Antispécisme et lutte des classes

Et si l’antispécisme c’était plus qu’un régime alimentaire, pas seulement une position morale, autre chose qu’une empathie de principe envers la souffrance ? Et si c’était une critique radicale de l’organisation sociale qu’on subit au quotidien ? Et si être antispé c’était, aussi, envisager des actions directes qui s’attaquent aux structures et aux institutions économiques, sans lien évident avec l’élevage et l’abattage d’animaux non-humain.es ? Qu’on se le dise, le véganisme capitaliste, lifestyle hipster et urbain, s’accorde aux chemises à fleurs et aux bars à jus gentrificateurs. Il rate l’essentiel : le capitalisme est aujourd’hui le moteur principal de la domination spéciste. Mobiliser ses outils pour faire cesser la domination exercée sur les animaux-non humain.es constitue une impasse. Si le capitalisme veut nous faire agir en consommateurice ou en entrepreneurice pour transformer la société, ce qui compte pour nous, c’est prendre la question sur le plan collectif et politique.

Les mots ou expressions suivis d’un * sont définis dans le glossaire.

Et si l’antispécisme c’était plus qu’un régime alimentaire, pas seulement une position morale, autre chose qu’une empathie de principe envers la souffrance ? Et si c’était une critique radicale de l’organisation sociale qu’on subit au quotidien ? Et si être antispé c’était, aussi, envisager des actions directes qui s’attaquent aux structures et aux institutions économiques, sans lien évident avec l’élevage et l’abattage d’animaux non-humain.es ? Qu’on se le dise, le véganisme capitaliste, lifestyle hipster et urbain, s’accorde aux chemises à fleurs et aux bars à jus gentrificateurs. Il rate l’essentiel : le capitalisme est aujourd’hui le moteur principal de la domination spéciste. Mobiliser ses outils pour faire cesser la domination exercée sur les animaux-non humain.es constitue une impasse. Si le capitalisme veut nous faire agir en consommateurice ou en entrepreneurice pour transformer la société, ce qui compte pour nous, c’est prendre la question sur le plan collectif et politique.

L’antispécisme, pour nous, c’est une manière de considérer les animaux non-humain.es comme ayant leur subjectivité propre et des intérêts à elleux. Ces intérêts sont parfois contradictoires avec les nôtres et nous devons composer avec en fonction des espaces qu’on partage et des manières de vivre qu’on y déploie. Pour nous, iels ne sont pas à notre dispostion, nous voulons penser politiquement nos relations avec elleux pour mettre en place une cohabitation débarrassée des rapports de dominations produits par le système spéciste. L’antispécisme va avec l’anarchie, qui, pour nous, ne s’arrête pas à l’humanité.

Le spécisme, pour nous, c’est le système de domination humain qui prend pour critère de discrimination l’espèce. L’appartenance d’un être à une autre espèce que l’espèce humaine justifie alors une domination, l’exercice d’un droit de vie et de mort sur les groupes dominés, une appropriation de leurs corps, de leurs durées de vie, de leurs destinées. Certain.es antispécistes proposent alors un autre critère de discrimination, la sentience* . Nous, on préfère penser qu’il n’y a pas de nécessité à hiérarchiser d’une autre manière le vivant, et que c’est plus intéressant de sortir de cette démarche anthropocentrique*. Sans pour autant se servir de la sentience comme un critère de discrimination du vivant, on pense qu’on peut la conserver pour comprendre la spécificité et la manière de vivre de chaque groupe non-humain, avec qui nous cohabitons, et avec qui nous avons donc des liens politiques. On en parlera plus précisément dans une prochaine brochure, si on se motive !

Actuellement, spécisme et capitalisme fonctionnent ensemble et se renforcent. Le spécisme permet au capitalisme d’exploiter les corps des animaux non-humain.es, tandis que le capitalisme, pour le profit, pousse toujours plus loin cette exploitation et les rapports spécistes objectivant qui vont avec. En plus de ça, il s’approprie une partie du discours végane, comme il s’appropprie n’importe quel marché en proposant des alternatives qui ne menacent pas l’ordre spéciste. Par exemple, les promesses « cruelty free »* de certains produits ne font que déplacer le problème : en plus de faire comme si l’enjeu c’était seulement les conditions de vie des animaux non-humain.es avant la mort et pas aussi la mort en soi (produite industriellement), il invisibilise la cruauté exercée à l’encontre des travailleureuses humain.es : un capitalisme sans cruauté, sans exploitation, c’est impossible.

Marx c’est le premier qui a théorisé la lutte des classes. Il part d’un constat : l’organisation capitaliste de l’économie divise la société en classes, dont les intérêts sont contraires, et donc en conflit : la classe prolétaire, qui n’a pour elle que sa force de travail (parce qu’expropriée et dépossédée par le pouvoir capitaliste), et la classe bourgeoise, qui détient les moyens de production (machines, usines, capitaux économiques…) et qui peut donc exploiter la force de travail des prolétaires. Alors que l’intérêt des prolétaires est de se libérer de la domination matérielle des bourgeois, l’intérêt des bourgeois est de faire du profit (et donc de maintenir l’aliénation des prolétaires par le travail), et de conserver leurs capitaux (en empêchant donc les prolétaires d’y avoir accès).

Les bourgeois sont donc la minorité dominante de la société capitaliste, les possédants. Ils possèdent non seulement les capitaux économiques (c’est eux qui ont le plus d’argent, et de biens matériels), mais sont également dominants culturellement. Ce sont eux, en tant que modèle social, (car en haut de l’échelle) qui disent ce qui est beau ou pas, ce qui est de bon goût ou pas, ce qui est prestigieux ou pas, ce qui est moral ou pas, etc. Leurs pratiques culturelles et sociales ne sont pas meilleures en soi, simplement, ils ont les moyens de les imposer comme telles, de tracer les lignes des distinctions morales, esthétiques et culturelles de la société qu’ils régissent. Dans l’autre sens c’est pareil, tout un tas de pratiques culturelles sont dévalorisées parce que ce sont celles de groupes dominés (comme le rap qui s’est longtemps fait taxer de sous-culture, avant d’être largement récupéré par des classes dominantes, et à partir de là c’est devenu ok socialement d’écouter du rap – quel rap, c’est une autre question…). La hiérarchisation des pratiques culturelles d’une société se fait donc suivant son organisation économique et politique. Par la culture, plus que des pratiques ou des goûts, ce sont des groupes sociaux qui sont valorisés ou dévalorisés. On va le voir, dans le cas des luttes véganes et antispécistes, cette question de distinction culturelle est très importante. Après, faut aussi avoir en tête que Marx c’est un vieux bonhomme, il a genre 150 ans, et entre temps quelques trucs ont changé. Durant la deuxième moitié du XXe siècle, la délocalisation de l’industrie (dans des pays plus “rentables” parce que les gens y sont plus exploités) et l’expansion du secteur des services (genre les taffs qui produisent des services plus que des biens matériels, allant des assurances aux coupes de cheveux en passant par les cours de pole dance ou la livraison) ont profondément transformé le travail, et donc l’organisation de la société telle que la décrivait Marx. Après, si la situation historique a effectivement changé, le bagage théorique de Marx est toujours pertinent pour appréhender comment le système productif détermine l’organisation de la société en classes. Y’a toujours une classe dominante bien identifiable, bien consciente d’elle-même (les patrons des grandes entreprises, les politiciens…) et bien organisée, de l’autre côté c’est devenu moins évident à cause de l’évolution du travail, et parce que c’est allé avec toute une propagande idéologique qui a malheureusement fait ses preuves, fondée sur l’individualisme et le mérite : c’est le néolibéralisme, tu galères mais t’inquiètes, si tu taffes deux fois plus que les autres, t’auras peut-être la chance d’être le seul de tes potes en galère à accèder à une position sociale et économique confortable. Cimer.

