Témoignages 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Tweets et vidéos
Ce n’est pas la première fois que le pouvoir joue sur la corde affective pour criminaliser les mouvements sociaux :
- Le 14 juin 2016, lors de la plus grosse manifestation contre la Loi travail, la devanture de l’hôpital pour enfants Necker est dégradée. Cet acte isolé (et accidentel) sera monté en épingle afin de condamner l’ensemble des manifestants, ceux-ci étant accusés d’avoir « dévasté l’hôpital Necker » par cet imbécile de Manuel Valls.
- Le 11 février 2017, pendant les manifestations qui demandaient justice pour Théo, victime d’un viol policier, la préfecture a sorti un gros mytho pour essayer de retourner l’opinion : les manifestants auraient tenté de brûler vive une famille dans une voiture. Évidemment complètement faux mais plus c’est gros, plus ça passe, ça avait fait la une des journaux avant d’être démenti.
Sur cette nouvelle intox à propos de la Salpêtrière, voici quelques témoignages reçus par mail de personnes sur place hier :
Témoignage 1
De ce que j’ai pu voir, mais il s’agit peut être d’un autre épisode de répression policière (????). J’y étais et ai protégé une grand-mère. Deux autres copains parisiens ont été piégés dans cet endroit avec moi. L’un des deux se faisant matraquer, ce sont plusieurs soignants qui, respectant le code de déontologie, ont entrouvert les grilles des jardins de l’hôpital aux manifestants en danger. Ils ont été chaleureusement remerciés par des applaudissements et des mercis. La situation a été tranquille quelques minutes…
Ensuite, honte au gouvernement et à ses sbires, deux compagnies de CRS et un groupe de bacqueux se sont introduits dans l’enceinte de l’hôpital et ont poursuivi et tabassé des manifestants… La belle affaire a duré entre 3 et 5 minutes de très nombreux photographes de presse ont couvert la sortie de cette nasse...
Témoignage 2
1. Tête de cortège bloquée avenue de l’Hôpital par un cordon de CRS, en face de la Pitié-Salpêtrière. En effet, des affrontements ont lieu, plus haut sur l’avenue, en remontant vers Place d’Italie.
2. Une foule importante de manifestants pacifiques s’agglutine devant le cordon de CRS sans comprendre le blocage alors qu’ils sont, eux aussi, sur le tracé déclaré officiellement. Des discussions s’engagent entre forces de l’ordre et manifestants pacifiques.
3. Après une dizaine de minutes d’attente, un Black Bloc se forme rapidement au contact des CRS. Des jets de projectiles et une bousculade pour forcer le cordon de CRS provoquent de leur part une riposte : au minimum lacrymogène et grenades de désencerclement (d’où une blessure à la jambe). L’air est saturé par l’utilisation massive de lacrymogène, visibilité extrêmement réduite pendant 2 à 3 minutes, air irrespirable. Les gens suffoquent et se mettent à courir dans tous les sens.
4. Mouvement de foule et de panique, les gens cherchant à échapper à l’asphyxie générale et à la charge violente de la police qui fonce alors dans le tas.
5. Une partie des manifestants fuit alors en franchissant l’enceinte de l’hôpital (ils ne sont pas dans les locaux même, mais à l’extérieur, sur la propriété).
[L’auteur·e entend ensuite des gens se faire taper et crier depuis la cour adjacente où iel s’est réfugié·e]
Témoignage 3
Arrivés à hauteur de l’église Saint-Marcel, un important cordon de CRS bloquait la route. Nous sommes arrivés dans les premiers. Ils nous ont expliqué qu’ils nous laisseraient passer, le temps que des échauffourées, advenues plus haut, avec ceux ayant emprunté la rue Jeanne d’Arc, se calment. Nous attendions tranquillement. Petit à petit, les manifestants sont arrivés en masse. Nous étions proches d’un garage souterrain, au contact du cordon de CRS. Il me semblait évident qu’ils nous laisseraient passer.
