralisée comme l’outil de sauvegarde ultime de l’ordre politique et économique existant.
9) La mise au travail des sociétés est ce qui domine en ce moment comme politique gestionnelle assumée et actualisée par les divers gouvernements du monde. Et elle constitue ce à quoi se résume dans son intégralité la « reprise de l’économie » (comme si elle s’était arrêtée alors que ses logiques consommatrices et accumulatrices ont capté le présent et l’avenir de toutes les perspectives collectives et imaginatives dès les premières mesures d’endiguement de la pandémie). Elle domine d’ailleurs depuis le début de ce cirque la gestion de l’épidémie de covid-19 par ces mêmes gouvernements capitalistes, qui peuvent compter dans les faits sur une armée de petits cadres en tout genre assurant leur relai sur tous les terrains de la vie quotidienne (flics, juges, procureurs, sécurité RATP et autres matons peuplant bureaux, administrations pénitentiaires, centres de rétention ou aéroports). La priorité donnée au redéploiement de l’activité productive (équivalente à celle de l’échange marchand) sur la gestion en temps réel d’une pandémie de virus mortel sert autant de leitmotiv posé sur des politiques sans sens et contradictoires que de fétiche permettant de faire fantasmer une nouvelle fois les esprits sur une sortie de crise pacifiste et sans révolution sociale. L’intensification de la mise au travail n’a jamais faibli, même en temps de confinement radical pour certaines catégories d’ouvriers et d’employé.es comprenant notamment des sans-papiers, ou pour les plus galériens réduits à « l’esprit d’entreprise » le plus nocif pour eux-mêmes pour subvenir un tant soit peu à leurs besoins. La reprise économique qu’elle est maintenant censée précipiter est d’avantage une mesure de tâtonnement absurde fondée sur l’espérance aveugle dans le travail comme sauveur suprême d’un monde qui se meurt qu’une politique concrète de « relance » motivée par la pénurie et la crise de la « subsistance ». Et la pandémie a d’ailleurs constitué un moment d’expérimentation privilégié du travail ramené à l’état d’idée par le télétravail, encensée au sein des murs virtuels des start-up et dans les appartements des cadres et des managers de tout type.
10) Les bouffonneries étatiques ainsi que les mesures au rabais et tardives ont subsumé un temps dans nos têtes toutes les autres manifestations plus ordinaires de l’abus de pouvoir [3] et de la répression. Elle servent à maintenir de ce qui existe « en ordre » autant qu’à en préserver le fantasme face à ce qui se présente toujours plus violemment comme un immense amas de saletés, de marchandises, de brimades quotidiennes, d’assignation à l’ordre, de morts par asphyxies (dans les hôpitaux, dans la rue et dans les quartiers populaires sous le poids de leur gestion coloniale et de ses flics), d’enfermement dans les prisons et dans les Centres de rétention ou encore d’aliénation à domicile et de course-poursuite mortelles dans les banlieues des métropoles impérialistes. Désormais, le fantasme de la "sortie de crise" entretenu par quelques calendriers étatiques absurdes et mimant une marche naturelle vers un "tout rentre dans l’ordre" dérangeant met les contestataires face au mur : accepterons-nous une fin de partie aussi coûteuse sur le plan humain et aussi statique sur le plan politique ? Accepterons-nous cette déclaration d’impuissance et d’aliénation de nos désirs à l’ordre marchand et à sa politique répressive et meurtrière ?
Si non, quelques pistes critiques pour recalibrer nos imaginaires sur la critique du présent et non sur son déni :
1) Force est de constater ceci : l’entassement des morts dans des hôpitaux désertés par les moyens, dans des campagnes isolées ou dans les pays du Tiers-Monde appellent à une vengeance absolue qui prendra en compte cet aspect du détestable pour produire une nouvelle critique totalisante du monde capitaliste, aussi éclairée et lucide que possible et appelant à des solutions intransigeantes pour en précipiter la chute (et redevenir les auteur.es de celle-ci). Aussi : la contradiction entre travail et existence, entre travail et liberté, et enfin entre travail et santé ne s’est jamais faite plus visible depuis au moins 20 ans. Et aucune riposte traditionnelle, aucun syndicalisme, aucune course aux urnes, aucune mobilisation pour le pouvoir d’achat, la réouverture des universités et pour le "respect des travailleurs", le sauvetage d’un service public déjà mort et enterré n’est à la hauteur de notre époque et de cet âge de décrépitude ultime dans lequel s’enlise le capitalisme. Les organisations politiques et syndicales mais également les militants ralliés au "combat" anti-pass se chargent au contraire d’en relever le niveau, de faire valoir toujours plus intensément un droit universel à l’intégration de la logique marchande et à l’emploi. Et les imaginaires des décideurs, des larbins et des cadres, des "anticapitalistes" de préfecture et des fascistes convergent tous dans la même direction qui doit acter aux périls de nos vies la conservation de la société du travail, des frontières et de l’État. Quant aux autres formes de contestations portées par les franges les plus radicales du mouvement social et par la gauche antiparlementaire, elles devront se défaire de l’effet hallucinogène qu’ont exercé sur elles ces deux années de crise pour aboutir à une critique sans concession des forces d’inertie avec lesquelles elles se sont longtemps crues contraintes de devoir s’activer : aucune révolution ne vient au monde à partir d’un alignement des planètes et d’un ressentiment touffu face à l’infâmie d’un climat social délétère et toxique. C’est ce même ressentiment qui anime les dernières mobilisations souvent ouvertement complotistes contre l’obligation vaccinale et qui ont certes pu trouver des expressions sociales plausibles dans une vaste levée de boucliers pour le pouvoir d’achat, mais dont certaines têtes