Dans cette articulation spécisme/capitalisme, des travailleureuses humain.es sont particulièrement impacté.es. C’est le cas par exemple dans les abattoirs où le rythme et l’organisation du travail amènent des conséquences psychologiques et physiques désastreuses, notamment parce que l’objet du travail vit bel et bien, se défend, etc. C’est parce que spécisme et capitalisme ne fonctionnent que trop bien ensemble qu’il nous semble nécessaire de mener de front les luttes anticapitalistes et les luttes antispécistes. C’est en tout cas ce que ce texte essayera de proposer. Ca va être un peu long, mais franchement, ça vaut le coup. Bonne lecture !

Cette brochure a été écrite à partir d’une rencontre sur le même thème, qui a réuni autour de 100 personnes (selon les organisateurices), dans un squat d’organisation politique en Île-de-France. Les différentes parties de la brochure correspondent aux différents groupes de discussions qu’on a constitués sur le moment, en fonction des thèmes qui nous semblaient intéressants. On a ensuite développé les réflexions au sein de notre groupe, en les mettant en lien etc, mais la matière de base est donc largement collective !

• L’utilisation de l’expression « animaux non-humain.es » plutôt que celle d’« animaux » permet de rappeler qu’il n’y a pas d’un côté les humain.es et de l’autre les animaux. En écrivant comme ça, on veut prendre nos distances avec la distinction binaire entre nature et culture : les humain.es sont une formes de vie parmi les autres, les isoler du reste permet surtout de justifier leur domination. On en reparle plus tard dans la brochure !

• Dans cette brochure, on utilise l’écriture inclusive (y compris pour parler des animaux non-humain.es), parce que pour nous le neutre c’est l’écriture inclusive, pas le masculin.

• Le groupe qui a écrit la brochure est pour la plus grande partie de ses membres privilégié du point de vue de la classesociale (petite bourgeoisie/classe moyenne, parfois avec un capital culturel important). Quasiment tous les membres du groupe ont fait, ou font, des études supérieures finies ou non. Certain.es d’entre nous bossent, mais personne n’est travailleureuses d’abattoirs.

Véganisme bourgeois, individualisme et capitalisme

On considère qu’il y a trois modes de consommation qui veulent se passer de produits issus de l’exploitation animale : le végétarisme*, le vegétalisme* et le véganisme*. C’est souvent à partir de ces différentes pratiques que l’antispécisme est compris et discuté. Lorsque ces formes de consommation individuelle visent la pureté à tout prix, elles perdent leur potentiel politique et se retrouvent destinées à la bourgeoisie, s’intégrant très bien au système capitaliste. Comment distinguer, dans ces modes de consommation, l’intérêt qui est porté aux animaux non-humain.es (et dont l’impact n’est cependant pas suffisant) et les effets de ces pratiques au sein des rapports de classe ?

Les pratiques alimentaires sont un outil de distinction de classe entre riches et pauvres. Le discours capitaliste présente le véganisme comme la manière principale d’agir dans les intérêts des animaux. En plus, il crée un rapport bourgeois au véganisme : il fait croire que, par définition, le véganisme, comme d’autres rapports bourgeois à la bouffe, prend du temps, est cher, et que c’est un régime à choisir avant tout parce qu’il est bénéfique pour la planète, pour la santé, « nature ». L’industrie alimentaire ne fait que chercher de nouveaux marchés, et les produits véganes en sont un. Même s’ils sont produits industriellement, les pubs les présentent comme raffinés, légers, diététiques, et ils sont destinés à un public ciblé, plus riche, afin de s’aménager de confortables marges. À l’inverse, les industries de la viande et du lait fonctionnent pour produire en masse de la nourriture à bas prix, destinée à un public plus populaire. De plus, ce marketing invisibilise l’existence de nombreuses autres cultures culinaires véganes et non-occidentales.

En vrai, ce sont seulement certains produits transformés véganes – commercialisés dans le but d’être achetés par des bourgeois.es – qui coûtent cher : steaks végétaux de magasins bios, fromages de noix de cajou… On peut tout à fait se passer de ces produits et manger végane pas cher, en ne prenant pas plus de temps à cuisiner : par exemple, un kilo de lentilles, plein de protéines, coûte bien moins cher qu’un kilo de viande. De manière générale, les céréales (pâtes, riz, avoine…), les légumineuses (haricots, lentilles, pois chiches…) et, en moindre mesure, les légumes, coûtent moins cher que les produits carnés et les produits laitiers, et sont les 3 éléments de base d’une alimentation végane sans carence.

Si ce véganisme bourgeois coûte cher, c’est parce qu’il est majoritairement porté par des bourgeois.es, et que les entreprises le destinent à une consommation bourgeoise.

Malgré tout ça, et même si la cuisine végétalienne ne prend pas forcément plus de temps qu’une cuisine carnée, c’est vrai aussi que changer ses habitudes alimentaires, découvrir de nouvelles recettes et de nouvelles façons d’associer les aliments pour équilibrer ses repas requiert du temps, devant lequel nous ne sommes pas tous égaux.les.

Dans le cadre capitaliste, le véganisme est donc bien souvent un outil de domination de classe, une manière pour certain.es bourgeois.es de se distinguer des prolétaires pour mettre en avant une sorte de pureté individuelle, une performance éthique personnelle valorisée socialement au sein de leur classe. Le véganisme devient alors un discours culpabilisateur, parce qu’il utilise les arguments antispécistes à des fins de domination de classe : la viande c’est sale, c’est un truc de beauf qui a du cholestérol, c’est pas éthique. Les bourgeois.es reprennent des arguments qui sont parfois entendables (nous aussi on est contre le fait d’élever, d’enfermer et de tuer des animaux non-humain.es bien sûr), mais qui deviennent l’outil d’une morale bourgeoise. En plus de devenir une arme de mépris, le slogan go vegan (“deviens végane”) ne prend pas non plus en compte les relations aux animaux non-humain.es, et n’entreprend pas d’actions de transformation du système de domination spéciste : il dépolitise le rapport humain aux animaux non-humain.es.