Petit à petit, d’autres CRS sont arrivés de l’arrière et ont formé un second cordon, juste derrière leurs collègues. J’ai naïvement pensé qu’ils nous feraient avancer par paliers. Nous avons vu le véhicule équipé des canons à eau manœuvrer et se positionner face à la foule, au centre du boulevard, qui commençait à s’impatienter.
Sans sommation, les palets de lacrymo ont volé dans la foule.
Avec mon ami, nous n’étions pas équipés, comme beaucoup d’autres autour de nous et nous suffoquions. Nous nous sommes retranchés quelques secondes derrière le muret du parking souterrain. Une dame a crié de nous mettre à terre, ce que nous avons fait. C’était effectivement plus respirable [a priori non, ça marche pour la fumée, mais le gaz lacrymo descend (Note de la modé)]. Un homme s’est écroulé près de moi, il peinait à respirer. Mes yeux brûlaient, je ne voyais plus rien.
Mon ami m’a dit de le suivre, qu’il fallait que l’on aille plus loin. En me retournant, j’ai aperçu le cordon de CRS ainsi que le camion avec les canons à eau, qui avançaient, à une allure assez rapide, dans une sorte de no man’s land de fumée. La scène était chaotique. Nous avions reculé d’une centaine de mètres. Des Street Medics pulvérisaient du sérum physiologique dans les yeux des manifestants. Ces moments sont pour moi très confus.
Nous sommes passés devant un portail, ouvert, un homme, je pense qu’il était médic, nous a dit de rentrer nous mettre à l’abri ici. Mon ami n’a pas voulu, et nous sommes partis plus loin.
Avec le recul, après avoir vérifié sur Google Earth, je suis quasi certain que ce portail était celui de l’hôpital de la Salpêtrière.
Avec tout ce qui a été dit, l’emballement médiatique, sans preuves et sans images, j’ai décidé de témoigner.
Car si c’est cet incident qu’ils qualifient d’intrusion dans l’hôpital, je peux vous garantir que nous fuyions les lacrymos, sans réellement voir ni comprendre où nous allions.
Ces moments étaient chaotiques, et il est plus que probable que ces individus se soient retrouvés pris au piège lorsque les forces de l’ordre ont continué leur route, remontant le boulevard de l’Hôpital en direction du boulevard Saint-Michel et sont allés interpeller ces « assaillants ». Si cette intrusion a été faite aux alentours de 16h30, je suis en mesure d’affirmer que la confusion la plus totale régnait.
Je peux aisément comprendre que le personnel de l’hôpital ait pris peur de voir ces gens déboussolés pénétrer dans l’enceinte de l’hôpital, tout comme ils sont allés se réfugier dans plusieurs cours du boulevard, mais je ne comprendrais pas une action délibérée.
Je cherche juste à comprendre ce qu’il s’est passé, pour que l’on rétablisse la réalité des faits. C’est assez facile de parler à chaud et sans preuves, sans avoir eu les preuves vidéos, des caméras de surveillance de l’établissement, ce qui pourrait confirmer, ou non, tout ce qui a été avancé. Quant à moi, qui étais sur les lieux, je reste très prudent. Je ne vois pas comment et surtout pourquoi, la plupart des personnes qui étaient autour de moi, qui manifestaient simplement, s’en seraient pris à cet hôpital…
De plus, certains avancent que cette « horde de sauvages » voulait s’en prendre au CRS grièvement blessé. Or, je suivais le déroulé de la manifestation sur Twitter, et cette information est parue beaucoup plus tard. De plus, les Médics ont été les premiers à aller à son chevet.
Témoignage 4
J’étais sur le boulevard de l’Hôpital à ce moment et je confirme ce qui a été précédemment décrit. Comme j’avais des lunettes de plongée et un masque, je n’ai pas subi le choc des gaz et peux donc précisément rapporter ce dont j’ai été témoin.
