Depuis plus de 24 semaines maintenant, 7 enfants, frangin.es, ami.es et camarades arraché.es à leurs proches, sont inculpé.es pour « association de malfaiteurs terroristes » (AMT). Trois d’entre elleux sont encore emprisonné.es sous régime « terro » (Détenus Particulièrement Signalés), et un à l’isolement. La Police les soupçonne d’avoir eu l’intention de planifier des « actions violentes » contre la Police. La boucle s’est bouclée sur les Inculpé.es du 8/12.
Les Forces de quel Ordre ?
En quelques mois, nous avons vu l’État passer des lois sécuritaires et islamophobes au nom de la République, imposer un contrôle policier général au nom de la santé de la Nation, hurler contre l’islamogauchisme et emprisonner nos ami.es au nom de l’Antiterrorisme. Nous voyons aussi les avant-gardes néo-fascistes multiplier les attaques (Action Française, Loups Gris, Génération Identitaire, membres de la Police Nationale, anciens-militaires, etc.) contre des manifestations, des mosquées, des squats, des exiléEs, des universitaires, des librairies…
Un des inculpé.es du 8/12, en Quartier d’Isolement depuis bientôt 6 mois maintenant, était sous surveillance depuis son retour du Rojava en 2018. Tous les éléments « pro-kurde » trouvés lors des perquisitions ont été saisis (quelques affiches, livres ou brochures) et utilisés “à charge” par l’a-Justice, comme par exemple cette interview de Zehra Dogan publiée par la revue Ballast : « Un jour nous vaincrons [1] ».
Nous pensons important de mettre en perspective cette affaire avec la remontée des fascismes en France (articulés autours de l’islamophobie, du nationalisme et de l’antiterrorisme) et les collaborations avec le régime turc, dont la répression des kurdes résidant en France.
Macron déclarait en décembre 2019 au Sommet de l’Otan : « Nous combattons le PKK [2] et tous ceux qui mènent des activités terroristes contre la Turquie, de manière très claire mais nous ne faisons pas ce raccourci ou cette agrégation que la Turquie souhaite entre ces différents groupes politiques et/ou militaires » . En effet, le PKK est inscrit sur la liste des organisations terroristes selon le Conseil de l’UE depuis 2002, liste dans laquelle on retrouve 6 organisations de lutte armée communistes, dont par exemple, l’Armée de Libération Nationale (ELN), luttant actuellement aux côtés des manifestant.es colombien.nes dans la région de Cali [3].
Cependant la criminalisation par l’État français de la diaspora kurde et de ses soutiens semble indiquer que, oui, la fRance fait ce raccourci. Le 23 mars dernier, “10 personnes de la communauté kurde ont été interpellées et arrêtées par la brigade antiterroriste” suite à un “échange téléphonique entre Macron et Erdogan”. “Il s’agit d’un des plus gros coups de filet de la police française dans les réseaux militants kurdes ces dix dernières années”. Ces personnes sont accusées de “participation à une association de malfaiteurs, de financement d’une organisation terroriste et d’extorsion en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste”.
Voir aussi le Communiqué du collectif internationaliste Marseille Solidarité Kurdistan sur MIA.
« Ce ne sont pas des universitaires, mais bien des soutiens de terroristes »
Le 4 Février 2021, le journal Yeni Akit, équivalent turc du Figaro, publiait en gros titre : « ce ne sont pas des universitaires, mais bien des soutiens de terroristes », désignant des professeur.euses mobilisé.es, aux côtés des étudiant.es, depuis 6 mois à l’université Boğaziçi contre la nomination directe par Erdogan d’un nouveau recteur ; justifiant ainsi la répression du mouvement :
« Avec les premières manifestations étudiantes s’en est suivi une répression sans précédent avec l’arrestation de 159 étudiants le 2 février de cette année. Les étudiants en lutte ont été qualifiés de vandales, terroristes ou de « dégénérées LGBT » [4] par le pouvoir en place. Face à cette répression et ces provocations, la contestation a pris de l’ampleur dans le pays et dépasse les revendications des étudiants de Boğaziçi. Les étudiants des autres universités d’Istanbul se sont solidarisés et des manifestations ont notamment eu lieu à Izmir et à Ankara. » Voir Solidarité avec Boğaziçi ! sur Renversé.
