Votre écologie n’est pas la nôtre - sur le racisme des mouvements écolos

On a rédigé cette brochure pour partager nos expériences des mouvements écolos, en tant que personnes racisées. On y dénonce des comportements et pensées racistes et on essaie aussi de donner des perspectives pour une écologie décoloniale.

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Pourquoi cette brochure ?

Cette brochure a été rédigée à plusieurs mains par des personnes racisées ayant fait partie de Youth For Climate et côtoyant toujours les milieux écolos. Elle fait suite à deux discussions sur le même sujet qui ont eu lieu à l’été 2022, lors du festival des Digitales à la Baudrière (squat anarcha-féministe TPG à Montreuil) et lors des assises nationales de Youth for climate. À ces deux moments, on a pu enrichir et confirmer des réflexions qu’on avait déjà eues.

L’espace pour parler de racisme dans les mouvements écolos (et milieux militants en général) est nécessaire mais trop rare, quand il n’est pas inexistant. Nous souhaitions ouvrir un espace pour les personnes qui en ont besoin, et pour que, nous-mêmes, nous puissions partager des expériences et des ressentis trop longtemps gardés pour nous, dans l’optique de dénoncer et faire face ensemble aux comportements et pensées racistes.

On n’a pas le temps ni l’énergie ou l’envie de faire de la pédagogie. Les personnes blanches doivent prendre le temps de se renseigner et de se remettre en question d’elles-mêmes tant individuellement que collectivement : arrêter de penser qu’être blanc.he.x est une position neutre, réfléchir à ce que cela renvoie en tant qu’individu et en tant que groupe.

Tout comme la société française prône un universalisme colorblind (« je ne vois pas les couleurs, on est tous égaux » etc), les mouvements écolos perpétuent ces dynamiques en ignorant le racisme. Nous nous opposons à tout ça et revendiquons une écologie qui tente de prendre en compte les enjeux de race, classe, genre, validisme, psychophobie... Il y a des dynamiques racistes et coloniales dans les mouvements écolos tant au niveau de la pensée politique, des agressions « ordinaires », que des violences racistes. Certains mouvements ont des idéologies directement racistes et colonialistes. Certains, sans prôner une idéologie raciste, ne questionnent jamais ces sujets. Tandis que d’autres tentent, parfois à tort et à travers, d’intégrer une pensée antiraciste. Mais tous perpétuent des dynamiques racistes et coloniales. (mention spéciale aux mouvements ou collectifs majoritairement blancs qui s’auto-qualifient antiracistes et/ou décoloniaux, ce qui empêche la remise en question/critique, leur antiracisme existe plus pour ne pas être raciste que pour lutter réellement contre le racisme)

Les agressions (racistes, entre autres) ne sont pas des conflits. On ne peut pas régler les violences par des médiations : ce ne sont pas des « conflits interpersonnels » ni des « dramas », comme on a pu nous le dire. C’est nier et minimiser toute la violence subie que de penser l’inverse. Tout le monde est concerné, il ne suffit pas de « ne pas être raciste » : ne pas prendre position lors d’une situation d’injustice, c’est être du côté de l’opresseur.e.x.

Ces quelques réflexions et idées sont appliquables à d’autres milieux (le milieu féministe blanc par exemple) et on retrouve certains mécanismes similaires face à d’autres minorités opprimées (handies-psy, personnes non-binaires/trans...).

On espère que vous utiliserez cette brochure pour engager des discussions et des changements dans vos cercles et mouvements militants.

1. Les dynamiques racistes dans les mouvements écolos

Les mouvements écolos sont en très grande majorité constitués de personnes blanches. Les personnes racisées sont souvent seules et n’ont pas la possibilité de prendre conscience des dynamiques racistes et coloniales qu’elles subissent. Il est aussi compliqué de les dénoncer lorsqu’elles le réalisent : s’exprimer sur le racisme face à une majorité blanche est difficile. On fait face à la fragilité blanche : les personnes blanches se sentent attaquées lorsqu’on les confronte à leurs agissements, prises de position, biais ou discours racistes. Elles ont des positions défensives qui invisibilisent et nient nos vécus, ce qui retourne la situation en nous poussant à les rassurer.