Ces distinctions s’ancrent aussi dans l’espace. On peut presque parler de ségrégation géographique dans l’accès à la bouffe végane : dans certaines zones des États-Unis, la viande est plus accessible et moins chère que les légumes. De la même manière, dans les déserts alimentaires, il est quasiment impossible de trouver des fruits et des légumes frais. À l’inverse, les concept store véganes et hipsters participent activement à l’embourgeoisement des quartiers dans lesquels ils s’implantent, comme à Paris par exemple (dans des arrondissements comme le 17e, le 10e ou le 11e). L’esthétique et la population de ces lieux peuvent vite provoquer un sentiment de malaise, l’impression de ne pas être à sa place : en plus de la barrière des prix, cela crée une barrière symbolique à la consommation végane. Ces pratiques bourgeoises s’inscrivent dans la lignée d’autres pratiques lifestyle comme le zéro déchet*, le raw veganism*, l’alimentation bio… Difficile d’être vraiment attentif.ves aux relations avec les animaux non-humain.es quand on se contente d’adopter ces pratiques dans un monde capitaliste. Au contraire, d’autres manières de faire qui ont des finalités proches, comme manger des légumes récupérés, s’alimenter avec de la bouffe récupérée dans les poubelles ou volée*, sont marginalisées. Les premières sont portées par des personnes qui sont, par rapport à la norme bourgeoise, valorisées socialement, et les secondes sont rejetées car elles s’inscrivent dans une volonté de se soustraire au capitalisme.

L’antispécisme, comme de nombreuses autres luttes, est donc récupéré par le capitalisme. Le washing* en est un exemple : il consiste à donner une meilleure image aux entreprises, dans le seul but d’augmenter leurs profits, en prônant un soutien de façade à diverses luttes. Des marques s’affichent par exemple sensibles à la cause animale, comme on le voit dans une publicité de la chaîne de supermarchés Iceland. La vidéo décrit de façon touchante le vécu d’un orang-outang victime de la déforestation liée à la production d’huile de palme. C’est surtout une manière de promouvoir la décision de la chaîne d’arrêter d’utiliser de l’huile de palme dans les produits de sa marque. Elle continue pourtant de vendre dans ses magasins des produits d’autres marques en contenant. Ce phénomène est bien connu des militant.es antiracistes, féministes, LGBTQI+, dont l’engagement se trouve régulièrement récupéré par des marques comme Nike, Apple ou Coca Cola. Cependant, tout comme on ne va pas se dire antiféministe pour la simple raison que Nike récupère les discours féministes, il serait trop facile de discréditer les discours antispécistes du fait que les industries agroalimentaires en font un marché.

C’est pourtant ce que certain.es font : prendre comme prétexte la complicité entre un certain véganisme et le capitalisme pour disqualifier tout l’antispécisme. Jocelyne Porcher, dans son livre Cause animale, cause du capital, réalise une prouesse d’hypocrisie en associant l’entièreté du mouvement au projet de viande cellulaire porté par quelques entreprises capitalistes. Obsédé.es par la question de la viande cellulaire, une poignée d’essayistes répète régulièrement, dans Le Figaro ou à la télévision, que l’antispécisme est l’idiot utile du capitalisme. On ne connaissait pourtant pas leur engagement contre le capitalisme, et on peine d’ailleurs à trouver celui en faveur des relations avec les animaux non-humain.es. Iels sont plutôt investi.es dans la défense de l’élevage (souvent paysan), et dans la possibilité de continuer à manger leurs corps.

De notre côté, on pense qu’il faut refuser au maximum les alliances avec le capitalisme, aussi opportunes puissent-elles paraître. On pourrait en effet considérer que toute avancée en matière de bien-être animal qui serait portée par le capitalisme (normes d’élevages, d’abattage, popularisation de substituts végétaux ou de viande cellulaire) serait bonne à prendre. Mais il ne faut jamais oublier que ces avancées se font souvent en s’appuyant sur d’autres formes de domination, tant économiques que symboliques : exploitation des travailleur.euses, industrialisation accentuée de la production alimentaire, invisibilisation des conditions de cette production, mépris des plus pauvres qui continuent de s’alimenter en viande. Il nous paraît inconcevable d’encourager l’adaptation du capitalisme à la critique antispéciste qui lui est faite. Cette adaptation s’appuiera toujours sur les rapports de domination constitutifs de celui-ci. Permettre la résilience du capitalisme, c’est toujours empêcher toute portée révolutionnaire de l’antispécisme, et le réduire à sa dimension de consommation et de distinction.

Dans une société où l’antispécisme est souvent considéré comme un ensemble de pratiques personnelles liées au véganisme, nous proposons de nous intéresser aux fondements matériels de la domination spéciste dans le capitalisme. C’est depuis cette perspective qu’on pourra défaire la vision bourgeoise du véganisme et considérer l’antispécisme comme une lutte à part entière, dont les enjeux sont intimement liés aux autres logiques de domination.

Le travail animal

Pourquoi nous attardons-nous sur la question du travail des animaux non-humain.es ? Parce qu’on pense qu’une analyse de la logique du travail* peut faire apparaître plus clairement les interactions entre spécisme et capitalisme. Le travail n’est pas une catégorie neutre, il contraint les modes de vie animaux pour que ceux-ci correspondent aux intérêts capitalistes. Il paraît donc difficile d’appréhender une libération animale sans s’attaquer à la question du travail, et des formes spécifiques qu’il prend s’il concerne des humain.es ou des animaux non-humain.es.

Bien qu’invisibilisées, les situations de travail des animaux non-humain.es sont assez généralisées et plus diverses qu’on pourrait le croire : chiens de sécurité, police montée, animaux reproducteurs, traction animale, animaux de zoos, etc. Mais au-delà de cette diversité, l’entièreté de ces travaux ont un point commun : l’instrumentalisation des animaux non-humain.es par les humain.es, à des fins économiques. C’est ce que l’on peut appeler la mise au travail : la mobilisation des animaux non-humain.es dans une logique qui consiste à tirer profit du monde vivant pour créer de la valeur*. Cette mise au travail est double : d’une part, l’exploitation de la force de travail des animaux non-humain.es – par la traction animale, la balade en chameaux, le travail de gardiennnage – ; d’autre part, l’appropriation des corps – par leur achat, leur « production », leur vente, mais aussi par des pratiques comme l’insémination artificielle et la reproduction forcée.

La particularité du travail des animaux non-humain.es est qu’il est invisibilisé et gratuit, contrairement au travail salarié humain. Pour le comprendre, il est intéressant de faire le parallèle avec le travail domestique féminin, lui aussi considéré comme une évidence naturelle et donc non-rémunéré ; il serait alors dans la nature des animaux non-humain.es, comme des femmes, d’être assigné.es à certaines tâches, sans contrepartie ni reconnaissance.

Des corps vivants d’animaux non-humain.es sont ainsi enfermés par la machinerie capitaliste de mise au travail, appropriés et exploités gratuitement. Nos relations aux animaux non-humain.es sont donc aliénées* par le capitalisme, et cette aliénation nous empêche d’envisager des relations où chaque espèce est libre d’être au monde selon sa spécificité.

