Nous ne pouvons que constater ceci : la société capitaliste moderne se présente comme un immense amas de larbins et de flics dédiés à la cause de la marchandise et de sa sécurisation.
L’inconstance des motifs de la domination sur nos vies s’avère négligeable par rapport à la constance de notre intérêt (aujourd’hui vital) à braver l’autorité de l’État et du travail. La domination de l’État et celle des cadres économiques, qui fournissent au premier un contexte de super-existence inédit, s’imposent par la mise au travail et par une démarche de replanification permanente de la vie sociale (et de la vie tout court) vers ce but : leur désintérêt conjugué pour l’existence sociale non subordonnée au travail s’est enfin déployée en mépris pour l’existence biologique elle-même. Et l’incapacité désormais visible des États capitalistes à proposer autre chose qu’une domestication informe pour œuvrer à la conservation du semblant de vie qu’il nous reste achève de réduire cette dernière à sa disponibilité. Ce mépris fébrile s’exprime dans une reconversion radicale de la société en usine généralisée où la dissociation (et non la distanciation) sociale prend désormais racine dans de nouvelles dispositions (très dangereuses car objectivement et facilement ressenties comme pesantes et déprimantes) et s’aventure par ce fait-là sur le terrain extrêmement aventureux de la quotidienneté où le panel infini des modes de résistance à l’autorité rencontre l’inventivité et le maintien des tactiques de lutte contre la pandémie et contre tous les pouvoirs qui l’entretiennent...
L’État ne se soucie pas de votre santé : c’est la quantité de vie et de bien être relatif qui est mis dans le travail, cette portion, ce fragment d’existence (ou devrait-on écrire « de non-existence) là qu’il cherche à préserver, au détriment du reste. En prouve aujourd’hui, en plein envol épidémique, la révélation de nouvelles lignes de « gestion » des gouvernements bourgeois à travers le monde qui optent de concert pour une « stratégie » d’eugénisme social sur fond de pure technophilie : intégrer un seuil « normal » de morts quotidiennes, sacrifiées sur l’autel de la planification abstraite de la reconduction économique.
Et l’immatérialité de l’avenir économique, bien souvent son absence, son incertitude, sa précarité ne servent pas à décourager l’État de venir polluer le semblant de vie qui subsiste à côté (souvent dans les formes aliénées qu’il lui a lui-même donné). Ainsi les moments de collectivités, de convivialité même tronqués et jusque-là enrobés d’une spontanéité feinte pour servir de garde-fous sont désormais anticipés par des autorités "compétentes" qui cherchent à les annihiler ou à les contrôler dans leur formation-même. Car l’heure est à l’investissement collectif dans la planification de la continuité du travail, que la gestion solidaire (qui passe aussi par l’oisiveté) d’un virus ultra-contaminant et mortel met en péril en même temps que la projection abstraite d’un avenir proche ou historique qui conserverait l’économie comme ordre des choses et l’État comme père des peuples.
Le travail est entré en opposition manifeste avec tout ce qui se fait de libre et de vivant ou qui aspire à l’être dans la société. L’État nous renvoie sa vision mutilante du social : une fabrique qui assujettit l’ensemble de l’existence aux exigences du capital, pôle anti social et anti liberté par excellence. Il n’existe pas de gestion gouvernementale qui ne soit pas une mutilation au nom d’une conception, vacillante ou fixe au contraire dans ses positions historiques, de l’autoconservation bourgeoise compulsive de l’ordre marchand : la bourgeoisie est un bulldozer qui passera sur l’existence de n’importe qui, révolutionnaire ou non, en le tuant soit de sa propre main (celle de l’État) soit indirectement, par la contamination et la maladie.