Sous prétexte d’antiterrorisme, le régime turc déshumanise systématiquement toute dissidence politique et solidarités avec les organisations kurdes. L’exemple de Boğaziçi est frappant : criminalisation (« vandales ») ; outil antiterroriste (« soutiens de terroristes ») ; et LGBTQIA+phobie avec une teinte psychophobe et validiste (« dégénérés LGBT »). Mais là où le régime turc s’articule autours d’une alliance nationaliste (MHP) et islamiste (AKP) pour mener un politique d’extrême-droite, le régime français articule nationalisme et islamophobie. De manière systématique et graduelle, la fRance organise une criminalisation violente de sa population. Qu’elle soit racisée, révoltée, et/ou appauvrie. Il use de l’outil antiterroriste pour étendre le domaine du non-droit et soumettre le peuple à des désirs punitifs et des peurs. Enfin, il psychiatrise la déviance, la marginalité et la révolte.
L’ « islamo-gauchisme », le « racisme anti-blancs », l’ « ultragauche », les « valeurs de la République », le « délit de solidarité » ou de « séparatisme » … sont autant d’indices logiques du désastre prévu que nous vivons en live. La pénétration croissante des thèmes conçus par l’extrême-droite dans le débat public et dans la presse est un prémisse de mauvaise augure, maintes fois décrit comme étape préliminaire à l’avènement d’un régime fasciste.
REGARDONS →Comment le Fascisme l’Emporte (sur nos Consciences) ?
Une éventuelle démission de Vidal n’y changerait rien, un changement de gouvernement non plus. L’attaque des libertés universitaires en cours est une étape préventive de contre-insurrection. Rappelons que le PKK a été créé par des étudiant.es en 1978 à la veille d’un coup d’État, et que c’est après 6 années de répression sanglante qu’il lança son premier soulèvement armé le 15 août 1984. Les universités chiliennes ont elles aussi été au centre du brasier insurrectionnel qui a débouché sur une nouvelle constitution.
« On a souvent tendance à ne voir dans les opérations policières que leur aspect répressif, et non leur aspect productif » [5]
La production médiatique méticuleuse de “menaces” (« ultragauche », « immigration », « islam politique”, « racialisateurs », etc.) fonctionne chez beaucoup de gens, les rendant complices inconscients de la nécrose républicaine. Et pour ce qui est des milieux de gôche, parlons-en ! Nous sommes bien loin des déclarations de François Hollande affirmant en 2008 au sujet de Tarnac : [6]
« Au nom d’une cause juste – lutter contre le terrorisme – on est en train de faire des amalgames et des confusions. Celui qui n’est plus dans la norme, qui peut avoir un comportement déviant, peut être assimilé à un terroriste, ce qui est une atteinte grave aux libertés. »
Comment se fait-il qu’un des plus grands traîtres de l’histoire du socialisme, tienne des propos bien plus critiques sur l’antiterrorisme que la plupart de la gauche radicale aujourd’hui ? Avons nous oublié que le terme de “terrorisme” vient de la Terreur d’État, théorisée dans la philosophie politique au fondement même de la République fRançaise, et ayant servi de modèle dans le monde entier ? En 1937, la jeune République de Turquie massacrait 40 000 kurdes à Dersim et faisait des centaines de milliers d’exilé.es…
La terrorisation démocratique (Guillon 2009) est au fondement même de la politique étatique. L’antiterrorisme n’a pas vocation à anihiler un certain niveau de violence, mais un niveau de dissidence politique.