Les flics bloquent le boulevard de l’Hôpital juste avant le croisement avec la rue Jeanne d’Arc. Une ligne de CRS nous fait face, derrière eux, des camionnettes et un canon à eau nous tournent le dos. Nous apprendrons plus tard que des affrontements avaient lieu plus haut, au niveau du commissariat.
La foule est très compacte : les dizaines de milliers de personnes du cortège continuent d’avancer, et comme il est impossible de voir ce qu’il se passe, tout le monde s’agglutine. Plusieurs lignes de CRS qui remontent le cortège se font copieusement huer et insulter.
La situation stagne quelques dizaines de minutes, quand le canon à eau fait demi-tour et commence à arroser le cortège, et les flics se mettent à balancer des rafales continues de grenades lacrymogènes sur la foule.
Bien que l’on soit dans le cortège de tête, les personnes présentes là sont en majorité des personnes qui n’ont aucune velléité offensive. La plupart n’ont aucun moyen de protection.
Le brouillard de lacrymo est très dense, la panique est complète. Les personnes suffoquent, vomissent, s’évanouissent. Tout le monde pousse pour essayer d’échapper aux gaz, mais il est quasiment impossible de se replier tellement le cortège est dense, et les trottoirs encombrés de jardinières, de mobilier et de vélos. Des medics, au niveau de la terrasse du café L’Intermède, aspergent de Maalox le plus de personnes possible. Juste après ce café, une grille mène à la résidence du CROUS de la Pitié. Elle est fermée, mais elle est forcée pour permettre de se disperser un peu. Il est possible par là de rejoindre le bâtiment d’entrée de l’hôpital.
Les manifestant·e·s continuent de redescendre le boulevard de l’Hôpital, paniqué·e·s. Plusieurs se sont réfugié·e·s devant l’entrée de l’hôpital, mais les flics tirent aussi des grenades sur l’hôpital. Plusieurs palets ricochent contre la façade du bâtiment.
Étant trop loin pour le vérifier, je ne peux que supposer que c’est à ce moment-là que des personnes sont entrées dans l’hôpital pour se protéger d’une violence absolument arbitraire.
Les chiens enragés ont une fois de plus déchaîné leurs armes sur la contestation, et leurs maîtres essayent, comme à leur habitude, de cacher leurs méfaits avec un bel écran de fumée.
Témoignage 5
J’étais dans la foule qui se dirigeait calmement vers la Place d’Italie.
Je me suis retrouvé bloqué dans une foule compacte au niveau de la librairie Vernazobres-Grego. J’étais devant le porche entre le bistrot et la librairie. C’était impossible d’avancer, les gens disaient que la police bloquait l’accès à la Place d’Italie. Les gens continuaient à affluer, rapidement, la foule est devenue très compacte. Soudainement, il y a eu des grenades lacrymogènes qui sont tombées du ciel dans la foule devant nous (direction Place d’Italie).
Le gaz s’est rapidement répandu, on ne pouvait plus respirer. Il y a eu un mouvement de foule qui cherchait à redescendre le boulevard de l’Hôpital.
Le problème était qu’il y avait trop de monde, on suffoquait dans le gaz, agglutinés les uns sur les autres comme dans une rame de métro bondé.
C’était comme se noyer au milieu de la foule. On avançait pas à pas en espérant trouver un filet d’air respirable.
J’ai longé le bistrot proche de la grille de l’hôpital. En me retournant, j’ai vu que quelqu’un avait ouvert la porte du porche où j’étais précédemment. Aussitôt des gens y sont entrés pour se réfugier. C’était impossible pour moi de faire demi-tour, j’ai continué à avancer.
Arrivé de l’autre côté du bistrot, j’ai vu des gens devant la grille de l’hôpital. Ils appelaient pour qu’on leur ouvre. Ils demandaient à se réfugier du gaz et des charges des CRS. Derrière cette grille, on voyait un espace dégagé avec de l’herbe, protégé des gaz. Sachant que c’était un hôpital public, j’ai moi-même vu ce lieu comme un refuge, un lieu d’assistance et de protection. J’étais en retrait de la grille au niveau des arbres, mais entre les barreaux, j’ai aperçu une personne vêtue de noir, assez loin, qui paraissait être un gardien.