Alors, comment remettre au centre la question de nos relations aux animaux non-humain.es de façon à ce que leurs vies ne soient pas entièrement déterminées par la quête de profit ? Dans le cadre économique actuel, les éleveureuses qui « retournent à la terre » de façon à en prendre soin et qui élèvent des troupeaux en essayant d’intégrer des questions de bien-être animal, maintiennent en fin de compte les animaux non-humain.es dans une position de subordination face au capitalisme. Dans ce cadre, les éleveureuses n’ont pas une grande marge de manoeuvre : en effet, cette relation a principalement pour objet la vente des corps animaux pour leur chair. Toute tentative d’améliorer le bien-être des animaux non-humain.es n’est alors qu’un aménagement de la relation spéciste, où les intérêts fondamentaux des animaux non-humain.es sont niés. Le destin des animaux non-humain.es reste déterminé par des logiques productivistes, ce qui rend impossible la liberté des êtres et des rapports entre animaux humain.es et non-humain.es, comme on le voit chez certain.es éleveureuses de vaches en plein air qui déterminent d’office la date de mise à mort de ce qu’iels considèrent comme leurs vaches.

On retrouve ici des logiques similaires à celles qu’on peut voir dans le travail strictement humain : le patronat agit comme s’il avait à cœur de collaborer avec les travailleureuses, en leur promettant des améliorations de conditions de travail. Évidemment, c’est important, parce que cela comporte une amélioration concrète de la vie des personnes exploitées. Mais en fin de compte, améliorer les conditions de travail, c’est ne pas remettre en cause le fondement même du travail, de l’exploitation, de l’appropriation. De la même manière, l’aménagement des cages et la liberté du pâturage est largement insuffisante : il faut voir dans quelle mesure on peut transformer les relations entre humain.es et non-humain.es, pour que les animaux non-humain.es, aujourd’hui mis.es au travail, puissent réellement faire communauté politique avec nous.

Dès lors, la question qui se pose à nous est la suivante : comment envisager des relations aux animaux non-humain.es en-dehors des systèmes d’exploitation et d’appropriation capitalistes, pour appréhender une cohabitation qui prenne pleinement en compte les différentes manières d’exister d’une multitude d’espèces différentes ? Il nous apparaît nécessaire, tout d’abord, de sortir de la surdomestication, situation où l’espèce humaine a enlevé toute possibilité d’autonomie aux animaux non-humain.es : iels y perdent leurs aptitudes à se défendre, à trouver de la nourriture, à se reproduire… Ça veut pas dire qu’on veut pas nouer de relations de protection ou de care interespèces, mais qu’amené à un certain stade de dépendance ça devient de l’aliénation. Par exemple, suite à des siècles de surdomestication dans l’optique de faciliter le contrôle humain sur les brebis, ces dernières sont rendues aujourd’hui, pour la plupart, incapables de fuir le loup. Pourtant, leurs ancêtres les mouflons n’avaient aucunement besoin de chiens ou de bergers pour se protéger des prédateurs. Chez certaines vaches des problèmes physiques amènent à ce qu’elles ne puissent plus qu’accoucher par césarienne, les veaux étant bien trop gros pour sortir par voies naturelles.

Avoir discuté de la relation aux animaux non-humain.es comme celle d’une relation de travail nous permet de déjouer l’idée selon laquelle éleveureuses et animaux non-humain.es sont lié.es par un contrat domestique. Le contrat domestique est l’idée qu’il existe une relation mutuellement bénéfique entre éleveureuses et animaux non-humain.es, et qu’en échange de soins, les animaux non-humain.es donnent leur vie aux éleveureuses. Cette naturalisation et idéalisation de l’élevage ne s’intéresse pas aux rapports de pouvoir qui existent dans les relations entre humain.es et animaux non-humain.es. Au contraire, l’idée de contrat domestique naturalise l’ordre établi et tente de le justifier. Invoquer l’idée de contrat domestique, c’est nier que les animaux non-humain.es servent en premier lieu les intérêts économiques des éleveureuses (dont nous avons dit qu’iels étaient elleux-mêmes contraint.es par la logique de la valeur), et qu’au sein de cette logique les animaux non-humain.es occupent une place de propriété, c’est-à-dire qu’iels sont soumis, dans le droit, au régime des biens et donc à l’arbitraire de leur possesseur.ice.

C’est plus facile à dire qu’à faire mais il nous paraît essentiel que, dans un monde post-capitaliste, les relations avec les animaux non-humain.es ne soient pas façonnées par le travail de celleux-ci : il n’y aurait alors pas de production de valeur, ni d’exploitation, ou d’approriation. C’est sous le prisme de la liberté et de l’autonomie que nous voulons considérer les relations aux animaux non-humain.es hors du capitalisme. Dans cette perspective, la question du travail des humain.es est également importante et particulièrement celleux qui travaillent dans ce qu’on appelle, dans cette brochure, les métiers du spécisme.

Les travailleureuses du spécisme

Quels sont les métiers du spécisme ? Par métiers du spécisme nous entendons tous les métiers qui comprennent un rapport de domination humain.es/non-humain.es ayant pour but de servir des intérêts humains. Élevage, abattage, boucherie/restauration, transformation agro-alimentaire, pêche, zoo/cirque… Dans cette partie, on se concentrera principalement sur les métiers impliqués dans l’élevage et l’abattage des animaux non-humain.es que l’on appelle de « rente » : ovins, bovins, poulets, cochons. On mange leurs corps, leur lait, leurs oeufs. S’intéresser aux autres métiers impliquant un rapport de domination spéciste mériterait sans doute une attention particulière, et on y reviendra probablement dans d’autres textes !

Le travail en abattoir

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque les conditions de travail de celleux qui produisent la viande que nous consommons ? Nous nous appuyons ici sur le cas des ouvrier.es des abattoirs, décrit dans Steak Machine, enquête menée par un journaliste ayant travaillé dans un abattoir industriel en Bretagne. Nous pensons qu’il est important de comprendre les conditions dans lesquelles est produite la viande, pas seulement du point de vue des horreurs qui sont perpétrées dans les abattoirs envers les animaux non humain.es, mais aussi parce que les travailleureuses d’abattoirs subissent une forme particulièrement hardcore de travail capitaliste, ce qui rend d’autant plus nécessaire le fait d’intégrer une perspective anticapitaliste à la lutte antispéciste.

