Depuis le début des mobilisations contre la sélection à l’université, les syndicats lycéens (UNL, SGL, FIDL) et les partis (FI, NPA) essaient de reprendre la main et le monopole dans les lycées, qu’ils avaient largement perdu à Paris pendant la loi travail, en 2016 - au profit d’un désir d’organisation autonome et d’un profond rejet des bureaucrates de tous âges. Tandis que le printemps 2016 nous laissait présager leur effondrement, le sursaut des organisations est-il réel, ou n’est-il que la représentation de la mort trop lente des fiers représentants d’un ordre social en décomposition ?
Si leur réapparition demeure relativement incertaine, ils ont le monopole des manifestations sur Paris, continuent de recruter dans les lycées, jouissent de l’absence de tout conflit réel. Depuis début 2018, les manifestations sont, non seulement contenues dans une large et discrète nasse policière empêchant toute déviation, tout dépassement du cadre de la manifestation au sein de celui-ci, mais sont avant tout organisées, encadrées et dominées par les organisations. Depuis combien de temps n’a-t-on pas vu des lycéen.ne.s partir spontanément en manif sauvage, se libérer de l’encadrement syndicalo-policier ? On se souviendra même du service d’ordre de la France Insoumise empêchant des lycéen.ne.s de rejoindre la tête de la manifestation du 1er février, à Paris. Et pourtant, le service d’ordre fut battu.
Au-delà des traditionnelles collaborations, récupérations, trahisons, etc., certains partis et syndicats ont parfaitement compris que la donne avait changé, qu’il leur fallait changer de position apparente afin de redevenir désirable - de donner l’impression d’une consistance. Dès novembre, lors d’une réunion inter-syndicale, un cadre de la France Insoumise expliquait leur volonté de s’implanter dans les lycées « en s’inspirant des méthodes et de la radicalité qui avaient fait la réussite du MILI ». Apparemment, il suffirait de susciter "la révolte endormie des quartiers populaires", de réveiller l’insoumission électoraliste donc.
Dans leur errance habituelle, les syndicats lycéens franchirent en février un nouveau cap, en s’essayant à de nouvelles manœuvres politiques. Satisfaits d’une mobilisation faible et vaine pendant tout le mois de février - leur conférant néanmoins un certain sentiment d’existence - les syndicats lycéens, étudiants et la Coordination Nationale de l’Éducation décident d’appeler à une mobilisation le 15 mars, plutôt que de se concentrer sur la date commune du 22 mars - la manifestation rassembla ainsi quelques 200 manifestants. S’apercevant que nous décidons de ne pas les suivre, ceux-ci sortent conjointement un événement Facebook dans lequel le texte n’est qu’un copié-collé de celui de notre événement du 15/02. Sans modifier les dates, ceux-ci se félicitent donc - le temps de quelques jours, l’événement étant supprimé après cinq jours - d’un cortège de tête déterminé et appellent aux dépassement des « simples revendications syndicales » et à la fin de l’Université. Savoureux. Mais, à quoi se sont-ils essayés ici ? Preuve supplémentaire de leur profond égarement politique ou étrange et maladroite tentative de récupération, là n’est pas tant la question.
Et pourtant, dans la brume, une étrange mais d’abord agréable surprise nous rassura. Début février, une coordination lycéenne souhaitant coordonner l’action des lycées d’Ile-de-France "sans étiquette" apparut soudainement, afin "d’étendre la mobilisation". Que cela émane de nous ou pas, que cela soit tardif ou pas, peu importe, des lycéen.ne.s voulaient apparemment s’organiser là où nous avions décidé de raréfier les assemblées lycéennes, dont l’utilité nous paraissait - et nous paraît toujours - très limitée, car trop limitantes. Mais, quelque chose n’allait pas avec cette coordination qui se rassemble à l’ENS et qui reproduit un discours similaire à celui des organisations syndicales, propose les mêmes schémas militants. Effectivement, la coordination lycéenne d’Ile-de-France a été créée et est gérée par des étudiant.e.s du NPA - et ceux-ci ne se cachent même pas de chercher à gonfler les rangs du parti.