Cette personne est partie sans faire signe aux manifestants devant la grille vers le bâtiment du fond. Les gens continuaient à affluer de la direction de la Place d’Italie. Les gens devant la grille ont finalement commencé sans trop y croire à forcer la porte pour entrer. La porte a finalement cédé, les gens sont entrés. J’ai moi-même fait quelque pas au-delà de la porte, j’ai repris mes esprits. À ce moment-là, une femme a crié aux gens qui entraient : « N’y allez pas, c’est une mauvaise idée ! ». Le groupe qui avait ouvert était déjà loin. En entendant cette femme, j’ai compris que je n’étais plus en danger.
Je suis ressorti, j’ai eu la chance.
Témoignage 6
Nous nous sommes retrouvés au niveau du n° 97, l’entrée « Crous », où la grille était déjà enlevée. Ne pouvant partir, car la rue était occupée par les CRS des deux côtés, je suis restée dans l’entrée de cette allée de l’hôpital qui est en retrait, pour me mettre à l’abri des gaz comme bien d’autres, la grille avait été ouverte bien avant.
La directrice de l’hôpital était par ailleurs présente avec nous dans l’entrée de l’allée et pourrait témoigner qu’il n’y avait pas « intrusion » AVANT l’arrivée fracassante des forces de l’ordre, mais qu’il n’y avait que quelques dizaines de personnes attendant que la charge et les envois de lacrymos s’arrêtent.
À un moment donné, les CRS sont remontés à notre niveau, alors qu’ils étaient descendus plus bas dans la rue. J’ai entendu une cheffe d’escadron de CRS ordonner de nous charger alors que nous étions immobiles dans l’entrée de l’allée, et que la grille avait été arrachée au moins une vingtaine de minutes plus tôt.
C’est seulement à ce moment que prises de peur, de nombreuses personnes se sont mises à courir dans l’allée. Nous avons été littéralement coursés, personnellement, je ne suis pas allée très loin, nous nous sommes arrêtés très vite au niveau d’un petit escalier sur la gauche, mais j’ai vu des CRS nous insulter et matraquer sans aucune raison.
Je ne sais pas ce qui s’est passé à l’intérieur, mais à l’extérieur, il ne s’agissait pas d’une attaque !! J’ai eu la chance de pouvoir ressortir, les mains en l’air, non sans essuyer une volée d’insultes gratuites de la part des CRS, mais ça n’a pas été le cas de tout le monde. Autour de moi, il y avait un couple de quinquagénaires et des gens assez jeunes. Je n’avais pour ma part aucun masque, pas même de masque à gaz, aucun autocollant, aucun signe de participation à la manif, rien.
Avant tout ça, des personnels soignants étaient sortis donner des doses
de sérums phy, je parie que leur version à eux n’est pas celle d’une attaque, au contraire, ils ont assisté plutôt impuissants à l’arrivée des motards de la police depuis l’autre accès de l’hôpital, arrivée qui de loin, m’a fait l’effet d’une chasse à l’homme assez violente.(...)
Témoignage 7
Mon témoignage, concordant avec les précédents : le cortège s’est retrouvé bloqué juste au-dessus de la Pitié-Salpêtrière. Des cordons de CRS sont remontés grossir le 1er cordon. Aucune explication n’a été donnée, à aucun moment malgré les demandes des manifestants qui cherchaient à comprendre pourquoi ils étaient bloqués et s’ils allaient repartir. La situation était incompréhensible puisque nous étions sur le parcours autorisé, face à un cordon qui est devenu de plus en plus un mur (le cordon a été doublé, les canons à eau se sont positionnés). Le cortège continuait d’avancer, et la foule s’est donc amassée devant ce cordon, devenant très compacte.
