Bulletin d’information sur la situation au nord de la Syrie

Bulletin d’information sur la situation au nord de la Syrie traduit par le Réseau Serhildan via le Rojava Information Centre

Depuis le 27 novembre dernier, la guerre a repris en Syrie suite à une offensive menée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et l’Armée nationale syrienne (ANS). Cette offensive a aujourd’hui amené à la chute du régime de Bachar Al-Assad et à la prise de contrôle d’HTS sur toutes les grandes villes de l’ouest du pays.

Néanmoins, si HTS a dirigé ses forces en direction du sud et contre le régime, l’ANS, sur ordre de la Turquie, s’est elle concentrée sur les régions de kurdes et s’est d’abord emparée de Shehba (Til Rifaat), une petite enclave au nord d’Alep puis de la ville multiethnique de Manbij. Plusieurs dizaines de milliers de Kurdes (pour la plupart déjà réfugiés de l’invasion turque d’Afrin en 2018) ont dû s’enfuir et trouver refuge dans les territoires de l’Administration autonome démocratique du nord et de l’est de la Syrie (AADNES). À Sheikh Maqsoud et Ashrafieyh, quartiers kurdes d’Alep, la population et les forces de défense kurdes sont toujours présentes.

Le RIC [1], une agence de presse indépendante composée de volontaires, basée dans le nord-est de la Syrie publie depuis le 30 novembre un bulletin régulier de la situation ainsi que des Explicatifs qui reviennent plus en profondeur sur des éléments de contexte. Nous les traduisons ici.

* * *

BULLLETIN D’INFORMATION
SITUATION AU NORD ET A L’EST DE LA SYRIE

13-14 décembre 2024

Mobilisation en vue d’un possible assaut contre Kobané, selon des responsables des FDS

Faits principaux

  • Après un assaut de plusieurs jours de l’Armée nationale syrienne (ANS), soutenue par la Turquie, sur le barrage de Tishreen et le pont de Qaraqozak (reliant Manbij sous contôle de l’ANS à Kobanê sous contrôle des FDS) un cessez-le-feu est en place. Cependant les responsables des FDS affirment qu’une nouvelle offensive de la Turquie et de l’ ANS sur Kobané est imminente.
  • La ville de Kobané est privée d’électricité et d’eau, les installations hydroélectriques du barrage de Tishreen ayant été endommagées par les attaques de l’ANS.
  • Les violations de l’ANS contre les civils et leurs biens à Manbij déclenchent la colère de la population.
  • La menace de Daech est une priorité internationale. Le secrétaire d’État américain, l’ancien chef des services de renseignement britanniques et un sénateur américain soulignent tous le risque accru dû à l’instabilité en Syrie et aux attaques turques contre les FDS.

Cessez-le-feu sur le barrage de Tishreen, violence de l’ANS contre les civils à Manbij

  • Un cessez-le-feu de 4 jours entre l’ANS et les FDS a été annoncé le 12 décembre ; depuis le 13 décembre, aucun combat majeur n’a été signalé sur le barrage de Tishreen et Qereqozak ; aujourd’hui les FDS ont déclaré que les États-Unis avaient entamé des pourparlers, notamment sur le sort de la tombe du sultan Suleiman Shah (actuellement située à Ashme, à l’ouest de Kobané). La commandante en chef des YPJ, Rohilat Afrin, a déclaré que la Turquie exigeait le droit de construire une base militaire sur le site et d’y déployer des armes lourdes, ce que les FDS n’ont pas accepté.
  • Conformément à l’annonce du cessez-le-feu par l’ANS et aux récents communiqué du commandant en chef des FDS, Mazloum Abdi, les forces militaires des deux parties devraient quitter Manbij.
  • Les miliciens de l’ANS à Manbij auraient pillé et brûlé la bibliothèque Muhammad Manla Ghazil de la ville, qui contenait 20 000 livres.
  • Les rapports sur le pillage de biens par l’ANS à Manbij s’accumulent. Plus récemment, les miliciens de l’ANS ont tué Ali Sheikhani, un civil à Manbij, lorsqu’il empêchait l’ANS de piller son restaurant.
  • 10 bus et 6 ambulances du Croissant Rouge Kurde se sont dirigés vers le pont de Qaraqozak aujourd’hui, se préparant à emmener les personnes demandant à être évacuées de Manbij (combattants blessés et civils), mais ils ont été bloqués par l’ANS à l’extrémité ouest du pont et n’ont pas pu atteindre leur objectif.
  • La tribu Bani Said a publié une déclaration dans laquelle elle s’indigne des vols et pillages commis par l’ANS à Manbij.

