Zombie-walk à la ZAD

Des fantômes et des fantasmes. Ce texte écrit par des « ancien·ne·s combattant·e·s de la ZAD » ouvre une question aussi épineuse que délicate : comment dénouer ce qui, dans la lutte, relève de la victoire ou de la défaite ?

Si l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a constitué une indéniable victoire pour un mouvement protéiforme et courageux, cette concession de l’appareil étatique s’est accompagnée d’un assaut hors-norme contre tout ce qui s’était déployé positivement sur la zone et avait permis au fil des années une résistance de longue haleine. Depuis, certains habitants ont quitté la ZAD pendant que d’autres ont choisi de rester et de négocier en espérant préserver et développer la plus large part d’autonomie possible. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la continuation de la ZAD par d’autres moyens a suscité son lot de désaccords, de conflits et souvent de polémiques auxquels s’ajoutent autant de blessures et de déchirements. Ce texte écrit par des « ancien·ne·s combattant·e·s de la ZAD » ouvre une question aussi épineuse que délicate : comment dénouer ce qui, dans la lutte, relève de la victoire ou de la défaite ?

Pour nous la ZAD était d’abord un mythe, c’est-à-dire un récit qui dépasse sa réalité et qui nous touche au-delà d’elle. Une histoire qui se racontait quelque part à portée de main, qui parlait de nous et qui parlait en nous. Par des visites, par des connaissances nous savions que la ZAD existait en tant qu’expérience réelle du communisme. Que derrière la légende s’organisaient des espaces de vies collectives et des moyens matériels pour nos luttes. Plus encore, avec 2012 et l’opération César, on savait que la ZAD était aussi ce laboratoire de la résistance populaire, de l’affrontement avec les forces de l’ordre. Pour nous, la ZAD était ce mythe complet et existant : « zone de non-droit », une machine de guerre [1] et une machine de désirs, capable de nous faire tenir dans nos luttes quotidiennes. C’est cela que nous sommes venu·e·s défendre en 2018. Et que nous sommes venu·e·s défendre, au péril de notre vie : en nous exposant aux blessures et aux mutilations, à la guerre psychologique et à la prison. En risquant notre corps, notre santé mentale et notre liberté. Qu’est-ce d’autre que la vie ?

Nous n’avons connu la ZAD qu’en guerre et nous n’y avons vécu qu’en guerrier·ère·s. Si nous n’avons pas de leçon à donner aux habitant·e·s — dont nous ne connaissons pas la vie quotidienne — nous avons un vécu, et par là, un regard qui compte, qui doit compter et qui peut s’exprimer.

Par exemple, nous disons que la ZAD en guerre avec ses joies et ses douleurs, sa puissance et son impuissance, sa tendresse et sa violence, sa laideur et sa beauté est la ZAD authentique.

Dépassant le mythe lui-même, elle se réalise en tant que ZAD, machine de guerre et machine de désirs. C’est celle que nous avons vue et celle dont nous avons souffert.

Après la défaite, comme beaucoup, nous sommes parti·e·s, emportant avec nous cette drôle de guerre et ses conséquences. Nous avons retrouvé nos villes aux multiples fronts, nous avons dû nous soigner tant physiquement que psychologiquement. Nous avons voulu parler, échanger, mais le ressentiment ou le silence ont peu à peu recouvert de leurs voiles pudiques le récit collectif.

Pourtant ce vécu « de guerre » intime et collectif existe qu’on le veuille ou non, qu’on le trouve juste ou injuste, utile ou inutile, qu’il fût volontaire ou involontaire… Comme beaucoup, nous ne sommes jamais revenu·e·s sur zone, jusqu’à aujourd’hui le 6 juillet 2019.

Nous sommes tombé·e·s par hasard sur le programme « ZADenVIES ». Nous avons été surpris.es du langage et de l’esthétique communicationnelle qui d’ordinaire appartiennent à nos ennemis. Nous avons été révolté·e·s de cette novlangue politique nous proposant de « faire rentrer en dialogue le processus de construction d’une terre en commun [2] ». Malgré notre animosité envers « l’initiative de l’association NDDL Poursuivre ensemble et de la dynamique enclenchée (…) avec le soutien de la coordination [3] », nous sommes venu·e·s, pour dépasser un blocage psychologique et pour reparcourir ce territoire si important pour nous.

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Notes

[1« Ce qui caractérise la machine de guerre est l’extériorité de son rapport à l’État. Consubstantiellement liée au nomadisme, à son déplacement (même sur place), à sa vitesse absolue. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, 1980, p.460.

[3Idem

Mots-clefs : capitalisme vert | ZAD

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