C’est alors que de nombreuses grenades lacrymogènes ont été tirées directement sur la foule, en très grand nombre. J’étais entre la terrasse du bistrot l’Intermède et la librairie Vernazobres-Grego, dans un angle dont nous ne pouvions nous extraire, au 99, du boulevard (juste au-dessus du 97, l’entrée du CROUS de la Pitié-Salpêtrière). (...)
Nous avons ouvert la porte du 99 et y sommes rentrés nous mettre à l’abri des gaz, car l’air était littéralement irrespirable, et de nombreuses personnes non protégées (normal, puisque les fouilles à l’entrée de la manif’ confisquaient systématiquement le matériel de protection aux manifestants). De nombreuses personnes sont rentrées après nous dans la cour intérieure, nous avons distribué du sérum physiologique, certaines vomissaient, plusieurs étaient très mal, sans protection. Ensuite, des street medics sont entrés également et on commencé à soigner dans le couloir une jeune personne blessée à la jambe par un tir de grenade.
Les gens étaient très angoissés dans la cour et craignaient de se faire tabasser à l’abri des regards. Je suis monté sur le cabanon à poubelles de cette cour pour voir si nous pouvions fuir par ailleurs. J’ai constaté qu’il n’y avait pas d’issue, mais j’étais juste au-dessus de la cour de l’entrée de l’hôpital. J’ai donc très clairement pu observer ce que les autres témoins racontent : des gens, suffocants et asphyxiés, s’étaient réfugiés en masse dans cette cour et cherchaient à reprendre leur souffle. Sur le boulevard de l’Hôpital, les canons à eau, allumés, descendaient le boulevard et de très nombreuses grenades (lacrymo et désencerclement) étaient abondamment tirées plus bas sur le boulevard. C’était le bordel, l’air était littéralement irrespirable et tout le monde étaient juste paniqué de se faire charger avec autant d’agressivité, sans raison et sans possibilité de fuir (la foule étant bien trop dense).
Tout cet incident n’a qu’une cause, une technique de maintien de l’ordre qui consiste en fait à terroriser et violenter arbitrairement les manifestants pacifiques, qui consiste à faire rentrer des motos avec des voltigeurs et à faire tirer des lacrymos dans une enceinte d’hôpital (ce qui n’est pas vraiment prescrit lorsqu’on est en réanimation). Encore une fois, on constate qui sont véritablement les casseurs !
Honte au ministre d’instrumentaliser si grossièrement ce qui s’avère juste être une charge féroce contre un cortège déclaré et pacifique, massivement gazé sans raison.
Honte à Hirsch (l’abbé Pierre doit se retourner dans sa tombe) et à la directrice de la Pitié, Marie-Anne Ruder, qui se rangent instinctivement du côté des forces de répression et non pas des victimes de la répression, qui ont juste à chercher à ne pas crever sous les gaz, puis sous les coups de tonfa des voltigeurs.
Honte aux médias qui ont relayé une telle intox sans recul ni aucune tentative de vérification. Quand plus personne ne les lira, ne les écoutera, et qu’ils se feront huer en manif’, qu’ils ne s’étonnent pas.
Témoignage 8, à 100 m du 99, bd de l’Hôpital
(...) Autour de nous, les yeux pleurent, les bouches crachent pour se libérer du gaz lacrymogène, les Street-medics essayent d’assister les blessés sans trop s’éparpiller. Des gens sont en sang, au sol.
« Ça charge ! », crient des manifestants qui nous dépassent en courant, pris de panique. Derrière nous, un nuage de gaz lacrymogène nous rattrape. Nous essayons de ne pas courir. D’une part pour éviter les mouvements de foule, mais aussi parce que devant nous, une foule bloquée subit le même sort. Il n’y a nulle part où aller.
Boulevard Saint-Marcel, au niveau du croisement avec le boulevard de l’hôpital, la densité de la foule était similaire à celle de la fosse lors du concert d’un rock-star. Une marée humaine dans laquelle vous mettez une minute pour avancer d’un mètre, dans laquelle des gens font des malaises, d’autres crient « ne poussez pas ».
