Éducation nationale : la lutte paie, mais...

Dans l’Académie de Créteil, on peut rester un mois sans contrat de travail, sans garantie d’être payé. Et c’est l’informatique qui est invoquée pour justifier cette situation d’exploitation illégale du travail des précaires : est-ce que ce monde est sérieux ?

Assia est AESH (accompagnante des élèves en situation de handicap) dans le dispositif ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire) d’un collège de Seine-Saint-Denis. Elle a entamé à la rentrée sa quatrième année. Assia est indispensable au bon fonctionnement de ce dispositif. Elle est unanimement appréciée par les élèves dont elle a la charge comme par tous les personnels de l’établissement.

Elle travaille à temps plein, et ne ménage pas sa peine car elle est impliquée (ce qui veut dire qu’elle passe du temps à travailler sans être payée, pour faire des choses utiles qu’elle pourrait ne pas faire). Les élèves d’ULIS ne sont pas toujours faciles, le corps est partie prenante du métier, et travailler dans un collège REP du 93, c’est déjà en soi usant. Il faut sans cesse s’adapter non seulement à de nouveaux élèves mais aussi à de nouvelles équipes (le turn over est constant).

Depuis la rentrée, elle était inquiète : elle n’avait pas signé de contrat ! Bien sûr, elle veut continuer à travailler : elle aime ce métier qui est vraiment utile, et, après plusieurs années d’expérience, elle se sent parfaitement compétente pour faire face à sa complexité. De plus, au bout de six ans de travail, elle pourra être « cédéisée » (employée en CDI).

Elle s’inquiète donc de son contrat, et ses collègues avec elle. Mais les jours passent, septembre touche à sa fin, et tout ce qu’elle comprend, c’est qu’un problème informatique empêche le rectorat de lui établir un contrat.

Le jour de la paie approche, c’est-à-dire pour elle un jour sans paie.

L’équipe enseignante décide alors le 27 septembre de se mobiliser. Elle adresse un ultimatum au Rectorat : une promesse écrite de contrat et de paiement du salaire de septembre, sinon c’est la grève le lendemain. La réponse écrite attendue n’arrive pas, le 28 c’est la grève.
Une délégation chemine vers le Rectorat, un groupe écrit un communiqué de presse.

Le voici :

Communiqué de presse
PERSONNEL SANS CONTRAT : STOP À L’EXPLOITATION DES TRAVAILLEURS ET DES TRAVAILLEUSES

Aujourd’hui mercredi 28 septembre 2022, l’ensemble de l’équipe pédagogique du Collège Jules Michelet a décrété la grève pour soutenir une de nos collègues, Madame A., AESH au sein de l’établissement depuis le 1er septembre 2018. Cette collègue travaille sans un contrat qu’elle réclame depuis la rentrée alors qu’elle est en poste, et n’a donc pas été payée pour tout le travail effectué durant la période du 1er au 30 septembre.
Dans les faits, le Rectorat est incapable de fournir un contrat à une collègue à qui il ne reste que deux ans à faire avant CDIsation. Les raisons fournies par la direction et l’administration sont fallacieuses : on nous renvoie à “un problème d’ordre informatique”.

Ces explications sont inacceptables à plus d’un titre :

  • Réduire cette situation à un simple couac informatique est une preuve de plus du manque d’humanité dont est habituée l’administration centrale. Mme A. n’est pas qu’un chiffre, n’est pas qu’un dossier, n’est pas qu’un contrat : c’est une personne compétente et essentielle au bon fonctionnement de l’établissement, dont tout le monde loue le dévouement auprès des élèves. Avec un tel traitement, comment réussir à recruter des AESH dont l’Éducation nationale manque cruellement ?
  • La situation des AESH est particulière : en effet, c’est au bout de six ans de contrat qu’ils peuvent obtenir une CDIsation. Mme A. a mené à terme un contrat d’un an, puis un autre de trois ans, achevé à la fin de l’année scolaire 2021-2022. Aujourd’hui, elle ne parvient pas à obtenir un dernier contrat de deux ans. Nous sommes stupéfaits que rien ne soit prévu pour les personnels comme Mme A., qui attendent de compléter leurs six années de contrat. Du moins, nous ne comprenons pas pourquoi notre collègue ne peut obtenir ce dernier contrat de deux ans dont elle a besoin.
  • Encore une fois, ce sont les agents les plus précaires de l’Éducation nationale qui sont sacrifiés. Alors que le département et le collège manquent cruellement de personnel qualifié pour accompagner les élèves en situation de handicap, voilà comment ces individus sont traités ! Rien qu’au Collège Michelet, seul un tiers des besoins d’accompagnement sont pourvus, et ce dans le cadre d’une crise de recrutement sans précédent.

L’ensemble du personnel pédagogique du Collège Michelet réclame sans délai la régularisation de la situation contractuelle de Mme A. ainsi que le versement de l’intégralité de son salaire pour le mois de septembre.

Tombe alors une nouvelle : un contrat de travail commençant au 1er septembre vient d’être envoyé.

Au Rectorat les collègues remplissent une demande d’audience. Ils ne seront pas reçus, mais on leur explique que le directeur de cabinet a été prévenu, ce qui serait synonyme d’une résolution rapide de l’affaire.

Dès lors, l’équipe se dit déjà que « la lutte paie ». Il faut s’en féliciter, mais...

  1. de telles conditions de travail dans le service public d’éducation nationale ne sont-elles pas honteuses ?
  2. que des enseignant.e.s doivent se mettre en grève, donc perdre une journée de salaire et faire perdre à leurs élèves une journée de cours, afin qu’une collègue aussi précaire qu’indispensable, puisse avoir la garantie de toucher son salaire (et d’avoir un contrat de travail), n’est-ce pas disproportionné ?

Mais nous en sommes là. Pour que nous cessions de nous épuiser dans ces luttes nécessaires qui mobilisent des moyens drastiques, il faut un grand changement. Invitation donc à mener une grande lutte...

Mots-clefs : grève | handicap | collèges | salaire
Localisation : Seine-Saint-Denis

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