Les frappes turques/ANS sur le barrage de Tishreen coupent l’eau et l’électricité à des milliers de personnes

  • Le coprésident du Conseil de l’eau de Kobané a déclaré que la ville de Kobané était privée d’eau depuis quatre jours en raison de l’attaque du barrage de Tishreen par l’ANS.
  • Cette attaque a coupé l’alimentation de la station d’eau, et des frappes de l’ANS ont empêché l’accès aux sites des générateurs à pétrole qui auraient pu être utilisés comme énergie de secours pour pomper l’eau. Les habitants de Kobané dépendent désormais de l’eau stockée dans des réservoirs, dont le coût est très élevé.
  • Le Comité international de la Croix-Rouge en Syrie s’est rendu au barrage de Tishreen et a déclaré avoir effectué « des évaluations et des travaux de maintenance urgents pour garantir la sécurité du barrage […] afin de s’assurer que les habitants des villages voisins ne soient pas exposés à un quelconque danger ».
  • Un journaliste à Kobané a déclaré au RIC : « Il n’y a pas d’électricité et pas d’eau dans la ville. Ils utilisent des générateurs pour pomper l’eau. L’hôpital pense avoir de l’électricité pendant 10 jours, pas plus. Comme la route de Manbij est bloquée, ils ne reçoivent pas de fournitures : médicaments, nourriture, ou quoi que ce soit. »

La ville kurde de Kobané sous la menace d’une attaque turque

  • La commandante des FDS, Rohilat Afrin, a déclaré à la presse que la Turquie se préparait à attaquer Kobané – la ville de la première défaite de Daech en 2014, et le début du partenariat entre les États-Unis et les YPG/YPJ, puis les FDS.
  • De nombreux rapports font état de la mobilisation de l’ANS vers le pont de Qaraqozak.
  • Une source des FDS a déclaré au RIC : « Il y a plus de mouvements de mercenaires de l’ANS et de véhicules blindés de leur côté en ce moment. Ils n’ont pas besoin de se mobiliser autant car ils ont déjà une présence importante ils se préparent à attaquer, la menace est réelle. »
  • Un journaliste de Kobané a déclaré au RIC : « La population se dit prête à défendre à nouveau la ville, mais les drones [turcs] changent tout. Ils regrettent que la Coalition n’offre pas plus de soutien ».
  • Les forces américaines ont atteint Kobané aujourd’hui et circulaient dans le centre-ville – événement confirmé par le RIC via une source sur le terrain – pour la première fois depuis leur départ de la région en 2019.
  • Hier, des milliers de personnes se sont rassemblées à Kobané pour les funérailles de 8 combattants tués lors de l’assaut de l’ANS soutenu par la Turquie sur le barrage de Tishreen et Qaraqozak ; des scènes similaires ont eu lieu dans les deux quartiers d’Alep liés à Administration autonome démocratique du nord et de l’est de la Syrie (AADNES), Sheikh Maqsoud et Ashrafiyeh, lors des funérailles de 10 personnes tuées dans ces quartiers au cours des premiers jours de l’entrée des forces dirigées par Hayat Tahrir al-Sham (HTS) dans la ville d’Alep.
  • Les tirs d’artillerie turcs/ANS sur Ayn Issa ont gravement blessé un civil la nuit dernière.
  • Le parlement néerlandais a demandé au gouvernement néerlandais d’appeler la Turquie à cesser ses attaques contre le Nord et l’est de la Syrie (NES) et à garantir les droits des Kurdes dans la transition politique syrienne.