Vous ne pouvez pas mettre vos bras autrement que le long de votre corps.Pour ceux qui n’ont jamais manifesté, imaginez donc : vous êtes à un concert d’Iggy-Pop, dans la fosse. Sans prévenir, des paramilitaires barricadent les portes. Vous ne pouvez plus vous échapper. Des vapeurs de gaz incapacitant vous arrivent aux narines et des explosions retentissent. Ce sont probablement des grenades de désencerclement. 25 g de TNT qui, en éclatant, projettent des épines de plastique suffisamment tranchantes pour crever le pneu d’une bagnole. Elles ont déjà arraché des mains, des pieds. Là, c’est votre tête qui est en première ligne. Et impossible de fuir.
Les détonations retentissent au rythme d’une toutes les 5 secondes. Il n’est même plus question de manifester, mais juste de sauver sa vie.Au-dessus de nous, les branches des arbres nous protègent un peu, certaines craquent sous l’effet de projectiles. Nous tentons de nous réfugier dans un hall d’immeuble, mais des manifestants nous en dissuadent. « C’est un piège, si vous rentrez, ils viendront vous gazer et vous rafler. » Des drones surveillent les cours. Nous ne prenons pas le risque. Une dame paniquée d’une cinquantaine d’années dit qu’elle a trop peur de fuir par une ruelle adjacente, de sortir du parcours déclaré.
Si j’avais pu me réfugier ailleurs que dans un hall en cul-de-sac (et donc, pourquoi pas dans le jardin de l’hôpital) je l’aurai fait. Pas pour déranger qui que ce soit, mais juste pour fuir les tirs de grenade. Un simple réflexe de survie. Impossible de dire combien de temps les tirs ont duré.
Sous le choc, tremblants, à moitié de peur, à moitié de rage, nous reculons dans le cortège en direction d’un char de syndicalistes, que les CRS ne peuvent pas trop attaquer sans « tomber le masque ». Nous reprenons notre souffle à côté d’un épais nuage de fumée noire.
Paradoxal, mais mieux vaut ça que les grenades.Deux heures plus tard, à tourner en rond sans trop savoir dans quelle direction aller, nous approchons de la place d’Italie par le boulevard de l’Hôpital.
Un policier en casque de moto tapote sa matraque contre une rangée de poteaux, comme un maton contre des barreaux. On peut lire dans ses yeux qu’il rêve de nous matraquer pour ce que nous sommes, pour ce que nous pensons.
Malgré les affrontements qui y ont eu lieu plus tôt, l’ambiance commence à s’apaiser. Seule l’une des rues à l’ouest est encore le théâtre d’effets pyrotechniques. Au sud, le centre commercial est gardé par trois rangées d’hommes en armure, sur toute la longueur de la façade. C’est peut-être pour cela que personne n’était disponible pour empêcher des gens de se réfugier dans l’hôpital.
Nous profitons du retour au calme pour engager le dialogue avec les
forces de l’ordre. Nous demandons par où sortir pour rentrer chez nous. Un gendarme nous répond « qu’un passage va s’ouvrir de l’autre côté. Là où il y a encore un nuage de gaz lacrymogène ». Nous lui demandons s’il se rend compte de l’aberration de la situation. Il hausse les épaules, son collègue ricane. « Ce sont les ordres. »Nous rejoignons la rue désignée.
19h. Nous sommes enfin autorisés à quitter la place. Une seule sortie, qu’il faut emprunter un par un après avoir été fouillé.
Nous demandons pourquoi, puisque nous rentrons chez nous, nous voulons juste partir.
L’un des policiers me pousse avec sa matraque en disant « je vous protège monsieur » d’un air menaçant. Je n’insiste pas. (...)Nous acceptons une dernière humiliation : pour rentrer chez nous, il faut se faire fouiller un par un, et jeter dans de grands sacs poubelle ce qui a pu servir a nous protéger des attaques de la police pendant la manifestation. Ce sont les ordres.