Alors autant être d’emblée des révolutionnaires : son égoïsme de classe et son rapport fictionnel à l’avenir a déjà chahuté tout ce qui se présentait jusque-là comme une « qualité de vie », et même l’horizon fantoche et d’ores-et-déjà douteux de la « diversités des activités sociales et culturelles » rendue relativement accessible aux classes moyennes et populaires des pays « développés » en a pris pour son grade dans cette vaste mobilisation sacrificielle pour le maintien de l’ordre marchand et de la société du travail.
On a parlé pendant deux ans de politique sanitaire, de gestion : tous ces termes nous oblige enfin à démystifier l’État pour évaluer ses capacités en tant qu’outil, à faire le tour de sa nature d’ustensile au service d’une classe et d’une logique pénétrante, autant incarnée qu’autonome et sans rapport avec les conditions situationnelles de la société en crise et de la planète. Le constat est sans appel : l’incompétence est aussi ce sur quoi la bourgeoisie assoit sa gestion classiste et économique de la société. Cette incompétence est celle que médiatise et incarne l’État, appareil de domination, de centralisation et donc de neutralisation des possibilités organisationnelles, solidaires et créatives des forces sociales populaires : il redevient, à la lumière de cette pandémie, un vulgaire outil daté duquel Engels disait, avec une lucidité écrasante, qu’il finirait dans un musée à côté du métier à tisser et du silex.
Les couvre-feux, confinements partiels ainsi que les milles couleurs possibles et d’ores-et-déjà expérimentées de l’assignation au travail ont des relents de désorganisation forcée, de signes de faiblesse manifestés quotidiennement par le pouvoir bourgeois : la faiblesse et la mise en danger de la société tout entière repose et est directement imputable à la gestion par une classe de l’ensemble de la société. La gestion centralisée du risque sanitaire ne prend forme, quand il s’agit d’existences concrètes, qu’en regard de la logique de l’abstraction inhérente à l’anticipation marchande, et fait alors en sorte qu’elle se subsume à toutes formes de logiques collectives. Leurs mesures ne sont pas indépassables, et surtout pas rationnelles : elles expriment un réflexe d’auto conservation qui fait de la dépossession généralisée l’outil de sauvegarde ultime de l’ordre politique et économique existant.
La mise au travail des sociétés est ce qui domine en ce moment comme politique gestionnelle assumée et actualisée par les divers gouvernements du monde. Et elle constitue ce à quoi se résume dans son intégralité la « reprise de l’économie » (comme si elle s’était arrêtée alors que ses logiques consommatrices et accumulatrices ont capté le présent et l’avenir de toutes les perspectives collectives et imaginatives dès les premiers mesures d’endiguement de la pandémie). Elle domine d’ailleurs depuis le début de ce cirque la gestion de l’épidémie de covid-19 par ces mêmes gouvernements capitalistes, qui peuvent compter dans les faits sur une armée de petits cadres en tout genre assurant leur relais sur tous les terrains de la vie quotidienne (flics, juges, procureurs, sécurité RATP et autres matons peuplant bureaux, administrations pénitentiaires, centres de rétention ou aéroports). La priorité donnée au redéploiement de l’activité productive (équivalente à celle de l’échange marchand) sur la gestion en temps réel d’une pandémie de virus mortel sert autant de leitmotiv posé sur des politiques sans sens et contradictoires que de fétiche permettant de faire fantasmer une nouvelle fois les esprits sur une sortie de crise pacifiste et sans révolution sociale : l’intensification de la mise au travail, qui n’a jamais faibli même en temps de confinement radical pour certaines catégories d’ouvriers comprenant notamment des sans-papiers ou pour les plus galériens réduits à « l’esprit d’entreprise » le plus nocif pour eux-mêmes pour subvenir un tant soit peu à leurs besoins, est d’avantage une mesure de tâtonnement absurde fondée sur l’espérance aveugle dans le travail comme sauveur suprême d’un monde qui se meurt qu’une politique concrète de « relance » motivée par la pénurie et la crise de la « subsistance ». Et la pandémie a d’ailleurs constitué un moment d’expérimentation privilégié du travail ramené à l’état d’idée par le télétravail, encensée au sein des murs virtuels des start-up et dans les appartements des cadres et des managers de tout type.