Avons nous oublié que Nelson Mandela, aujourd’hui hypocritement fétichisé, est resté jusqu’en 2008 inscrit à la liste des terroristes des États-Unis ? Avons-nous oublié qu’au nom de l’antiterrorisme français, des cellules armées comme la Main Rouge commettaient assassinats et attentats commandités afin de terroriser les algérien.nes luttant pour l’indépendance ? Avons-nous oublié la responsabilité de François Mitterand dans le génocide du Rwanda ?
LISONS : “État et Terrorisme”, dans Mauvaises Intentions #1
Cette apathie des « progressistes » de tous bords pour la critique de l’(anti)terrorisme ; à l’heure du rebasculement de l’État dans ses racines fascistes ; est la résultante de l’efficacité de l’antiterrorisme et d’une radicalisation de la République. Six années d’État d’Urgence, de lois sécuritaires et de défaites sociales auront réussi à faire de toutes les aspirations, – hors et au delà de la « République » – des aspirations « séparatistes » ou « extrémistes » : alors que l’État se radicalise, toutes les autres formes de radicalisations nécessaires (écologistes, féministes, antispécistes, anti-racistes, décoloniales, etc…) peuvent tomber sous le vaste joug de l’antiterrorisme. En témoignent les approbations nauséabondes de l’élite politicienne à la récente tribune des militaires, inspirés par le fasciste Renaud Camus (théoricien du « Grand Remplacement ») Ou encore les soutiens aux défilés de flics.
Comme beaucoup de Gilets Jaunes et Écolos l’ont compris ces dernières années, la violence policière, judiciaire et pénitenciaire qui s’abat de manière inédite sur les mouvements sociaux, s’abattait déjà dans les quartiers, sur les jeunes et les musulman.es ; et s’abat partout dans le monde sur les exilé.es. Il y a une continuité coloniale dans le traitement par l’État des populations issues d’anciennes colonies, et le retour en force de l’antiterrorisme depuis 2015 s’inscrit dans cette histoire coloniale. Le sociologue Mathieu Rigouste (La Domination Policière, 2012) ou l’anthropologue Didier Fassin (La Force de l’Ordre, 2011) n’ont pas manqué, avec de nombreu.ses autres, d’analyser ce sujet.
L’antiterrorisme est le moteur d’une volonté insatiable de punition.
« Depuis la révolte du parc de Gezi en 2013, qui contestait les prémisses du régime fasciste, le régime turc s’est mué en dictature, appuyant sa politique réactionnaire par le nationalisme et l’islam. « la répression contre les forces de gauche et progressistes n’a fait que s’amplifier. Des professeurs d’universités, des enseignants, des avocats et des juges ont été limogés sous prétexte de soutenir des organisations terroristes. La répression touche aussi fortement les travailleurs et travailleuses, les étudiants et les syndicalistes qui luttent contre le fascisme et le capitalisme. [7] »
Qu’en sera-t-il dans 8 ans chez nous ? A l’heure où les masses statistiques jouissent déjà de l’écrasement des ZAD, s’indiffèrent [ou se réjouissent] des milliers de meurtres aux frontières de l’Europe, mais pleurent la perte d’un flic. Le pire est déjà-là. L’antiterrorisme est la même marionnette d’un pouvoir dissimulant ses propres horreurs. Et le gouvernement continue de doter l’a-Justice des outils pour terroriser les minorités culturelles et les dissidences politiques, ainsi que leurs soutiens.
Un de ses derniers outils, la loi séparatisme, prévoit une peine de 7 ans de prison et 100 000€ d’amende pour « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes ». Iels pourront aisément twitter (comme pour nos ami.es du 8/12, comme pour les étudiant.es de Bogazici) que journalistes, universitaires, étudiant.es, politicien.nes, avocat.es, artistes et finalement chacun.e d’entre nous, soutenons des « terroristes » quand nous dénonçons la terrorisation démocratique ou soutenons des luttes émancipatrices légitimes à l’international.
