Ce petit texte constitue une réponse à ceux qui ont écrit la « Lettre ouverte à ceux qui pensent que participer à la Marche-de-la-dignité-contre-le-racisme-avec-le-soutien-d’Angela-Davis n’est pas un problème ». Ses rédacteurs ont répondu le 20 octobre et je leur réponds à nouveau à la fin de ce post...
Y.C., Ni patrie ni frontières
Bonjour, j’ai bien reçu votre texte avec lequel je suis d’accord sur de nombreux points. Néanmoins, il me semble que vous grossissez l’importance du PIR, surtout en la comparant à celle de SOS Racisme (qui lui bénéficiait du soutien matériel de l’État français et des médias, ce qui n’est pas un point de détail) et en expliquant que cette manif aurait une « portée bien plus large ». Le changement de perspective ne date pas de 2005, il est bien antérieur.
1. Il y a toujours eu des courants tiersmondistes, chrétiens, marxistes, socialistes ou staliniens en France. Le PIR s’inscrit dans une vieille tradition française…. ce qu’il fait semblant d’ignorer mais ses critiques ne peuvent partager la même ignorance crasse ou la même arrogance…
2. L’influence des mouvements de libération (féministes, homosexuels, ethniques, etc.) identitaires (de gauche ou de droite) date des années 60. C’est ce courant qui a commencé dans le monde anglosaxon et s’est ensuite étendu au reste de la planète. Les membres du PIR n’étaient pour la plupart même pas nés…. Donc il faut prendre un peu de distance et ne pas partager la myopie politique des Identitaires de gauche qui prétendent avoir inventé l’eau chaude et falsifient l’histoire du mouvement ouvrier et des luttes sociales, y compris les luttes des "minorités" ethniques.
3. Les défaites de la classe ouvrière européenne dans les années 70 ont permis à ces mêmes "mouvements de libération" identitaires d’occuper plus de place dans la vie politique, d’autant plus que leurs revendications (lutte contre les différentes dominations : racisme, sexisme, homophobie, etc) étaient rejetées (ouvertement ou sournoisement) par le mouvement ouvrier traditionnel (le PCF cassait la gueule non seulement aux gauchistes mais aussi aux homosexuels… ; en Italie les militantes femmes sont massivement sorties des organisations d’extrême gauche car elles étouffaient sous l’omerta masculine gauchiste , etc.)
4. La racisation de la société française a toujours existé (je l’ai connue dès que je suis entré à l’école communale, à l’âge de six ans en 1956). Le PIR n’a rien inventé et ne dit rien d’utile ou d’intéressant à ce sujet.
5. A la faveur de ces défaites de la classe ouvrière, des combats idéologiques des années 70 (attaques contre le marxisme l’assimilant au stalinisme ; attaques contre l’idée même de révolution ; affaire des "nouveaux philosophes" ; utilisation des écrits des dissidents de l’Est dans un sens véritablement anticommuniste et non antistalinien etc), et des changements intervenant dans la composition de la classe ouvrière (développement du précariat, disparition de branches industrielles entières, apparition de nouvelles structures industrielles beaucoup plus petites, de multiples formes de sous-traitance, etc.), la social démocratie française mais aussi britannique et certainement d’autres PS européens que je ne connais pas suffisamment, comme par exemple la social-démocratie néerlandaise, ont entamé un virage multiculturaliste et soutenu à fond la racisation des populations (d’où le Black, blanc, beur, la « République métissée », etc ; ou dans le contexte britannique les prébendes données par le Labour aux représentants des minorités ethniques dans les quartiers pour les acheter et les intégrer au jeu politique traditionnel)
6. Le PIR n’arrive qu’au terme d’un long processus historique qu’il n’a nullement inspiré et qu’il essaie de parasiter de façon médiatique sans avoir la moindre influence réelle sur les quartiers populaires dont il se prétend le représentant. Attaquer sans cesse le PIR ou en faire une espèce de "deus ex machina" aux pouvoirs extraordinaires, me semble une erreur (dans laquelle j’ai pu moi-même tomber). C’est un courant confusionniste, réactionnaire, mais groupusculaire. Assimiler son influence à celle de SOS Racisme me semble à la fois ridicule et politiquement inefficace.
7. Il serait plus utile de s’intéresser aux causes profondes de cette racisation de la société française menées par la gauche et la droite, l’extrême gauche et l’extrême droite. S’intéresser donc aux discriminations structurelles dont sont victimes ceux que les multiculturalistes et les Identaires de gauche de tout poil (dont le PIR n’est qu’une toute petite partie) prétendent représenter de façon démagogique.
8. Se taire sur les discriminations qui se combinent avec l’exploitation classique des travailleurs par les capitalistes ; se taire sur toutes les formes d’oppression (racisme, sexisme, homophobie) ne peut qu’ouvrir un boulevard à tous les courants identitaires petits bourgeois (le gros mot est lâché mais il est parfaitement justifié pour qualifier les Identitaires de gauche) et carriéristes. C’est recommencer les mêmes erreurs qu’ont commises les mouvements d’extrême gauche des années 60 et 70. Entre la dénonciation sectaire et le suivisme opportuniste, il existe une autre voie : celle qui consisterait à se demander comment s’articulent les différentes formes de domination et d’exploitation. Et surtout déployer toute son énergie pour que les exploités de toutes origines et de toutes croyances ne soient pas exclus des luttes de classe : soit directement ("vous ne souffrez d’aucune discrimination") soit indirectement ("vos problèmes sont secondaires » ou « la Révolution résoudra toutes ces questions » ).
Les Identitaires de gauche bénéficient d’une pub et d’un buzz sans rapport avec leur influence réelle dans la société et les luttes parce que les courants qui se réclament de la lutte de classe et de la révolution communiste n’ont pas su répondre à certaines questions fondamentales. Dénoncer les Identitaires de gauche est un travail très salutaire mais il n’a de sens que si l’on répond à ces questions à la fois sur le plan théorique et dans les combats quotidiens contre le capitalisme et l’État.
Amitiés
La suite des échanges est consultable sur le blog Ni Patrie Ni Frontière