L’abattoir est une institution peu connue de notre société, alors qu’elle est l’une des premières à avoir expérimenté la production à la chaîne, et qu’elle a inspiré Henry Ford pour sa production d’automobiles au début du XXe siècle. Connaître le travail dans un abattoir, c’est pouvoir lier le destin de milliards d’animaux non humain.es, mais aussi de millions de travailleureuses, avec le fonctionnement général du capitalisme industriel. Le rapport Stivade, qui s’intéresse aux conditions de travail et à la santé des travailleureuses dans l’industrie de la viande, est sans appel. 89% des hommes et 92% des femmes travaillant dans les abattoirs souffrent de Trouble Musculo-squelettiques (TMS) : douleurs aux articulations, tendinites, canal carpien… L’exposition à l’humidité et à la saleté provoquent également des épisodes récurrents de toux et vomissement. D’une manière générale, la cadence extrêmement élevée est la cause d’une importante détérioration de la santé des travailleureuses : mal de dos, taux de cancer élevé, consommation importante de drogue et d’alcool pour pouvoir mieux supporter cette violence. L’un d’entre elleux souligne dans Steak Machine que « le chronomètre est omnipotent ». Le management par la pression et la compétition entre les travailleureuses engendre un stress important et rend les emplois très précaires. L’organisation tayloriste (c’est-à-dire à la chaîne et chronométré) et néolibérale du travail est donc, dans le cas des abattoirs, particulièrement aboutie, particulièrement destructrice. Beaucoup soulignent que la majeure partie de l’activité n’est pas montrable, et que toustes les ouvrier.es ne sont pas capables de travailler à la tuerie. Dans l’abattoir sur lequel enquête l’auteur de Steak Machine par exemple, la tuerie est cachée par des cloisons, ce qui correspond à la dynamique générale d’invisibilisation de la violence des abattoirs : progressivement écartée des centre-villes et enfermée dans des hangars au cours du 19e et 20e siècle, la mise à mort des animaux non-humain.es est ainsi occultée de manière croissante. La violence du travail en abattoir est le résultat d’une contradiction fondamentale entre deux choses. D’un côté, la volonté d’humaniser (rendre moins brutale) la mise à mort des animaux non humain.es, allant avec le mythe de l’épanouissement au travail et, de l’autre, le maintien d’une violence spéciste bien réelle affinées par des mécanismes techniques censés mettre à distance les animaux non-humain.es des travailleureuses, ces dernier.es étant exploité.es pour le profit d’une industrie qui se cache de plus en plus, et se défend contre celleux qui veulent dénoncer sa réalité. En gros, si l’évolution technique du travail d’abattage a rendu ce dernier moins engageant physiquement, plus net et moderne (aussi moralement), elle a surtout permis d’accentuer les cadences en rendant d’autant plus machines les ouvrier.es – et d’autant plus trash le travail , dans une perspective de rentabilité capitaliste.

Le travail dépossède de la question du spécisme

La question de la condamnation morale du travail spéciste est un premier problème dans la réflexion antispéciste. Au vu de la violence produite, toute personne acceptant d’y contribuer devrait-iel être condamné.e, seulement sur la considération que personne ne devrait contribuer au meurtre ou à l’exploitation de n’importe quel animal non-humain.e ? Nous pensons que cette façon de considérer la violence spéciste masque les mécanismes de la division du travail au sein du capitalisme. La répartition des activités n’est pas souvent due à des volontés propres aux individus. Le cas des ouvrier.es des abattoirs, ou de l’élevage, est celui qui nous intéresse ici, car souvent, la domination spéciste qui engage ces travailleureuses ne peut être une question morale, elle est une question de survie. Ainsi, le travail oblige parfois à exploiter d’autres animaux, humain.es ou non-humain.es, parce qu’il rend dépendant de la manière capitaliste d’assurer la subsistance : la domination.

Pour les travailleureuses de l’élevage et de l’abattage industriel, accepter des idées spécistes et les défendre permet de mettre en place des mécanismes de survie psychologique et physique. Mettre à distance la sensibilité et la souffrance des animaux non humain.es, oublier la violence qu’on fait subir à d’autres êtres vivants, considérer l’animal non humain.e comme un ennemi qui refuse de se soumettre : voici un ensemble de stratégies qui permettent de supporter un travail répétitif et difficile. Autant de voiles ou d’œillères que les travailleureuses utilisent dans les élevages et abattoirs industriels pour rendre ce travail plus ou moins supportable. D’autre part, les employé.es d’abattoirs sont souvent pointé.es du doigt pour ne tenir que très peu compte du « bien-être animal », malgré le fait que le travail d’abattage soit régi par un ensemble de normes qui sont censées en tenir compte. Pour autant, une partie des gestes qui permettent de gagner du temps et de respecter les cadences sont contradictoires avec les exigences apparentes de respect du bien-être animal : il est rarement possible de se permettre de vérifier qu’un étourdissement a réussi, ou qu’un geste est effectué selon les normes. En un sens, le travail industriel transforme les normes de respect du bien-être animal en contrôle sur les travailleureuses, en accentuant le poids du chronomètre.

De plus, ce rapport au travail entraîne une professionnalisation des rapports aux animaux non-humain.es, ce qui dépossède activement la population de la manière dont celleux-ci sont traité.es, et peut donc empêcher la réflexion de chacun.e sur le sort de ces animaux non-humain.es. On entend par exemple souvent que la sensibilité à la souffrance animale serait un fait urbain, détaché des réalités concrètes de la vie et du travail en milieu rural. Selon nous, le rapport humain.e/non-humain.e est politique et ne concerne pas que les professionnel.les du secteur, la professionnalisation devenant un argument d’autorité lors des discussions sur la question. Cette dépossession est plutôt le fait des groupes de pression, syndicats d’éleveureuses et de patrons d’abattoirs, que des travailleureuses elleux-même. Étant donné ce que produit psychologiquement et physiquement ce croisement infernal entre traitement spéciste des animaux non-humain.es et logique de rentabilité, les travailleureuses sont à notre sens des allié.es potentiel.les avec qui s’organiser pour lutter contre les industries spécistes.

Le capitalisme et le spécisme comme ennemis

Nous pensons que c’est la place que les personnes occupent dans le rapport de production qui importe. Par exemple, la différence est immense entre un patron d’une multinationale et un.e ouvrier.ère d’abattoir. Selon cette idée, il faudrait dépasser la seule condamnation morale concernant le spécisme, et plutôt penser la dépossession face au capitalisme. Le.a travailleureuse, en s’intégrant à la production, n’a pas de pouvoir sur l’organisation de la production, mais se contente de louer sa force de travail au service du profit. La responsabilité morale de telle ou telle activité de production ne concerne pas de la même façon toutes les parties prenantes, mais pèse sur celleux qui ont le pouvoir d’influencer les conditions de la production : les capitalistes. La responsabilité vis-à-vis du spécisme est tout à fait différente quand il y a un intérêt à le reproduire pour garder ses privilèges (économiques, marchands…). Ces personnes, ou grandes entreprises, ne sont pas disposées à faire changer la production puisque ce n’est pas dans leurs intérêts. Ces intérêts sont d’ailleurs collectifs, et n’autorisent aucun changement éthique de la part d’un.e capitaliste isolé.e : il est dans l’intérêt de classe de celleux qui exploitent de réduire les coûts du travail (les salaires, la protection sociale) et d’augmenter les profits. Dans le jeu de la concurrence, le changement ne peut provenir que par une opportunité marchande. Sortir du spécisme avec l’aide des capitalistes se fera donc toujours par la possibilité d’engranger un profit plus grand sur le travail d’humain.es : voulons-nous sacrifier une lutte pour une autre ?

