Le parcours d’Amine Bentounsi est souvent utilisé pour justifier son meurtre. Si son histoire singulière montre comment la violence des institutions détermine des parcours de vie, elle est pourtant loin d’être exceptionnelle. Jugé comme un adulte pour des faits commis à 13 ans, il est incarcéré à Fleury-Mérogis et devient « le plus jeune détenu de France » à ses 15 ans.
Grandir en étant soumis à la privation de liberté et aux pratiques pénitentiaires, va déterminer les dix années qui vont suivre, durant lesquelles il sera incarcéré plusieurs fois. Lors de sa dernière peine, et à 8 mois d’une sortie conditionnelle, ne pouvant plus supporter la violence du monde carcéral, il décide de ne pas retourner en prison.
Après deux ans de « cavale », il est reconnu et dénoncé par appel anonyme, avant d’être poursuivi par la police à Noisy-le-Sec. Alors qu’il tente de s’enfuir, il est abattu d’une balle dans le dos par Damien Saboudjian. Si le policier tente de faire valoir la légitime défense en expliquant qu’il aurait été menacé directement, cette version des faits, qu’il est le seul à soutenir, est contredite par six témoins présents sur les lieux.
Dans un premier temps, le policier est mis en examen pour homicide volontaire. Dès le 25 avril, la police et ses syndicats réagissent en organisant des manifestations sur les Champs-Élysées, où ils défilent en uniforme afin de s’opposer à la mise en examen de leur collègue. C’est l’occasion pour les syndicats de police de réclamer une « présomption de légitime défense » pour les policiers qui font usage de leurs armes.
Comme systématiquement dans les affaires de violences policières, on assiste à une criminalisation de la victime par les médias et les institutions, et ce n’est que grâce aux familles et aux collectifs qui se battent pour obtenir vérité et justice qu’une autre voix se fait entendre.
Depuis l’assassinat de son frère, Amal Bentounsi mène un combat sans relâche. En 2012, elle crée le collectif « Urgence notre police assassine » qui a pour objectif de réunir toutes les familles de victimes afin de mener un combat commun contre les crimes policiers. Dès la première action du collectif, elle est trainée en justice par Manuel Valls pour diffamation. Vaine tentative pour le gouvernement d’assurer l’impunité policière en rendant illégal le fait même de la dénoncer. Elle gagne cette bataille et continue le combat.
Dans l’affaire d’Amine Bentounsi, c’est la qualification de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » qui sera finalement retenue dans le rapport final d’instruction. Les crimes policiers sont presque systématiquement suivis d’une violence institutionnelle que la justice perpétue. En plus de la perte d’un proche, c’est l’attente d’ouverture du dossier, la longueur du procès, les nombreuses preuves falsifiées, la solidarité policière qui contribuent à épuiser les familles.
Dans l’affaire des policiers ayant tué Zyed et Bouna en 2005 à Clichy Sous Bois, après une requalification des faits et dix années de procédure et de combat des familles, la relaxe sera prononcée par la cour d’appel de Rennes le 18 mai 2015. Les morts aux mains de la police continuent à s’entasser, les non-lieux et les relaxes aussi.
La mise en place de l’état d’urgence ne fait qu’accroitre ces violences. Dans la semaine qui a suivi sa promulgation, deux non-lieux ont été prononcés, dans l’affaire d’Hocine Bourras et dans celle d’Amadou Koumé. Depuis le début du mois de décembre, Babacar Gueye, Mehdi G., Tarek Belgacem, à Rennes, Cergy et dans le quartier de la Goutte d’Or. Les affaires de violences policières comme celle de la famille Kraiker à Pantin ou la plainte collective déposée par une dizaine de jeunes du 12e arrondissement ne cessent de s’accumuler. L’état d’urgence ne fait qu’accentuer et généraliser la violence des pratiques policières.
En condamnant Amine Bentounsi à des peines de prison dès son adolescence, la justice a déjà rendu son verdict : en le privant de liberté elle a cessé de le considérer comme un homme, et en lui enlevant cette qualité elle a permis à la police de le tuer. Cette semaine ce n’est pas le procès d’Amine Bentounsi, ce n’est pas non plus seulement celui du policier, c’est celui des institutions répressives qui ont déterminé le cours de sa vie et qui portent la responsabilité de sa mort.
La protection qu’accorde la justice à la police montre que ces violences sont produites et admises par les institutions de l’État. Elles sont partie prenantes d’un projet de société où toutes les problématiques sociales seraient résolues par des mesures sécuritaires. Cette logique disciplinaire entraîne l’acceptation des inégalités qu’elle protège . Chaque écart, chaque remise en question de nos conditions de vie, est présentée comme une menace pour « l’ordre public ». Le combat des familles et collectifs brise le huis clos d’une salle de tribunal et amène ces interrogations dans l’espace public.
Ces affaires portées par les familles et les collectifs nous concernent tous. Pour mettre à fin à ces inégalités insupportables et au silence de l’injustice, osons faire sortir la justice des palais.