J’écris cet article alors que nous recevons les résultats du vote des chiliens émigrés, et que les files d’attentes s’agrandissent aux portes des bureaux de votes. Ce sera sans surprise une écrasante victoire du changement de la Constitution chilienne par une Assemblée Constituante.
En tant que migrant français au Chili, il me parait important de tenter de prendre de court les récupérations et les interprétations politiciennes fallacieuses qui viendront sans tarder après le référendum de ce dimanche.
La Victoire ?
À la suite de ce vote, un seul acquis : la réécriture de la Constitution chilienne par une Assemblée Constituante. La Constitution est la loi fondamentale qui fixe l’organisation et le fonctionnement de l’État. Elle contient notamment de grands et beaux principes qui, souvent, restent ce qu’ils sont et n’engagent à rien. À preuve la Constitution française, qui proclame :
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.
Constitution Française de 1958, Article premier.
Je crois pour ma part que la mise en pratique de ces principes s’obtiendra par la rue plus que par les urnes, tout comme ce fut d’ailleurs le cas de ce référendum.
Cependant, les résultats de ce vote seront certainement un point de départ à d’importants changements structuraux. C’est une barrière qui tombe tant les projets de loi progressistes rejetés au nom de leur inconstitutionnalité ont été nombreux. Ce vote permettra de mettre fin au verrou de l’ex-dictateur Pinochet.
La Révolution citoyenne
Il y a exactement un an, Jean-Luc Mélenchon, dans sa 99e revue de la semaine, osait dire :
Les gilets jaunes servent de référence dans tous les pays, par exemple en Équateur et au Chili […] et la contagion va s’étendre au monde entier.
On pourrait cependant remarquer qu’au Chili, ce sont les conservateurs qui portent des gilets jaunes au nom de la défense des grandes enseignes et des multinationales... On tord les faits pour leur faire dire ce qu’on veut. Hier les gilets jaunes étaient, d’après les politiques français, une référence mondiale de révolte sociale, et demain, le Chili sera pour eux une référence de révolution citoyenne.
Dans la bouche des politiques français, le mouvement social chilien devient une insurrection civique et pacifique, qui a d’abord lieu par les urnes. Mais la révolution chilienne rassemble tant de formes de lutte qu’elle ne saurait recevoir de qualificatif précis sans être vidée de son sens. Elle ne pourrait avoir eu lieu sans que les groupes violents et pacifistes unissent leurs forces. Tant de sabotages et d’actions directes n’auraient pu exister sans l’appui des manifestants pacifistes qui, eux aussi, loins de la première ligne, sans monter sur des canons à eau, jeter des bombes ou relancer des lacrymogènes, faisaient corps face aux forces répressives. Lorsqu’on en discute, on parle de la révolution ou de la révolte. Selon moi, ce que nous avons vécu est une révolte, ce qui sera obtenu pourrait être une révolution.
Les luttes du referendum
Comme l’a dit Ana Tijoux, chanteuse et compositrice chilienne, dans une interview accordée au journal l’Humanité :
L’irruption populaire, au Chili, n’a pas commencé le 18 octobre 2019.
Elle ne s’est pas non plus arrêtée lorsque les regards se sont détournés. L’ensemble des grands mouvements sociaux déjà présents au Chili ont poursuivi leurs actions. Les mois qui ont suivi ont été marqués par une forte contestation du test de sélection d’entrée à l’université, par la performance féministe "un violador en tu camino", par une mobilisation historique lors de la journée internationale des droits des femmes, par la visibilisation de la répression des communautés Mapuche, par la contestation face au manque de moyens des hôpitaux publics, par un grand coup porté au système des fonds de pension privés en plein milieu du confinement, etc. Enfin, bien que le mouvement n’ait pas porté de revendications migratoires, il est devenu plus difficile pour le gouvernement de stigmatiser certains migrants sur tel ou tel problème sécuritaire ou économique.
Que ce soit ici ou ailleurs, tout résumer à ce vote, c’est retirer de l’histoire son comment et son pourquoi.
L’espoir et la méfiance
La soif de justice sociale est d’autant plus grande que la répression fut brutale. Les revendications sont nombreuses et ce qui sera discuté ainsi que l’ordre des priorités dépendra énormément des conditions d’accès à la réécriture de la Constitution. Cela produit bien des incertitudes. Il y a peu, un ami chilien me disait très justement « Il [le système des fonds de pensions] pourrait aussi bien être remplacé par un nouveau système de retraites privé ». Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une Assemblée Constituante est composée uniquement de citoyens qu’elle représente une population et qu’elle garantit, de fait, l’obtention de droits égaux pour tous...
Je crois que l’Assemblée Constituante n’est pas considérée comme une fin mais comme un processus permettant de poser des jalons, notamment la fin de l’ère Pinochet.
Conclusion
Quiconque tenterait de qualifier la révolte chilienne de pur produit radical est malhonnête. Aux moments les plus critiques de la répression, la rue et les assemblées de voisins n’ont pas désemplit.
Quiconque brandit le processus constituant comme l’ultime progrès de la démocratie est un menteur. Ceux qui en France se revendiquent de la révolution citoyenne préfèrent souvent voir une urne remplie de papiers qu’une rue remplie de pavés...