Nous pouvons en déduire que, quand on parle des métiers du spécisme, il y a bien deux rapports de domination distincts, qui sont relativement autonomes l’un par rapport à l’autre. Dans un travail spéciste se lient la domination spéciste (travailleureuses humain.es ayant accepté la légitimité de la domination humaine sur les animaux non-humain.es), et la domination capitaliste des rapports de classe (à quel point le travail est subi, imposé par une organisation sociale qui pose le travail – y compris injuste ou inutile – comme condition nécessaire à une vie décente). La lutte contre seulement l’une ou l’autre de ces dominations n’est pas suffisante pour nous. On ne peut pas non plus souhaiter un élevage libéré des rendements, mais qui continuerait d’exploiter et de vendre des corps d’animaux non-humain.es sous prétexte d’un prétendu « contrat domestique » que l’éleveureuse aurait signé avec “ses bêtes”. On sortirait des logiques capitalistes, mais pas du tout des logiques spécistes. La lutte contre chacun de ces systèmes de domination séparément est insuffisante pour nous, et il nous semble nécessaire de les lier. En effet, nous ne voulons pas accepter l’exploitation des animaux non-humain.es, même éloignée du capitalisme, parce que que nous n’avons pas besoin de ça pour notre alimentation et nos pratiques (déplacements, plaisir, agriculture). S’il est si difficile pour de nombreuses personnes de se détacher de l’exploitation des animaux non-humain.es, ce n’est pas uniquement parce que ces personnes sont fondamentalement spécistes. C’est plutôt que dans le monde capitaliste, nous dépendons du travail, et que celui-ci est intimement lié à l’exploitation des animaux non-humain.es.

Face à un tel constat, que faire pour allier antispécisme et anticapitalisme ? De nombreux groupes antispécistes se sont introduits dans les abattoirs pour documenter les conditions dans lesquelles vivent et meurent les animaux non-humain.es. Bien que ces actions aient été très utiles pour sensibiliser aux enjeux de traitement des animaux non-humain.es, elles rencontrent les limites posées par le capitalisme : ni les “prises de conscience” et les “alertes à l’opinion”, ni même les injonctions à consommer mieux ou à formuler des demandes aux entreprises, ne semblent pouvoir changer les rapports matériels à l’origine de l’exploitation. Nous pensons que l’une des questions à poser serait plutôt celle-ci : comment créer des alliances et des structures capables de mettre matériellement à mal l’industrie spéciste ? De nombreuses idées et perspectives sont encore à créer. Des grèves pourraient être menées avec les travailleureuses, dont l’horizon serait la fin de l’exploitation, pendant lesquelles on pourrait envisager d’autres pratiques de subsistance et d’autres relations aux animaux non-humain.es. Les humain.es et les animaux-non humain.es seraient ainsi libéré.es de l’aliénation propre au travail capitaliste.

Lutter contre le spécisme, c’est donc lutter contre le capitalisme, car c’est remettre en cause le système de pensée à l’origine de la valeur des choses et des êtres. C’est par exemple considérer une vache non plus selon sa capacité à produire une quantité donnée de lait (ça, c’est une valeur extérieure à la vache), mais selon son existence en tant que telle, pour elle-même, suivant ses propres réalités et sa propre subjectivité. La considérer hors de logiques marchandes, c’est déjà remettre en cause fondamentalement les logiques capitalistes qui déterminent le regard spéciste que l’on porte sur les animaux non-humain.es.

Lier luttes antispécistes et lutte des classes : une pratique émancipatrice

Comment faire, donc, pour que la libération animale ne soit pas qu’une question de bourgeois.ses, réappropriée par le capitalisme d’un côté – à travers l’industrie végane –, et par ses consommateurices de l’autre, pour servir une disctinction sociale entre celleux qui sont pur.es et celleux qui ne le sont pas ? En d’autres termes, comment faire des luttes antispécistes un espace qui articule une diversité de vécus de classe et de rapports au monde, plus ou moins marqués par des privilèges économiques et sociaux ?

L’antispécisme est un espace de lutte peu mixte du point de vue de la classe sociale, les personnes qui s’y engagent proviennent – de nos expériences et connaissances – majoritairement de milieux privilégiés favorisant le fait de libérer du temps pour réfléchir, s’informer et lutter en faveur de la libération animale. Posé comme ça, ce constat pourrait amener à penser deux choses : que les humain.es n’ont globalement pas d’intérêt matériel à lutter contre le spécisme ; et qu’en conséquence, seul.es celleux qui ont le temps de lutter – comme par altruisme – pour d’autres qu’elleux-mêmes, peuvent le faire.

Malgré l’état de fait actuel concernant la composition du milieu militant antispéciste, est-ce que des groupes humains n’auraient pas en fait intérêt à lutter contre le spécisme ?

Pour nous, y’a une sorte de premier mouvement à commencer, interne à l’antispécisme, qui consisterait à caractériser l’antispécisme suivant un positionnement politique intersectionnel défait de l’empreinte bourgeoise qui le suit trop souvent. Il ne s’agit pas que de défendre les animaux parce que c’est bien (moralement bien, selon une morale bourgeoise), encore moins de blâmer la consommation de viande parce que c’est mal ; il s’agit plutôt de défaire un système de domination basé sur ce qu’on appelle l’espèce, touchant premièrement les animaux non-humain.es mais s’étendant aussi à des groupes humains.

L’humanisme, une matrice commune des dominations : la création de l’« humanité » en opposition à l’« animalité », et l’animalisation des classes populaires

Même si ça nous paraît difficile de trouver une cause unique aux systèmes d’oppression qui structurent la société dans laquelle on vit (ici, on parle de la société française actuelle, en tant que société occidentale du XXIe siècle), l’idéologie humaniste, qui a vu le jour aux environs du XVIe siècle en Europe, paraît être un moment de la modernité qui a légitimé et permis beaucoup des systèmes de domination tels qu’on les connaît aujourd’hui. Définir l’humanité en opposition à l’animalité, et ce depuis une position de domination (blanche, cis, hétéro, masculine, valide etc), c’est en fait mettre au point un critère à partir duquel juger celleux des vivant.es qui font partie de la catégorie des humain.es, et celleux qui, d’une certaine manière, ne le méritent pas. C’est mettre au point une définition exclusive de l’humanité, qui du coup exclut une partie considérable des vivant.es : selon les différents moments de l’histoire, les femmes, les personnes non-blanches, les personnes non-cisgenres ou non-hétéros, les personnes non-valides, les prolétaires… La preuve, on a toustes en tête des insultes racistes, sexistes, homophobes, validistes, classistes etc, qui renvoient les personnes appartenant à des catégories dominées de genre, de classe, de race etc, à l’animalité.

En fait, on dirait qu’avec l’humanisme, l’animalité est devenue une sorte de repoussoir, la catégorie du vivant à laquelle il ne faut surtout pas appartenir. Avec l’animalité, un critère de hiérarchisation et donc de discrimination entre les personnes humaines est mis au point. Mais du même coup, les animaux non-humain.es sont elleux aussi animalisé.es. En parlant d’animalité, on renvoie les animaux non-humain.es à une catégorie essentialisante*, qui ne prend pas en compte leurs individualités, alors qu’iels sont pourtant des sujets qui ont des intérêts propres, des personnalités différentes, des rapports aux mondes qui varient beaucoup selon le milieu où iels vivent, etc. En effet, il n’y a pas une animalité, mais une immense diversité de vivant.es.

