Article initialement publié le 28 avril 2019 à l’occasion des 230 ans de ces événements.
Le 28 avril 1789, la révolution commença ainsi : on pilla la belle demeure, on brisa les vitres, on arracha les baldaquins des lits, on griffa les tapisseries des murs. Tout fut cassé, détruit. On abattit les arbres ; on éleva trois immenses bûchers dans le jardin.
Des milliers d’hommes et de femmes, d’enfants saccagèrent le palais. Ils voulaient faire chanter les lustres, ils voulaient danser parmi les voilettes, mais surtout, ils désiraient savoir jusqu’où l’on peut aller, ce qu’une multitude si nombreuse peut faire. [1]
Nous sommes en 1789 : alors que depuis plusieurs années le royaume de France s’enfonce dans une grave crise, le roi Louis XVI a décidé de convoquer une réunion des états généraux, qui s’ouvriront le 4 mai. Partout, la population semble à bout et les émeutes contre l’augmentation du prix du pain se multiplient dans les provinces durant les premiers mois de l’année.
Parallèlement à cette colère, des assemblées se tiennent dans tous les districts afin de rédiger des cahiers de doléances et élire les 1 200 députés qui seront envoyés aux États Généraux.
Le 23 avril à Paris, à l’occasion de l’assemblée électorale du district de Sainte-Marguerite – sur le faubourg Saint-Antoine – le propriétaire de la manufacture de papiers peints Réveillon expose ses considérations sur le niveau des salaires.
Quels ont été exactement ses propos ? Les versions divergent : certains rapportent qu’il aurait ouvertement appelé à les abaisser à 15 sous par jour [2], d’autres qu’il aurait simplement évoqué avec regrets le « bon vieux temps » où les salaires étaient moins élevés [3]. Le même jour, dans une autre assemblée du district voisin des Enfants-Trouvés, le manufacturier Henriot aurait tenu des propos similaires [4].
Bien que d’abord timide, la réaction à ces déclarations fut néanmoins immédiate de la part des salariés du faubourg, comme le rapporte le lieutenant de police Thiroux de Crosne :
Il y a eu hier sur les dix heures un peu de rumeur dans un canton du faubourg Saint-Antoine ; il n’était que l’effet du mécontentement que quelques ouvriers marquaient contre deux entrepreneurs de manufacture qui, dans l’assemblée de Sainte-Marguerite, avaient fait des observations inconsidérées sur le taux des salaires. [5]
Les jours suivants, la nouvelle de ces « observations » patronales se répand auprès de la population des faubourgs, si bien que le 27 avril ce sont plusieurs centaines d’ouvriers qui se rassemblent à la Bastille, certains ont pris le soin de confectionner des mannequins à l’effigie de Henriot et Réveillon, on pend ce dernier à une potence. La foule promène ensuite ce faux pendu dans différents quartiers de la ville, rejointe sur son parcours par des centaines d’autres personnes.
Au plus fort de cette déambulation, alors que la foule se rassemble sur la place de Grève [6], un témoin de l’époque rapporte le chiffre de 3 000 personnes [7]. Se tient alors le procès populaire des deux manufacturiers, qui se termine par l’incendie des mannequins.
Après quelques atermoiements et moments de dispersion, un attroupement se reforme en fin de journée rue de Montreuil devant la maison de Réveillon. Cette dernière étant bien gardée par des hommes en arme, la foule se reporte sur la demeure de Henriot à quelques centaines de mètres de là, la pille et la saccage. La troupe finit par intervenir pour disperser la populace et met provisoirement fin à l’émeute.
Le lendemain, malgré le déploiement de renforts dans le faubourg, la foule revient encore plus nombreuse devant la propriété de Réveillon, qui a lui été invité par l’administration à se mettre en sécurité à la Bastille.
D’autres attroupements se forment également dans différents quartiers ; nobles et bourgeois en carrosse sont régulièrement invectivés et parfois forcés à lâcher quelques pièces pour pouvoir poursuivre leur trajet.
Devant la Folie Titon – nom de la propriété abritant la manufacture de Réveillon – la troupe réussit à contenir les débordements une grande partie de la journée, mais en début de soirée les barrages sont forcés. La maison de Réveillon est à son tour prise d’assaut, copieusement pillée et saccagée. La troupe tente néanmoins d’intervenir, ordre est donné de tirer mais les émeutier·e·s ripostent : tuiles, pavés, mobilier... Les gardes reçoivent une pluie de projectiles, les affrontements durent plusieurs heures.
Au soir du 28 avril, alors que le calme revient, on dénombre plusieurs dizaines de morts du côté des émeutier·e·s contre une douzaine chez les soldats.
La Révolution venait de commencer.
Un enfant du faubourg