Emmaüs, répression et solidarité avec les migrant-es, 2 poids - 2 mesures

Le lundi 6 février, plusieurs personnes passeront en procès en appel au TGI de Paris parce qu’en août 2015 elles sont allées rendre visite à des migrant-e-s en grève de la faim contre leurs conditions d’hébergement dans le centre Emmaüs Solidarité de Pernety dans le 14e arrondissement.
Des personnels du centre, soutenus par Emmaüs solidarité qui, main dans la main avec la ville de Paris et la préfecture, ont instrumentalisé ce qui n’a été qu’un banal acte de solidarité, ont porté plainte contre ces camarades, les accusant de séquestration.

L’objectif de cette instrumentalisation est de réprimer et de criminaliser l’action de soutien aux migrant-e-s et la critique des conditions « d’accueil » et d’hébergement qui leurs sont imposées.

À l’approche du procès en appel des 4 personnes solidaires, alors que depuis l’automne 2016 les actes et discours hostiles se multiplient là où des centres d’hébergement doivent être implantés et qu’Emmaüs est l’acteur incontournable de ce que l’État appelle « la mise à l’abri » des personnes réfugiées, on peut relire ce texte initialement paru dans Merhaba, un journal plurilingue écrit par des personnes migrantes et des personnes qui en sont solidaires.
Le journal plus spécialement consacré aux foyers-prisons (n°4) est consultable sur ce lien
On peut trouver tous les numéros sur ce blog.

Emmaüs, répression et solidarité avec les migrant-es, 2 poids - 2 mesures

Publié dans Merhaba n°4, février 2016

Le samedi 7 novembre 2015, au petit matin, une trentaine de militants d’un groupe d’extrême droite occupait le toit du centre d’hébergement de Triel-sur-Seine (Yvelines) pour y dénoncer le fait que 80 migrants y soient hébergés. Durant plus de 5 heures les personnes hébergées ont dû rester cloitrées dans le centre.

Interrogé par des associations sur les éventuelles suites judiciaires données à cette agression fasciste, le sous-préfet des Yvelines, M. Stéphane Grauvogel dira, qu’à son avis, la caractérisation d’incitation à la haine raciale ne paraît pas possible, les banderoles et slogans étant selon lui à la limite de la loi mais sans la franchir. Pour lui, la seule poursuite possible serait la violation d’un espace privé…
Précisons au passage, que la semaine avant l’occupation du toit, plusieurs migrants ont été agressés physiquement, notamment à la gare de Triel, par des personnes proférant des propos racistes. Mais bon, pour M. Grauvogel, tout cela n’a sans doute rien à voir....

Donc, pour l’État et la justice, entrer par effraction dans un centre, y grimper sur le toit pour y hurler des slogans hostiles, y faire flamber des fumigènes et faire en sorte que les personnes hébergé/es soient confinées plus d’une demi-journée, ce n’est pas très grave. Par contre, aller soutenir des migrants en grève de la faim dans leur centre d’hébergement, ça c’est plus embêtant...
En effet, en novembre 2015, 4 personnes ont été condamnées à de lourdes amendes et de la prison avec sursis en raison de leur présence solidaire auprès de migrant-e-s hébergé-e-s dans un foyer du 14e arrondissement géré par l’association Emmaüs

En août 2015, ces 3 militant-e-s et un migrant venu pour assurer la traduction s’étaient rendus dans ce centre d’hébergement de la rue Raymond Losserand pour soutenir 30 migrant-e-s en grève de la faim et les aider à rédiger leurs doléances en français afin qu’elles puissent être transmises aux médias et aux autorités.
Les migrant-e-s, ce jour là, écrivaient ceci à propos de leurs conditions de vie :

« Nous dénonçons la mauvaise qualité de la nourriture, la propreté qui laisse à désirer, la quasi-absence de services de soins médicaux et surtout la lenteur extrême pour les domiciliations et les procédures administratives pour les demandes d’asile, sans oublier l’absence de tickets de transport ou de cartes téléphoniques. »

Alors qu’elles avaient été invitées à entrer par le directeur du centre et qu’elles étaient restées solidairement présentes lors du sit-in de protestation organisé par les migrant/es, ces 4 personnes ont été embarquées manu militari par des hordes de policiers débarqués sur place en moins d’une demi-heure.

Le soir-même, Emmaüs, la préfecture et la mairie de Paris publiaient un communiqué commun pour faire monter la sauce de la répression :

« L’État, la Ville de Paris et Emmaüs Solidarité condamnent avec la plus grande fermeté l’intrusion d’une poignée de militants dans le centre d’hébergement de migrants, situé rue Raymond Losserand dans le 14e arrondissement de Paris.
L’État, la Ville de Paris et Emmaüs Solidarité jugent inacceptables les menaces et les insultes proférées à l’égard des équipes d’Emmaüs Solidarité ainsi que la séquestration des salariés et des migrants présents, qui ont contraint la police à intervenir. »

Les migrant-es du centre Losserand ont bien sûr démenti ces allégations de séquestration mais face aux autorités politiques, étatiques et humanitaires, leurs paroles furent vaines...
En effet, s’il est quelque chose d’insupportable pour celles et ceux qui se sentent investi/es d’une responsabilité politique, humanitaire ou associative qui leur fait considérer les Autres comme des enfants irresponsables qu’il faut gérer et encadrer, c’est que ces « irresponsables » prennent la parole et s’approprient le champ du politique. Ainsi, mieux vaut faire comme si les migrant/es étaient manipulé/es par quelques agitateurs/trices, comme si ils et elles n’étaient pas capables d’avoir leurs propres revendications.

Et pour l’appareil d’État, il est donc moins grave de prêcher la haine et le racisme comme les fachos de Triel-sur-Seine que de mettre en œuvre des solidarités. Peut-être parce que ce sont nos solidarités qui permettront de ne pas sombrer dans une société où dominent la peur de l’autre, la peur de la misère et de la répression. Ces mêmes solidarités qui feront que nous pourrons construire, gens d’ici et d’ailleurs, gens de partout, un monde où ne règnent pas les inégalités et les rapports de domination.
Un monde qui reste à inventer...

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