Ce mécanisme spéciste qui consiste à classifier et hiérarchiser le vivant se retrouve dans beaucoup des mécanismes de domination bourgeoise sur les classes prolétaires. « Naturaliser » l’ordre social, c’est-à-dire présenter, depuis une position bourgeoise, la domination bourgeoise sur le prolétariat comme une chose naturelle et donc inchangeable, c’est quelque chose que les classes dominantes (pour l’histoire française, la noblesse puis la bourgeoisie) ont toujours fait. C’est à partir de cette idée de naturalité de l’ordre social que les ouvrier.es ont souvent été comparé.es à des « bêtes » qui ne répondent qu’à leur pulsions « naturelles » (c’est-à-dire « animales »), qui boivent trop, qui sont violentes et qui ne peuvent pas maîtriser cette violence, qui ne sont qu’une force physique de travail, interchangeable. On retrouve encore dans les discours capitalistes actuels, souvent sous d’autres formes, cette assimiliation des classes prolétaires à une animalité fantasmée. Ce discours justifie encore maintenant des mécanismes de contrôle social, à cause d’une supposée violence naturellement propre aux classes populaires, ce qui permet par exemple de déligitimer les mouvements sociaux, et toute leur expression de révolte.

L’enjeu de penser l’antispécisme à partir de la lutte de classe, et vice-versa, est donc double : il ne s’agit pas seulement de sortir d’une forme d’animalisation des classes populaires, qui légitime un ordre social bourgeois dominant, mais il s’agit aussi de remettre en question le concept même d’animalité, pour considérer les animaux non-humain.es comme des sujets politiques ayant leur propre subjectivité, et leurs propres intérêts à exister hors de systèmes de domination dont iels subissent directement les conséquences. Il y a donc un intérêt matériel à la fois pour les humain.es et pour les animaux non-humain.es à lutter contre le spécisme : de ce point de vue, l’antispécisme peut et doit être une lutte émanipatrice pour toustes.

Mettre en intersection les divers antispécismes : une pratique transclasse

Quand on parle du désir politique de mener une lutte qui soit à la fois antispéciste et anti-capitaliste, on ne parle donc pas de réformer ses modes individuels de consommation. Lutter pour l’antispécisme, c’est pas seulement manger du tofu : le véganisme est seulement l’une des nombreuses conséquences pratiques d’un engagement politique plus général, l’antispécisme. Même si le véganisme est une pratique individuelle qui peut avoir du sens, c’est surtout collectivement qu’elle peut prendre un sens politique : appliquée à un espace donné, par exemple au cours de cantines non-marchandes dans des espaces militants ou non (en prenant en compte le fait que la bouffe, c’est culturel, et que passer par là pour lutter a donc un sens politique), ou à l’occasion de piquets de grève ou de manifestations, elle peut devenir un outil efficace de mise en pratique de l’antispécisme, une manière concrète de faire rentrer cette lutte en intersection avec des mouvements plus spécifiquement liés à la lutte des classes.

Ça nous paraît important à la fois de ne pas se limiter à une pratique individuelle de l’antispécisme, de l’ordre de la consommation, mais aussi de ne pas tomber dans une démarche seulement intellectuelle ou théorique qui relève d’une manière parmi d’autres, souvent située du point de vue de la classe sociale, de se rapporter aux animaux non-humain.es. Pour nous, c’est important de faire de l’antispécisme une pratique transclasse, qui prend en compte plein de manières différentes de repenser, en pratique, le rapport des humain.es aux animaux non-humain.es et au vivant. Par exemple, les personnes qui prennent soin et hébergent ou juste cohabitent sans chercher à exterminer celleux qu’on appelle les « nuisibles » ; les personnes végétarien.nes par compassion, qui n’ont pas forcément de projet politique explicite, qui ne se disent pas forcément antispécistes, ne viennent pas forcément de classes sociales ayant accès à beaucoup de temps ou de capital culturel, éléments qui aident pourtant considérablement à penser le rapport des humain.es aux animaux non-humain.es, tout en s’assumant comme antispéciste.

Repenser et pratiquer l’antispécisme à partir de cette prise en compte des antispécismes qui ne se disent pas politiques et qui sont donc par là-même, dans une dynamique classiste, souvent invisibilisés, c’est aussi éviter une division classiste des tâches dans l’antispécisme : pendant que certain.es, ayant accès à un certain capital culturel et militant, repensent en théorie le rapport humain aux animaux non-humain.es, d’autres, qui ont moins accès à ce capital culturel et militant, prennent soin des animaux non-humain.es et mettent en pratique une cohabitation avec elleux, qui sort matériellement des logiques classiques de domination spéciste.

Par ailleurs, on est conscient.es que lutter pour l’antispécisme n’est pas toujours une position politiquement évidente : on se retrouve forcément, en tant qu’humain.es, à porter la voix de dominé.es sans être directement concerné.es. Mais stratégiquement, pour abolir l’antispécisme, les animaux ont besoin d’une lutte humaine qui vient accompagner leur résistance quotidienne réelle aux violences du système spéciste (résistance physique de tous les instants, à la mise à mort en abattoirs par exemple, cris, se laisser mourir, etc).

C’est à l’antispécisme de se rapprocher d’autres luttes de libération et de survie humaines directes, parce que c’est une lutte qui nécessite souvent plus de privilèges que d’autres : lutter pour des intérêts qui ne sont pas directement les nôtres, ça nécessite d’avoir à disposition le temps et l’espace mental nécessaires – même si on a vu qu’il y a aussi un intêret humain essentiel à attaquer le système spéciste, parce qu’il fait partie d’une matrice de domination commune, dont les effets sont directs sur les humain.es, et notamment sur les rapports de classe entre elleux.
Un antispécisme intersectionnel : les intérêts communs de la lutte des classes et de la lutte pour la libération animale

Parce que le spécisme se fait le relais de systèmes d’oppressions entre humain.es, et parce qu’il trouve ses fondements dans des dynamiques de domination également à l’origine d’autres oppressions comme le patriarcat, le racisme et le capitalisme, péter sa base contribuerait donc à péter la base d’autres systèmes de domination.

Pour nous, il n’y a pas de lutte « magique », supérieure aux autres, plus importante, qui aille de soi plus qu’une autre. Chaque mécanisme de domination est lié à d’autres mécanismes de domination (ici, le spécisme est seulement un des nombreux effets de la hiérarchisation du vivant, et de l’idée d’« humanité ». Imaginons une société anarchiste idéale, sans classes sociales : ce n’est pas pour autant que le spécisme disparaîtrait « magiquement » – de la même manière, et on l’a déjà dit, une société antispéciste et capitaliste ne nous semble en aucun cas souhaitable).

On pense que les humain.es et les animaux non-humain.es ont un réel intérêt, matériel et politique, à la mise en intersection de plusieurs luttes – ici la lutte antispéciste et anticapitaliste –, c’est-à-dire à attaquer de tous les côtés les mécanismes de domination qui pourrissent notre quotidien, dans une perspective politique résolument intersectionnelle, anarchiste et émancipatrice !

Conclusion : Abattons les abattoirs, catapultons le capitalisme !

Glossaire

Aliénées : nous utilisons ce mot dans un sens marxiste. En ce sens, cette expression désigne le processus par lequel un individu, un sujet ou une relation est soumise à des logiques qui ne servent pas ses intérêts propres, voir qui les dessert fondamentalement.

