Feu sur les assises populaires

Appel à investir et subvertir les Assises « populaires » organisées demain (samedi 15 avril) à l’Annexe de la Bourse du Travail (9h30-17h30, Salle Hénaff, 29 boulevard du Temple, métro République).

Les assises qui cachent la récupération

À l’appel de diverses associations, organisations et personnalités publiques, une salle de l’annexe de la Bourse du Travail accueillera des « Assises populaires pour nos libertés » demain (samedi 15 avril) entre 9h30 et 17h30. La plupart des organisations composant l’opposition de gauche doivent y intervenir : syndicats professionnels et étudiants, réseaux associatifs, figures intellectuelles, journalistes engagé·es et même quelques professionnel·les de la politique. Ces Assises, qui n’auront de « populaires » que le nom.

Les directions syndicales nous avaient déjà fait le coup avec leur intersyndicale, chargée de reprendre la main sur la contestation sociale et de restaurer l’autorité des centrales sur la lutte des exploité·es – autorité menacée par la faible syndicalisation et le mouvement des gilets jaunes. C’est désormais au tour de la gauche politique et associative de chercher à restaurer son autorité pour masquer son impuissance. Ne pouvant plus parler à l’exécutif, ce florissant personnel politique se convoque lui-même pour mettre en scène une unité de façade et une force fictive, dans l’espoir de restaurer les rapports privilégiés qu’il entretenait autrefois avec le pouvoir.

Ne soyons pas les dindons de la farce. Si nous pouvons choisir d’ignorer l’événement, nous pouvons aussi faire le choix de l’investir et de le subvertir, pour essayer de lui donner le sens que nous voudrons. Il y a fort à parier que, sans nous, les mots d’ordre qui y seront défendus ne seront à la hauteur ni des enjeux, ni de nos aspirations. L’heure n’est plus à l’indignation : on ne vient pas à bout d’un pouvoir policier avec de l’indignation. Quant à la question de la violence policière, nous y avons déjà répondu en mettant notre intégrité et notre liberté en ligne de mire face à la terreur d’État. Continuer de se la poser nous fait perdre un temps précieux.

Nous n’avons plus de temps à perdre

La question n’est plus celle du maintien de l’ordre, mais bien celle de son renversement. Nous voulons bâtir un monde nouveau, débarrassé de la domination de l’économie sur la vie. Nous n’avons pas besoin de l’intelligentsia de gauche pour nous expliquer comment y parvenir. Nous nous méfions de celles et ceux qui parcourent les plateaux de télévision et qui montent sur des estrades pour commenter une révolte qu’ils ne vivent que par procuration. L’Histoire a trop souvent prouvé que ces opportunistes bondissaient, une fois une fois l’ordre établi irréversiblement compromis, pour en imposer un nouveau et prendre la place des anciens maîtres.

Sur quoi repose la révolte provoquée par la réforme des retraites ? Sur des assemblées de grévistes décidant d’actions de blocage, de sabotage et d’intimidation de l’ennemi. Mais aussi sur des initiatives autonomes visant à renforcer la grève et ses effets, sur la création d’espaces d’échange et de rencontre, sur des déambulations nocturnes incendiaires, etc. Dans ces espaces et ces moments d’organisation et de lutte, les slogans sont sincères ; ils ne sonnent plus creux. Quand on y dit : « Ça va péter », ça pète.

Ce qui se joue actuellement dépasse la seule réforme des retraites. Nous devons en finir avec les vieux modes de contestation pseudo-démocratiques qui, en plus d’avoir scellé les défaites successives des décennies passées, nous font perdre un temps précieux face au danger fasciste imminent. Nous avons pris goût à l’action collective, et confiance en notre capacité à reprendre nos vies en main. Nous voulons discuter des moyens d’ancrer durablement le conflit, pour durcir le mouvement et poser les bases de la suite. Plutôt que parler de violences policières, nous devrions être en train de réfléchir pratiquement à la création d’assemblées populaires et de comités de base fonctionnant horizontalement et permettant un autogouvernement du peuple. L’archipel des assemblées de grévistes, comme celui des ronds-points, nous montrent la voie.