Les personnes racisées subissent une forte charge mentale raciale : les problématiques antiracistes et décoloniales leur sont laissées, les personnes blanches n’y pensent pas (ou s’y prennent mal). C’est toujours à nous de ramener le sujet sur la table. Ça en dit long sur la considération de ces enjeux, pourtant fondamentaux, au sein de l’écologie.

Les personnes racisées sont aussi moins écoutées que les personnes blanches : leur parole et leurs ressentis sont minimisés voire invisibilisés. Les personnes blanches prennent plus de place, coupent et monopolisent la parole. Par exemple, on écoute plus une personne blanche qui répète pourtant ce que vient de dire une personne racisée. Quand on arrive à mettre des mots sur ces dynamiques, on est peu écouté.es.x et au final, il y a peu voire pas de changement au sein du groupe.

Les mouvements peuvent aussi utiliser les personnes racisées pour donner une bonne image « de diversité » et créer une façade antiraciste/décoloniale. C’est la tokenisation, elle peut être plus ou moins volontaire et/ou assumée, et peut se traduire par :

  • une assimilation de la pesonne tokenisée à toutes les autres personnes racisées, ce qui est une forme d’essentialisation car cela nie son individualité.
  • un sentiment de forte responsabilité : elle est la seule à devoir représenter des enjeux importants qui, souvent, la touchent directement (charge mentale raciale, voir plus haut), on se tourne vers elle à chaque fois qu’on parle d’antiracisme, dont elle est censée tout connaître.
  • se demander si apporter des idées antiracistes dans la ligne politique du mouvement c’est bien sachant que personne n’y aurait pensé si on n’en avait pas parlé, alors que diffuser ces idées est nécessaire mais on en a marre de faire passer un mouvement pour antiraciste/décolonial alors qu’au final il n’y a qu’une ou deux personnes au sein du groupe qui prennent en compte ces enjeux.

On retrouve aussi des tendances au white saviorism : les personnes blanches agissent comme ce qu’elles pensent être la meilleure façon d’aider les personnes racisées sans se soucier de leurs besoins. Ce sont ces personnes blanches qui bénéficient socialement et individuellement de ces actions alors que, souvent, elles ne résolvent pas, voire empirent, les problèmes systémiques qui sont à la source de ce pour quoi elles présument lutter. Elles renvoient une image fétichisée, misérabiliste et déshumanisante des MAPA (most affected people and areas, le terme regroupe les pays du Sud global et les communautés opprimées/marginalisées). Elles peuvent s’incarner à travers certaines formes d’actions ou voyages humanitaires, parfois l’adoption internationale...

Et des tendances au whitesplaining, quand les blanc.hesx expliquent la lutte aux personnes racisées en prenant une position supérieure ou infantilisant les personnes racisées qui, évidemment, n’y connaissent rien. Par exemple, un.e.x militant.e.x écolo blanc.he.x va expliquer à un.e.x militant.e.x antiraciste en quoi l’écologie c’est (plus) important.

Certains mouvements écolos se demandent : « comment faire pour que les personnes racisées nous rejoignent ? » alors qu’ils sont très blancs parce qu’ils excluent de fait les personnes racisées (celles-ci partent pour toutes les raisons citées précédemment et bien d’autres encore). Ils se demandent aussi : « comment rendre les mouvements antiracistes plus écolos ? », mais là encore, ça décrédibilise et minimise l’importance des luttes antiracistes tout en whitesplainant leur vision de la lutte. Cela rejoint une méconnaissance et un mépris de l’antiracisme, qui est vu comme ignorant de l’écologie.