Cette affaire du 8/12 tombe à pic. Entre la loi Sécurité Globale et la loi Séparatisme, après l’embrasement des États-Unis pendant Black Lives Matter, avant les élections de 2022. La violence policière étant bien trop visible et attisant les envies de révoltes, il s’agit donc de la faire devenir désirable. Ce à quoi s’appliquent BFM et les Bouffons du Roi, comme Pierre Henry Thavoillot, pour qui les victimes de la police ne sont que « statistiquement rares ».
Nous vivons le moment de l’épuration vitale d’un pouvoir qui se doit d’être l’Unique quand prendre d’autres chemins n’a jamais été aussi désirable. Là où nos sens ne demandent qu’à s’en séparer ; tout savoir, toute critique, toute différence et toute liberté sont méticuleusement comprimé.es dans un futur autoritaire. A l’heure où il est plus que nécessaire de rompre avec les racines marchandes et coloniales de notre société, l’État ne supporte plus aucune critique profonde, aucune dissidence, aucune pluralité radicale. Dans son délire autoritaire, il impose de choisir un camp : Charlie ou terroriste ? Patriote ou séparatiste ?
LISONS → Chronique de l’État Séparé
Brandir la « menace d’ultragauche » et ses « projets d’actions violentes » participe de cette stratégie. Tout comme la mémoire des victimes des attentats est souillée par le gouvernement, empaillés pour servir ses intérêts. Être gouverné sera toujours être marionnette. Samuel Paty [paix à son âme] ne restera dans l’histoire qu’une malheureuse aubaine pour un gouvernement liberticide. L’article 18 de la loi Séparatisme (censé empêcher qu’un meurtre identique ne se répète) prévoit de punir la « diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser« . Elle prévoit jusqu’à 5 ans de prison et 75.000€ d’amende lorsque la personne visée est dépositaire de l’autorité publique. Nul doute qu’elle sera utilisée pour les personnes pratiquant le copwatching ou la vigilance antifasciste. Et nul doute que cela n’empêchera pas d’autres meurtres. Le terme « séparatisme » est d’ailleurs entré pour la première fois dans le droit français en 1937, sombre époque où la police fusillait syndicalistes et communistes lors de la contre-manif de Clichy qui voulait empêcher un rassemblement d’extrême-droite
Autorisation d’un rassemblement fasciste et répression des contre-manifestant.es, ça ne vous rappelle rien ? A Rennes par exemple, c’étaient les néo-fascistes de l’action française, [les mêmes qui ont attaqué le centre culturel islamique de Villjean à deux reprises], qui tabaissaient des pro-PMA et des membres de la communauté LGBT lors de la contre-manif pour tous il y a quelques mois.
Mais il reste des gentes, dans le monde entier, que cet Ordre du monde répugne, sensibles et hostiles face aux saccages et à l’immonde. C’est ce qu’on reproche aux inculpé.es du 8/12 qui ont cela en commun, et plus que jamais aujourd’hui – de voir au-delà du mirage. C’est ce qu’ils reprochent aux militant.es en général, de tendre à faire sécession avec l’Ordre qui nous est imposé. C’est aussi ce que font les composantes de la révolution écologiste, féministe et communaliste en cours au Rojava, contre deux régimes fascistes : l’État Islamique et la Turquie. Et ce sont aujourd’hui des personnes qui militent pour ces rares « étincelles d’espoir » qui sont victimes de la terrorisation démocratique.
Soutien aux victimes de l’antiterrorisme turc, et aux centaines d’inculpé.es dans les procès de Kobanê !
Libération immédiate et abandon de la mention « terroriste » pour les inculpé.es du 8 décembre et du 23 mars !
Pour que le monde ne devienne pas une prison : Abrogation des lois Antiterroristes, Abolition de la Police, de la Prison et du système Pénal !
Jin, Jiyan, Azadî !