• Anarchisme : Pour nous, l’anarchisme, c’est à la fois un objectif politique et une manière de lutter pour tendre vers cet objectif. Ca comprend le fait de défaire les systèmes de domination qui organise la société, pour que chacun.e et chaque groupe ait prise sur sa vie. C’est la volonté de ne pas avoir à subir un ordre qui s’impose à nous de l’extérieur et d’en haut pour déterminer la forme de nos existences, les rôles que nous devons tenir, les places que nous devons avoir. C’est pouvoir décider de comment on réalise notre bouffe, nos maisons, nos relations et organisations sociales et politiques, ou d’autres trucs. Ca s’inscrit contre tout un ensemble d’institutions et de rapports qui actuellement déterminent nos vies par la domination : l’État, le capitalisme, le patriacat, le racisme… On pourrait développer vite fait chaqu’un d’eux, mais ça pourrait être que superficiel et on préfère prendre le temps, brochure par brochure ! Celle-ci explique bien, on espère, notre rapport au capitalisme.

Anthropocentrisme : système ou attitude qui place l’humain.e au centre du vivant et qui rapporte tout à l’humain.e. En l’occurence, utiliser la sentience c’est souvent anthropocentrique parce que ça ramène à un critère partagé par les humain.es, et donc digne de considération.

• Classification des êtres : idée qui vient de la scala naturae, qui veut dire en latin : échelle de la nature. Cette idée vient de l’Antiquité grecque (du philosophe grec Aristote par exemple, qui a inspiré beaucoup de philosophes humanistes), et elle a été beaucoup reprise au moment où l’humanisme s’est formé en tant qu’idéologie, à la Renaissance, c’est-à-dire aux environs du XVIe siècle et au XVIIe siècle. Cette manière de hiérarchiser le vivant est occidentale, elle est élaborée depuis une position dominante blanche, masculine, cis, européenne.

Cruelty free : label qui veut dire en anglais “sans cruauté”, c’est évidemment du troll.

Essentialisme : idée qui affirme que les choses/les êtres ont une essence (une sorte de nature profonde, inchangeable) : ça permet de justifier, et de naturaliser l’ordre des choses.

Freeganism : pratique qui consiste à s’alimenter uniquement à base de produits qui ne sont pas achetés (récupérés, volés)

• Intersectionnel : Une perspective intersectionnelle, c’est prendre en compte le fait que les systèmes de domination se croisent et se combinent. Ca veut pas dire qu’ils s’additionnent, mais plutôt que des conditions sociales spécifiques émergent de l’intersection entre différents schémas de domination. Une femme cis pauvre ne subira pas le même sexisme qu’une femme trans ou qu’une femmes cis riche, ni le même classisme qu’un homme. Chacun.e d’entre nous est un point d’intersection où se mêlent différents rapports de force présents dans la société : notre condition sociale est le résultat de ce mélange. De là, on peut pas penser certaines facettes sociales d’une personne sans voir les autres, car toutes s’influencent.

L’intersectionnalité, dans l’idée où on veut pas favoriser une domination en luttant contre une autre, ça veut aussi dire penser ensemble les différentes luttes comme on pense ensemble les différentes dominatons. Typiquement, si le fait de promouvoir une alimentation végane absolue exclue plein de personnes parce qu’elles sont occupées à lutter contre des oppressions vécues au quotidien, ça nous intéresse pas.

Raw veganism : littéralement “véganisme cru” : régime qui consiste à manger seulement des aliments véganes,crus et non-transformés. Concept souvent associé à une pratique de consommation bourgeoise. Ce régime est promu pour des raisons de santé, ou spirituelles.

Sentience : Pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc, à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie, et donc à poursuivre le bien-être.

Travail : Quand on dit “travail”, on ne parle pas du simple fait de faire un effort en vu de produire quelque chose. On parle de la logique, propre au capitalisme, qui conduit à ce que des activités permettent de générer du profit. Du coup, ce n’est pas que du salariat. C’est pour cela que l’on peut parler de travail gratuit féminin ou de travail animal, au même titre que le travail salarié : il s’agit de toutes les activités que l’on force à entrer dans une logique de profit, et qui du coup, n’est pas directement lié à la subsistance. Aujourd’hui, le travail est (presque) l’unique forme possible de subsistance, puisque l’on a été dépossédé de tout accès autonome aux ressources et aux moyens de production. Du coup, dire que le travail est “historiquement spécifique”, c’est dire que ça n’a pas toujours été comme ça. Les humains n’ont pas toujours travaillé, les animaux non-humain.es non plus, c’est dans le régime capitaliste qu’iels sont de force mis au travail.

Valeur : La valeur, c’est ni l’argent, ni le profit, c’est plutôt la poursuite d’une certaine logique qui gouverne les activités humaines, qui fait qu’elles sont ce qu’elles sont. En gros, la valeur c’est ce que poursuit le capitalisme. C’est celle qui, pour être générée, a besoin d’un travail toujours plus rentable, sinon celui-ci n’est plus viable. Cette logique, c’est celle qui vise à transformer de l’argent en plus d’argent, et ce, en passant par la marchandise (le fait de vendre). Du coup, c’est une sorte de fiction, parce qu’elle a pas d’existence empirique et/ou sensible. Pourtant, cette fiction dicte la façon dont toutes les activités se poursuivent. Le travail et l’argent permettent de tenir cette fiction, parce qu’ils ont le pouvoir de rendre abstrait ce qui est concret. Prenons un exemple : une chaise prend 3 heures à être produite, donc dans le capitalisme, on va attribuer la “valeur” de la chaise en tant qu’elle a pris 3 heures, et pas en tant que chaise. c’est pour ça qu’on parle d’abstraction. Dans le capitalisme, on s’en fout que la chaise serve à s’assoir, on s’intéresse d’abord au temps mesuré du travail et à l’argent généré. C’est donc pas l’usage de la chaise et son utilité qui prime dans la logique de la valeur, c’est qu’on puisse transformer la chaise en unités mesurables et échangeables dans le but de faire du profit.

Végétarisme : régime végétarien : revient à ne pas manger de viande, poisson ou fruits de mer. En gros, pas de corps animaux.

Végétalisme : régime végétalien : revient à ne manger aucun aliment d’origine animale. C’est-à-dire pas de fromage, miel, oeufs…

Véganisme : il s’agit d’un mode de vie qui rassemble le fait de tenir un régime végétalien et de ne pas porter ni utiliser de produits issus de l’exploitation animale (genre pas de veste en cuir ou de rouge à lèvre avec de la graisse de baleine).

Washing : littéralement “lavage”, “blanchissement” en français. C’est une manière de blanchir symboliquement une entreprise ou une marque, améliorer son image, en affichant des “convictions” ou un “engagement” pour une cause consensuelle. On parle de greenwashing quand des entreprises communiquent sur leur supposé engagement pour la planète, de pink washing quand elles s’affichent comme LGBTQI+ friendly, etc.

Zéro déchet / zero waste lifestyle : mode de vie zéro déchet, qui vise à limiter son utilisation individuelle de plastique à usage unique, et de déchets en général. Ce lifestyle veut se détacher du système consumériste, dans la mesure où celui-ci est à l’origine de scandales environnementaux (plastique dans les mers, micro-plastiques, incinération des déchets). Mais cette logique de consommation entre largement dans des logiques capitalistes et individualistes, qui dépolitisent entièrement la question : il porte un discours culpabilisateur, et il est inaccessible aux pauvres.

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