D’un autre côté, les actions directes ainsi que les formations et l’antirépression sont pensées par et pour les personnes blanches. Elles ne prennent pas en compte le rapport différent à la police et à la justice. Ce rapport est pourtant bien plus violent envers les personnes racisées. Le concept de désobéissance civile, de se faire emmener en GAV pour prouver quelque chose/se faire médiatiser, c’est possible que quand on est blanc.he.x, avec des papiers, ...

Dans les milieux écolos, il y a trop souvent de l’appropriation culturelle (locks, danses, spiritualité, vêtements et bijoux...) que le capitalisme blanc se réapproprie parfois (comme le véganisme, la spiritualité, le yoga...). Spoiler alert : les personnes blanches n’ont pas tout inventé.

Dans tout ça, les blanc.hes.x ne se sentent concerné.es.x que quand iels se sentent accusé.es.x de racisme, sans prendre conscience de la violence que leurs comportements peuvent engendrer en général. Par exemple, lors d’une de ces discussions, beaucoup se sont concentré.es.x longtemps sur l’appropriation culturelle. On a ressenti ça comme un intérêt seulement pour ce qui les concernait ou accusait de racisme en ne prenant pas compte du reste. En gros, iels voulaient qu’on leur dise qu’iels n’étaient pas racistes car iels ont plus peur d’être considéré.esx comme racistes que des conséquences que leurs comportements engendrent sur nous.

2) Une pensée écolo raciste et/ou colonialiste

Ici, on aborde quelques idées, théories et concepts souvent utilisés alors qu’ils diffusent ou engendrent du racisme et/ou colonialisme.

Attendre de tous.tes.x le même effort individuel alors que tous.tes.x n’ont pas les mêmes moyens est classiste, raciste, validiste... D’autant plus que ça omet les dynamiques internationales et limite l’action écologiste au niveau personnel : tout le monde n’a pas la même responsabilité dans le ravage écologique, celleux qui y participent le moins en subissent le plus les conséquences : c’est le concept d’injustice climatique.

Il faut prendre en compte le racisme environnemental qui prend racine dans une organisation sociale historiquement raciste, appuyée par des inégalités géographiques, économiques et sociales. Il mène à un risque plus fort, pour les personnes racisées, d’être impactées par la crise écologique (pollution, exposition à des évènements météorologiques extrêmes...). Par exemple, l’intoxication au chlordécone en Guyane et en Martinique, l’exposition aux microparticules pour les habitant.es.x à proximité des voies rapides...

L’environnementalisme réduit l’écologie à une gestion de stocks de la nature qui est vue comme une ressource dont la valeur est fixée par l’utilisation humaine. Cette vision dépolitise la lutte écologiste en se focalisant uniquement sur la question de l’environnement et en niant totalement les autres dynamiques oppressives.

« Ce qui est urgent, c’est la crise climatique, le reste on verra plus tard. » C’est à l’écologie de prendre en compte l’imbrication des rapports de domination, d’autant plus que cette imbrication est à l’origine du problème écologique.

Penser que la crise écologique est causée par un trop grand nombre d’humain.es.x sur terre ne place pas le problème au bon endroit et induit des réflexions écofascistes, validistes et racistes sur la fécondité, les naissances, les migrations. Par exemple, on peut entendre que c’est parce que la crise écologique entraine des migrations qu’il faut lutter pour l’écologie. L’adoption internationale est souvent vue comme une solution écolo sans remettre en cause d’où elle vient (colonialisme, white saviorism, patriarcat, domination Nord/Sud...) ni ce qu’elle peut entrainer (traumatismes, racisme...).

La fétichisation et/ou l’idéalisation des cultures non-occidentales : le mythe de la nature sauvage, la projection de stéréotypes sur les autochtones ou les peuples « respectueux de la nature »... C’est déshumanisant, méprisant et reprend des clichés historiquement coloniaux.