pensantes d’extrême-droite trouvent déjà des "coupables" parmi les habituels boucs-émissaires désignés (les Juifs, les Arabes, les Noirs, les Asiatiques, les Musulmans et tout ce qui fait figure d’étranger ou "d’invalide") pour polariser une absence de consistance et de projet de transformation concret de la société. Car l’extrême droite contestataire, quand bien même elle peut affronter un temps les forces armées de l’État bourgeois, reconnaît comme son projet essentiel ce qu’il entreprend "trop progressivement" pour elle, à savoir le renforcement de sa militarisation et du contrôle policier et raciste de la société, autant que la reconduction de ses rapports sociaux qu’elle considère menacée comme ses "fondements civilisationnels" : l’État et l’extrême droite partagent la même foi violente dans la société du travail et sur la nécessité de ne pas lésiner sur les moyens répressifs pour la "sauver". Cette gauche, pour devenir révolutionnaire, devra assumer ses opinions illégalistes (et son panel d’actions) autant qu’antifascistes, ce qui passe par un refus des facilités complotistes autant que par la lutte ouverte contre l’État, contre tous les pouvoirs qui le médiatisent et qui précipitent sans cesse la course à la fascisation de la société (à commencer par la police) et contre les forces politiques qui se revendiquent de cette fascination et de la conservation d’une société patriarcale, raciste et antisémite. Pour cela, elle devra réaffirmer son refus des concessions et défendre sa conception du monde contre le réformisme pesant de quelques faux alliés autant que contre les idéologies victimaires (incarnées autant par les fascistes affirmés que par des pans non négligeables de la gauche institutionnelle et non-institutionnelle encore massivement friante de thèses antisémites et racistes pour s’expliquer le monde et l’inertie de sa "lutte des classes").
2) Ce texte relaye un appel à l’autogestion sanitaire formulé par quelques forces politiques et camarades dès le début de cette pandémie, mais propose de la compléter d’une remarque : il ne peut y avoir d’autogestion sanitaire sans autogestion de la société dans son ensemble et, donc, sans réflexion approfondie sur la nocivité de l’État et sur la morphologie de sa gestion virtuelle de la société, donc sans une réflexion sur l’abstraction marchande qui vient entraver toutes les initiatives collectives logiques et spontanées (donc immédiatement réalisables !) pour parer la propagation de ce virus et préserver nos vies au pluriel. Il ne peut y avoir aucune autogestion consacrée uniquement à l’urgence simple qui soit souhaitable (car autogestion et cogestion sont des amalgames que bénissent autant les gauches institutionnelles que les syndicalismes les plus prétendument offensifs), si l’autogestion créative et totale de la société et la reconquête du pouvoir sur sa suite et sa forme ne constituent pas des enjeux clairement formulés comme des buts.
3) Tous les mouvements de contestations nés à l’intérieur des démocraties marchandes avancées pendant cette pandémie se sont accommodés des pires travers réactionnaires inhérents aux forces conservatrices qui n’ont cessé de nier l’ampleur et la dangerosité de la crise du Covid-19 (soit purement et simplement en rejoignant les extrêmes-droites fascistes antivaccins, soit en soutenant les politiques néo-libérales des gouvernements soucieux de précipiter la résurgence du "monde d’avant"). Nous constatons (et nous demandons de prouver en quoi nous avons torts d’être affirmatives sur des manifestations aussi médiocres d’aliénation et d’impuissance) que toutes, mêmes celles intégrant des revendications pseudo-antiautoritaires et intégrant des militants permanents des mouvements sociaux et autres professionnels de la récupération, ont assumé la grammaire d’une lutte pour l’accès à la marchandise diversifiée, qu’elle soit bien ou service (droit d’aller picoler au bistrot, d’aller au restaurant et j’en passe et sans doute de plus aliénées en termes de mode de vie) comme horizon de vie souhaitable. Il faut autopsier notre rapport au monde, et commencer par poser un constat sans concession sur notre dépossession pour en tirer toutes les conséquences. Car nous l’avons expérimentée en long en large et en travers : nous avons cru gruger des pénuries alimentaires en nous jetant sur des rayons de bouffe industrielle et en nous entassant dans des magasins bondés, et cela a été notre ultime réflexe avant une apocalypse dont nous ne comprenions pas la teneur ; nous avons fantasmé sur la sociabilité tronquée et déchue offerte par le mode de vie marchand et sur ses consommations passées de restaurants et de voyages téléguidés ; on a rendu nos déplacements détestables et impossibles, restreints au "ravitaillement" de vies sans sens ; on a pleuré des morts qu’on a parfois jamais pu enterrer dignement, ni voir une dernière fois ; et tout le long de ce désastre qui a instauré la fragmentation aliénée comme régime de survie générale, on a continué de nous faire travailler à créer les pandémies de demain et les dévastations futures de la planète.
4) Contre la nocivité et l’insuffisance politique, contre l’aliénation marchande au premier degré et contre le travail qui pourrit la vie dans ses moments réels et qui précipite sa fin, nous avons l’histoire et l’imagination des luttes passées, proches ou lointaines, du mouvement révolutionnaire comme outils à réinventer, parfois à moquer, à délaisser ou à encenser : nous ne nous battrons plus que contre du connu, et contre les concessions faites à la société du travail…
Textes en lien avec le refus et le fétichisme du travail pour approfondir :
- « Perspectives de modifications conscientes de la vie quotidienne » de Guy Debord, disponible sur infokiosque
- « Critique de la vie quotidienne » de Henri Lefebvre, en pdf sur Monoskop
- « Manifeste contre le travail », du groupe Krisis, disponible en pdf sur le site de la revue Palim Psao