« Tout mouvement social rencontre comme premier obstacle, bien avant la police proprement dite, les forces syndicales et toute cette microbureaucratie dont la vocation est d’encadrer les luttes. Les communes, les groupes de base, les bandes se défient spontanément d’elles. C’est pourquoi les parabureaucrates ont inventé depuis vingt ans les coordinations qui, dans leur absence d’étiquette, ont l’air plus innocentes, mais n’en demeurent pas moins le terrain idéal de leurs manœuvres. Qu’un collectif égaré s’essaie à l’autonomie et ils n’ont alors cesse de le vider de tout contenu en en écartant résolument les bonnes questions. »
L’insurrection qui vient, Comité invisible
Il s’agit donc de ne plus s’égarer. De se retrouver enfin.
Il nous faut être lucide, la situation dans les lycées n’est que le reflet de l’agonie généralisée de toute force autonome sur Paris. Nous nous répétons constamment qu’il nous faut nous libérer de l’éternel constat du printemps 2016 - se libérer de l’événement -, mais comment peut-on avoir déconstruit autant et en être revenu là aujourd’hui ? C’est à croire que rien ne s’est passé, qu’à présent tout pourra passer. Les désirs de destitution des syndicats lycéens & étudiants sont bien loin, et ces derniers en profitent pour se réaffirmer. Sortir des ruines et tout reconstruire.
Mais, nous avons l’avantage des corps. Nous avons une présence là où ils ne sont que des ombres creuses - jamais ils n’habiteront nos lycées et nos facs avec leurs tracts et leurs AGs édulcorés. Nos rencontres sont plus fortes que leur palabre, il s’agit d’en jouer, de les multiplier. De faire corps afin de re-prendre nos lieux d’étude, et par prolongement, la rue.
Il est maintenant indéniable que les syndicats lycéens et étudiants et les partis qui gravitent autour sont vides de toute consistance politiquement vivante, se contentent de se faire les garants d’un ordre qui les entretient, et envers lequel il ne s’agit surtout pas de produire un discours subversif, de se confronter. Leurs mécanismes de lutte ne font que reproduire les mécanismes de domination propres au pouvoir, desquels tout débordement est de suite canalisé, neutralisé. Ils ne sont donc pas des amis, il n’est pas question de s’organiser avec eux, de négocier avec eux, pas même de les utiliser - plutôt les révéler pour mieux les défaire. Déraciner le vieux monde.
Commencer à ouvrir des brèches, attaquer stratégiquement. On se souvient d’un événement loin d’être anodin - en novembre dernier, nous décidons de nous rendre à une réunion nationale inter-organisations - qui rassemblait l’UNEF, Solidaires étudiant, l’UNL, la SGL, les JC, le NPA, la FI, EELV, le Front Social, etc. - dont l’objectif était de réfléchir aux débuts d’un mouvement contre la sélection, ou plutôt de s’enorgueillir de la ratification commune d’un appel. Ils voulaient un cortège, nous voulions une date. Ils voulaient un appel, nous ne voulions rien. Certes, le Front Social, Solidaires et la SGL commencèrent à se ranger de notre côté, mais les JC quittèrent la réunion, l’UNEF se sentit attaquée - et finalement, un mot fut modifié sur un énième appel. C’était une première victoire, les jeunes bureaucrates se sentirent menacés et contre-attaquaient vainement. Apparemment, nous étions « désorganisés », « hors du périmètre ». Il fallait nous interdire l’accès aux réunions à venir.
Hors du périmètre, c’est bien là qu’il nous faut agir, nous organiser. Inutile d’infiltrer leurs réunions, de perdre notre temps à les attaquer, à user de leurs méthodes. Leur chute ne dépendra que de notre organisation, de notre capacité à les vider de toute crédibilité politique, à proposer des modèles vivants et autonomes dans nos lycées, dans nos facs et ailleurs. Jusqu’à ce que nous n’ayons plus à écrire d’articles - à les considérer.
Nous appelons ainsi toutes les franges de la jeunesse, ainsi que les professeurs et toutes les personnes concernées à :
- bloquer ou occuper leur lycée/fac le 22/03.
- rejoindre la manif lycéenne & étudiante (11h Nation, pour rejoindre les cheminots à Gare de l’Est en passant par le boulevard Voltaire puis Magenta).
- prendre la tête de la manifestation inter-syndicale nationale des cheminots (13h Gare de l’Est).
- s’organiser localement au sein de leur établissement dès la rentrée (assemblée générale, comité d’action, etc.).
- se joindre au personnel mobilisé de leur établissement (professeurs, AED, ATOSS, etc.).
Rendez-vous dès 11h, place de la Nation.