Les bouffonneries étatiques ainsi que les mesures au rabais et tardives qui subsument désormais toutes les autres manifestations plus ordinaires de l’abus de pouvoir et de la répression servent à maintenir de ce qui existe « en ordre » autant qu’à en préserver le fantasme face à ce qui se présente toujours plus violemment comme un immense amas de saletés, de marchandises, de brimades quotidiennes, d’assignation à l’ordre, de morts par asphyxies (dans les hôpitaux, dans la rue et dans les quartiers populaires sous le poids de leur gestion coloniale et de ses flics), d’enfermement dans les prisons et dans les Centres de rétention ou encore d’aliénation à domicile et de course-poursuite mortelles dans les banlieues des métropoles impérialistes. Et force est de constater ceci : l’entassement des morts dans des hôpitaux désertés par les moyens, dans des campagnes isolées ou dans les pays du Tiers-Monde appellent à une vengeance absolue qui prendra en compte cet aspect du détestable pour produire une nouvelle critique totalisante du monde capitaliste, aussi éclairée et lucide que possible et appelant à des solutions intransigeantes pour en précipiter la chute (et redevenir les auteur.es de celle-ci). Aussi : la contradiction entre travail et existence, entre travail et liberté, et enfin entre travail et santé ne s’est jamais faite plus visible depuis au moins 20 ans.
Ce tract relaye un appel à l’autogestion sanitaire formulé par quelques forces politiques et camarades dès le début de cette pandémie, mais propose de la compléter d’une remarque : il ne peut y avoir d’autogestion sanitaire sans autogestion de la société dans son ensemble et, donc, sans réflexion approfondie sur la nocivité de l’État et sur la morphologie de sa gestion virtuelle de la société, donc sans une réflexion sur l’abstraction marchande qui vient entraver toutes les initiatives collectives logiques et spontanées (donc immédiatement réalisables !) pour parer la propagation de ce virus et préserver nos vies au pluriel. Il ne peut y avoir aucune autogestion consacrée uniquement à l’urgence simple qui soit souhaitable (car autogestion et cogestion sont des amalgames que bénissent autant les gauches institutionnelles que les syndicalismes les plus prétendument offensifs), si l’autogestion créative et totale de la société et la reconquête du pouvoir sur sa suite et sa forme ne constituent pas des enjeux clairement formulés comme des buts. Tous les mouvements de contestations nés à l’intérieur des démocraties marchandes avancées pendant cette pandémie se sont accommodés des pires travers réactionnaires inhérents aux forces conservatrices qui n’ont cessé de nier l’ampleur et la dangerosité de la crise du Covid-19 (soit purement et simplement en rejoignant les extrêmes-droites fascistes antivaccins, soit en soutenant les politiques néo-libérales des gouvernements soucieux de précipiter la résurgence du "monde d’avant"). Nous constatons (et nous demandons de prouver en quoi nous avons torts d’être affirmatives sur des manifestations aussi médiocres d’aliénation et d’impuissance) que toutes, mêmes celles intégrant des revendications pseudo-antiautoritaires et intégrant des militants permanents des mouvements sociaux et autres professionnels de la récupération, ont assumé la grammaire d’une lutte pour l’accès à la marchandise diversifiée, qu’elle soit bien ou service (droit d’aller picoler au bistrot, d’aller au restaurant et j’en passe et sans doute de plus aliénées en termes de mode de vie).
Contre la nocivité et l’insuffisance politique, contre l’aliénation marchande au premier degré et contre le travail qui pourrit la vie dans ses moments réels et qui précipite sa fin, nous avons l’histoire et l’imagination des luttes passées, proches ou lointaines, du mouvement révolutionnaire comme outils à réinventer, parfois à moquer, à délaisser ou à encenser : nous nous ne battrons plus que contre du connu, et contre les concessions faites à la société du travail…