La menace de Daech en tête des priorités internationales alors que les FDS sont attaquées par la Turquie

  • Le commandant en chef des FDS, Mazloum Abdi, a déclaré à Fox News que les attaques de la Turquie et de l’ANS avaient « paralysé » les opérations antiterroristes des FDS, le nombre de gardiens dans les prisons de Daesh ayant été réduit de moitié. Dans une interview accordée à Ronahi TV, M. Abdi a également confirmé que les FDS n’étaient plus présentes sur la rive occidentale de l’Euphrate à Deir ez-Zor.
  • L’ancien chef du MI6 a souligné le risque d’un « accroissement important de la menace que représente Daech pour l’Europe » si la capacité des FDS à contenir les détenus de Daesh dans la zone de sécurité nationale est compromise.
  • Le Conseil démocratique syrien a averti dans une déclaration que Daesh exploite l’instabilité actuelle pour réorganiser ses forces.
  • Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a déclaré à la presse : « L’urgence est maintenant de s’assurer que le succès que nous avons eu ces dernières années en mettant fin […] au califat de Daech, en s’assurant que Daesh était dans une boîte et y restait cela reste une mission critique et les FDS jouent un rôle essentiel dans la poursuite de cette mission […] en sécurisant les centres de détention qui abritent environ 10 000 combattants terroristes étrangers. […] Il s’agit d’un moment de vulnérabilité dans lequel Daesh cherchera à se regrouper ».
  • Le sénateur américain Chris Van Hollen a publié une déclaration exhortant les États-Unis à poursuivre leur soutien aux FDS « qui constituent la partie la plus avancée de notre lutte contre Daesh » et à « ne pas permettre aux militants soutenus par la Turquie d’attaquer les FDS en toute impunité ».

Relations intra-syriennes

  • HTS affirme qu’il ne vise pas les territoires des FDS ; des accords HTS-FDS sont en place pour Deir ez-Zor et Alep, a déclaré Mazloum Abdi.
  • Une délégation du NES devrait se rendre à Damas pour négocier avec HTS dans un avenir proche, au sujet d’un règlement politique dans le pays.
  • Alors que des pourparlers intra-kurdes seraient en cours entre le bloc dirigé par le Parti de l’union démocratique (PYD) et le Conseil national kurde de Syrie, Elham Ahmed, co-présidente du département des relations étrangères de AADNES, a déclaré : « L’unité kurde en Syrie est devenue une nécessité historique » et a appelé les partis kurdes à unifier leurs positions pour « soutenir le dialogue syrien et participer à la construction de l’avenir d’une Syrie démocratique et pluraliste ».

Les FDS et l’AADNES sous pression : contestations et déclarations de soutien

  • Au milieu des manifestations pro-HTS en cours à Raqqa, contre lesquelles les FDS sont accusées d’utiliser une force disproportionnée, Mazloum Abdi a déclaré : « Nous réaffirmons également notre engagement à demander des comptes à toute partie impliquée ou ayant abusé injustement de son pouvoir. Raqqa et ses habitants méritent une vie digne et sûre, et nous ne ménagerons aucun effort pour y parvenir. Nous promettons que des mesures pratiques et transparentes seront prises pour remédier à la situation actuelle, et nous ferons en sorte que votre voix soit entendue dans chaque décision prise. »
  • À Tel Hamis, les cheikhs des tribus arabes se sont réunis pour affirmer leur soutien à l’administration autonome en tant que « modèle stratégique et fondamental pour la construction d’une Syrie démocratique »

Consulter et partager les Bulletins d’information sur la situation au nord de la Syrie sur le site internet du Réseau Serhildan

Note

Serhildan est un réseau de solidarité avec les luttes au Kurdistan et la révolution du Rojava (nord et est de la Syrie). Il réunit plusieurs collectifs et organisations aux pratiques multiples, actifs dans les territoires urbains ou ruraux des États français, belges et suisses.

Nous nous inscrivons dans une perspective internationaliste, c’est-à-dire que nous pensons que toutes les luttes sont connectées. En effet, nous vivons dans un système d’oppression global : la guerre que mène l’État fasciste turc au Kurdistan est rendue possible par la complicité des États-nations européens et des alliances transnationales comme l’OTAN. C’est pourquoi, nous nous donnons pour objectif de dénoncer et de combattre la machine de guerre et de répression ici en Europe, en répondant aux appels de campagnes internationales tels que RiseUp4Rojava et WomenDefendRojava ou en développant nos propres campagnes.

Mots-clefs : Syrie | Rojava

À lire également...