Il faut remettre en question l’emploi de certains termes. Rappelons-nous leur histoire et quelle position leur utilisation induit :

  • l’effondrement : penser voire fantasmer l’effondrement comme un évènement unique futur alors que les effondrements sont multiples et en cours depuis des années, c’est avoir un positionnement très occidentalocentré ; et voir ça comme un cycle naturel, voire un « mal pour un bien » qui permet « un nouveau départ » peut virer en théorie très individualiste et en fantasme survivaliste
  • la nature : le dualisme occidental et colonial « nature/culture » divise tout, pense la nature comme séparée de l’humain, mène à une vision paternaliste de la nature pour la sauver parfois aux dépens des populations qui y vivent comme c’est souvent fait en créant des réserves naturelles, ce dualisme a aussi souvent placé les populations racisées du côté de la nature, en les animalisant (figure du « sauvage » par exemple).

3) Perspectives pour une écologie décoloniale

On veut défendre une vision de l’écologie comme une défense et une amélioration de la vie, des conditions de vie et des milieux de vie, en repensant nos rapports avec le vivant ainsi que les êtres vivants, qui prend en compte logiquement et réellement l’imbrication des rapports de domination. Dans cette optique, on veut, entre autres, une écologie qui lutte aussi contre les CRAs, les frontières, le système carcéral et judiciaire car ils reproduisent des violences meurtrières racistes en toute impunité. Un positionnement clair de l’écologie dans ces luttes devient nécessaire, d’autant plus qu’il existe des pensées écologistes anti-migrations comme vu plus haut.

Pour l’autonomie des luttes écolos décoloniales, les personnes racisées ont besoin de pouvoir s’organiser en mixité choisie (comme le fait le FLED, Front de Lutte pour une Écologie Décoloniale) pour riposter face à la suprématie blanche des mouvements écolos, en menant efficacement une lutte antiraciste/décoloniale sans devoir faire de la pédagogie ou subir du racisme.

Il faut reconnaître les luttes de personnes racisées qui n’entrent pas dans la dynamique écolo individuelle blanche et qui pourtant sont plus radicales car plus pertinentes, profondes et puissantes. Souvent, ces luttes sont invisibilisées, que ce soit dans les médias ou par les mouvements dits écolos. Les crimes coloniaux écocidaires ne sont pas pris au sérieux, ni reconnus par les États responsables alors même que ceux-ci doivent une réparation qui ne pourra jamais être à la hauteur des destructions.

par exemple : les luttes pour l’indépendance des terres autochtones en Abya Yala, les luttes contre les empoisonnements coloniaux écocidaires comme celui au chlordécone aux Antilles ou l’agent orange au Vietnam, les conséquences d’essais nucléaires en Polynésie et au Sahara (en ce qui concerne la France) et en général, contre l’exploitation coloniale et néo-coloniale des terres et des corps racisés - extractivisme, délocalisation, mondialisation

Les luttes antiracistes et décoloniales sont écologiques car s’attaquent directement aux causes du ravage écologique, contrairement à beaucoup de mouvements écolos qui réduisent l’écologie à une histoire de nature et d’environnement à protéger.

Suggestions de ressources

Kiffe ta race 77, véganisme, écoféminisme... des trucs de blanc·hes ? (podcast, également adapté en livre)

À l’intersection 13, justice climatique, écoféminismes et luttes du Sud global (podcast)

Nwar Atlantic (podcast)

Écolonialité : race, nature et capital, sem nagas (brochure mutant.e.s 8)

Trahir sa race , sem nagas (fanzine mutant.e.s 4)

La race de l’écologie (brochure)

Sentir-penser avec la Terre, l’écologie au-delà de l’Occident, Arturo Escobar (livre)

Une écologie décoloniale, Malcom Ferdinand (livre)

Une poupée en chocolat, Amandine Gay (livre)

L’invention du colonialisme vert, Guillaume Blanc (livre)

Tropiques toxiques, Jessica Oublié, Nicola Gobbi, Vinciane Lebrun (roman graphique)

@sansblancderien (insta)
@la.charge.raciale (insta)
@fled____ (insta)

contact : ecologie-antiracisme@riseup.net
pour des retours, questions, échanges, suggestions... n’hésitez pas

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