Créer un archipel de contre-pouvoirs

Nous ne doutons pas de la sincérité des intervenant·es dans leur volonté de constituer une alternative, un « contre-pouvoir démocratique ». Nous pensons simplement que ce n’est pas leur rôle, qu’un contre-pouvoir ne saurait se réduire à la réunion des différentes tendances de la gauche politique, syndicale, associative et culturelle. Nous pensons que l’intelligentsia de gauche trouve sa raison d’être dans la récupération et la reformulation « réaliste » des désirs populaires exprimés par la rue. Par conséquent, nous savons que, sans notre intervention collective, leurs « Assises populaires » se réduiront à un enchaînement de cours magistraux plaçant leur audience dans une posture passive et silencieuse, scolaire.

Entendons-nous sur le sens que nous donnons aux mots, et en premier lieu à celui de « contre-pouvoir ». Un contre-pouvoir ne confisque par les combats populaires, ni ne sépare le bon grain de l’ivraie pour servir ses intérêts. Un contre-pouvoir ne se place pas au service de la défense et de la régénération des valeurs de l’ennemi : il assume une négation totale de la légitimité du pouvoir, de ses valeurs, de ses institutions et de ses serviteurs ; se reconnaissant comme une des bases de l’organisation future de la société, il assume un antagonisme envers celles actuelles, dont la survie dépend directement de sa suppression.

Dans la phase actuelle d’affrontement entre les classes, qui s’affirme toujours plus comme une lutte entre la vie et la mort, renouer avec la perspective d’une révolution nécessite la libération d’espaces physiques ; de lieux où se ressourcer et s’organiser, faire communauté et prendre en charge les problèmes de nos vies quotidiennes. De cette territorialisation du conflit en un archipel de zones libérées dépendra notre capacité de repartir dans des cycles continus de luttes pratiquées concrètement sur le terrain.

Pour en finir avec la « gauche Libé »

La révolution est une chose trop sérieuse pour la confier à des signataires de tribunes compulsifs. Le 9 octobre 2016, neuf des intervenant·es des « Assises populaires » signaient une tribune dans Libération appelant à une candidature unique de la « gauche antilibérale » aux élections présidentielles. En vain. Le 4 mai 2019, sept intervenant·es se présentant comme des « personnalités du monde de la culture » signaient une tribune dans Libération pour se revendiquer gilet jaune et appeler à la fin des violences policières contre le mouvement. Plus de cinq mois après le début du mouvement, donc... Si on remonte dans le temps, on découvre que, le 30 novembre 2015, ce sont treize des intervenant·es qui signaient l’Appel des 58 – un manifeste publié chez Médiapart contre les effets liberticides de l’état d’urgence. État d’urgence dont nombre de mesures exceptionnelles sont devenues la norme, et qui a largement contribué au processus de fascisation de l’État français.

La pluralité affichée par les organisateurs des « Assises populaires » cache non seulement un entre-soi politique démodé – ne nous laissons pas berner par les quelques cautions et nouvelles têtes –, mais aussi et surtout un entre-soi abonné à la défaite. Que peuvent les légalistes vaincus en 2015-2016 par un gouvernement « de gauche » face à un gouvernement en guerre ouverte contre son peuple et un Ministre de l’Intérieur assumant ouvertement la fascisation de la République ? En quoi cette intelligentsia réformiste serait-elle aujourd’hui plus capable qu’hier de venir à bout des violences policières ? Le 15 mars, une « Assemblée du mouvement » appelée à la Bourse du Travail donnait lieu à une occupation éphémère du site. Cette assemblée était un moment populaire, mais engager dans une occupation stratégique le millier de personnes alors présentes était prématuré. Ce samedi 15 avril, la salle Hénaff promet d’être le théâtre d’un moment de pacification sociale, qui réduira la discussion au sujet le moins clivant au moment même où le mouvement cherche à se durcir et à retrouver sa dimension imprévisible.

On ne défend pas ses libertés en restant assis·es. Ne laissons pas l’intelligentsia de gauche poser sa chape de plomb sur notre rage. Nous sommes le peuple. C’est nous qui nous révoltons et affrontons la terreur de l’État, son ultraviolence policière et sa torture carcérale. Sociologues, philosophes, avocats, journalistes, politiciens, militants professionnels : ne les laissons pas parler à notre place !

Feu sur les Assises populaires !

Ce texte est disponible en format PDF :

Note

RDV samedi 15 avril entre 9h30 et 17h30
Annexe de la Bourse du Travail - Salle Hénaff
29 boulevard du Temple, 75003 (métro République – lignes 3, 5, 8, 9 et 11)

Mots-clefs : social-démocratie
Localisation : Paris 3e

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