Plus tard dans la soirée, certains policiers confisqueront aussi les gilets jaunes.Les manifestations, surtout lorsqu’elles sont éloignées des lieux de pouvoir, n’ont que peu de chance de faire changer les choses. Je ne me fais pas d’illusion. Leur seule utilité est de se regrouper, pour mesurer la santé de la démocratie. Hier, elle était en phase terminale.
Témoignage 9
Initialement, le rendez-vous était prévu devant le ballon de la CGT 94. Celui-ci a dû sortir de la manifestation à la suite de plusieurs charges par les policiers vers 13h. Vers 16h30, nous étions un peu avant la Salpetrière, en train de discuter avec d’autres camarades venus nous rejoindre. Le camion a eau s’est mis à charger la foule suivi de plusieurs [tirs de] gaz lacrymogène. Une partie des gens étaient déjà en train de faire marche arrière en nous expliquant qu’il n’y avait pas de possibilité de sortir de la manifestation Place d’Italie. La foule était très dense, il y a eu plusieurs mouvements de panique avec les gaz. J’ai été séparé de mon mari, quelqu’un m’a tiré par le bras et m’a empêché de tomber et de me faire piétiner. J’ai retrouvé une camarade qui avait des vertiges.
On s’est retrouvé à l’arrêt de bus saint Marcel, on a essayé de sortir du boulevard, on s’est alors fait gazer. On est reparti de l’autre côté, on s’est refait gazer. L’air était asphyxiant, les gens ont commencé a essayé de rentrer dans les cours intérieures des immeubles le long du boulevard Saint-Marcel pour se réfugier et essayer de reprendre leur souffle. Je me suis retrouvée avec plusieurs responsables du Parti Communiste du Val-de-Marne dans une cour intérieure. Nous étions avec des jeunes, des gilets jaunes, des syndicalistes, des femmes assez âgées. Les habitants nous jetaient par les fenêtres du sérum physiologique. La porte était ouverte, on entendait des explosions de grenade, on ne voyait plus rien. On avait tous peur que les CRS nous envoient des gaz lacrymogène dans cet endroit confiné et que la situation n’empire, voire que les CRS nous chargent. Une question horrible se posait à nous, doit-on fermer la porte et laisser rentrer des gens ou fermer pour ne pas laisser entrer le gaz ? La cour intérieure se remplissait toujours plus. Deux hommes ont ouvert une porte située au fond de la cour qui donnait sur un mur et ont trouvé une échelle. Ils ont évacué quelques personnes mais les plus vieux ne pouvaient pas monter.Mon camarade est sorti et a trouvé une sortie en parallèle du boulevard. Un escalier menait à des immeubles, puis sur une rue ouverte. Il nous a dit de le suivre, de faire vite. Certains manifestants avaient les mains sur la tête, contre le mur, demandant aux CRS de ne pas tirer. Il y avait toujours plus de gaz. Au moment de prendre les escaliers, la BAC s’est mise à nous pourchasser avec des matraques. Ils arrêtaient et frappaient des gens au hasard derrière nous qui essayaient de trouver une sortie. Une amie à moi s’est urinée dessus, sous la peur. Je continuais de courir alors que les boutons de mon t-shirt s’étaient arrachés, par peur d’être arrêtée ou pire. Nous avons finalement pris l’escalier et nous sommes sortis avant que la rue derrière nous ne soit, elle aussi, bloquée.
A aucun moment je n’ai vu des « casseurs ». Seulement des citoyens et citoyennes pourchassées par des représentants de l’État, parce qu’ils étaient en manifestation. Plusieurs milliers de personnes étaient nassées. Il s’agissait de la première manifestation de deux amis à moi, âgés de 26 et 27 ans. Le but était clairement d’humilier et de réprimer.
L’intox a aussi du mal à passer sur Twitter, les personnels sur place démentent :
Au passage, pour les personnes qui disaient hier que la grève était finie : une nouvelle intox !
Une vidéo vient corroborer la version des manifestant.e.s :