De la LSI de Sarko à la loi ASAP en 2020, en passant par la loi DALO ou ELAN, la liste des mesures anti-squats ne cesse de s’étendre au fur et à mesure que l’État affine la législation pour protéger la propriété. Les flics et les juges s’en servent pour réprimer toujours plus les occupations de bâtiments vides, tout comme les locataires qui ne payent plus leur loyer. Alors que la loi ASAP, permettant d’expulser des squatteur.euses sans procédure judiciaire, est de plus en plus appliquée, la majorité parlementaire vient d’annoncer une nouvelle proposition de loi "visant à protéger les logements contre l’occupation illicite". Elle sera débattue à l’assemblée à partir du 28 novembre prochain.
Comme de coutume, cette annonce coïncide avec la montée en épingle par les médias d’histoires de petits proprios malheureux parce que leur résidence secondaire est squattée, ou parce qu’ils ne pourront pas se payer du champagne à Noël à cause de locataires récalcitrants. Ces récits servent de prétextes notamment pour défendre les profits tirés de la rente immobilière.
Que les propriétaires soient petit.e.s ou grand.e.s, jeunes ou moins jeunes, en bonne ou mauvaise santé, publics ou privés, des entreprises ou des particuliers, dans tous les cas le problème c’est la propriété, en ce qu’elle leur permet de se faire de la thune sur le dos des autres, en ce qu’elle leur donne la légitimité de mettre des gens à la rue. Ces « droits » de la propriété sont de mieux en mieux garantis par divers dispositifs législatifs. Cette énième proposition de loi s’inscrit directement dans cette tendance.
Revenons en particulier sur la loi ASAP. En décembre 2020, un énième fait divers fait le buzz dans les médias. Dans la foulée, Guillaume Kasbarian, député LREM, propose un amendement, intégré dans la loi dite "ASAP". Cet amendement anti-squat, modifie l’article 38 de la loi DALO, qui permettait déjà une expulsion sans procédure judiciaire, par simple avis du Préfet, dans le cas de squat d’un domicile. Si, jusqu’ici, seules les résidences principales pouvaient faire l’objet d’une telle procédure, désormais, la loi prévoit qu’elle sera applicable pour les "domiciles, qu’il s’agisse ou non de la résidence principale". C’est donc la définition même de "domicile" qui est élargie, celui-ci devenant simplement la propriété d’un particulier, quelle qu’elle soit.
Dans son application, elle a finalement permis d’expulser sans procédure des occupant.es de la propriété de n’importe quel particulier, quelle que soit l’état de la baraque ou le temps depuis lequel elle était occupée.
Voici maintenant un petit aperçu de l’actuelle proposition de loi :
3 ANS DE PRISON POUR LE SQUAT DE N’IMPORTE QUEL BATIMENT "A USAGE D’HABITATION"
L’article 1-A inscrit un nouveau chapitre dans le Code Pénal : "De l’occupation frauduleuse d’un immeuble". Il comportera deux articles.
Article 315-1 : "L’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble bâti à usage d’habitation appartenant à un tiers s’apparente à un vol."
Article 315-2 : "Il incombe au tiers occupant sans droit ni titre de présenter un titre de propriété, un contrat de bail en cours de validité le liant au propriétaire de l’immeuble occupé ou une convention d’occupation à titre gratuit signée par le propriétaire du bien."
L’article 1 modifie la violation de domicile dans le Code pénal (en gras et souligné, les ajouts) :
Article 226-4 du Code Pénal : "L’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale et qu’il soit meublé ou non, à l’aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni de un trois ans d’emprisonnement et de 15 45 000 euros d’amende."
ELARGISSEMENT DE L’APPLICATION DE LA LOI ASAP AUX BATIMENTS SANS MEUBLES
L’article 2 modifie une 2e fois l’article 38 de la loi DALO (2007) à la suite de la loi ASAP (2020). Depuis la loi ASAP, le Préfet peut expulser sans procédure des personnes squattant la propriété d’un particulier. Encore fallait-il que ce dernier prouve qu’il s’agissait de son domicile, par exemple en justifiant qu’il y avait des meubles à l’intérieur. Avec l’article 2 de cette nouvelle loi, il est bien précisé que cette expulsion express peut avoir lieu que le bâtiment soit "meublé ou non".
DES EXPULSIONS DE LOCATAIRES ACCELEREES
L’article 4 rend obligatoire la « clause de résiliation » dans un bail locatif. C’est-à-dire la résiliation automatique du contrat de location après « un commandement de payer demeuré infructueux » (qu’il s’agisse du loyer, des charges ou du dépôt de garantie). Privé.e de la protection du bail, le/la locataire encourt les mêmes peines de prison et d’amende que les squatteur.euses. En plus de ça, la loi supprime la possibilité donnée au/à la juge de suspendre la résiliation du bail si la/le locataire respecte les délais et modalités de paiement de sa dette fixés au moment du jugement. Les locataires devront payer leurs dettes, tout en étant mis.es dehors.
Dans l’article 5, le proprio peut désormais demander l’expulsion de locataires après 1 mois d’impayés de loyers, contre 2 mois jusqu’ici.
LES DELAIS ACCORDES AVANT L’EXPULSION DIVISES PAR TROIS
L’article 5 modifie les délais qui peuvent être accordés par le/la juge aux mal logé.es avant une expulsion : actuellement compris entre trois mois et trois ans, ils seront réduits à un mois minimum et un an maximum.
Petit Bonus pour la forme :
Article 2 bis : Les propriétaires d’un immeuble périlleux ne seront plus responsables en cas d’accidents survenus à des occupant.es sans droit ni titre.
Article 2 ter : L’expérimentation des baux précaires et des conventions d’occupation, créant un sous-marché du logement, est prolongée jusqu’en 2026.
C’est la première fois qu’une loi entière porte exclusivement sur la répression des squatteur.euses et des locataires qui ne payent plus. Comme à chaque fois qu’une nouvelle loi voit le jour l’étau semble se resserer un peu plus sur les possibilités de se loger sans enrichir un.e proprio. De fait, une fois votée, elle compliquera la tâche, mais à quel point ?
Il parait important de prendre en compte la différence entre les textes de loi et leur application, qui dépendra aussi de jurisprudences.
Et puis, jusque là il a toujours existé des ruses et combines pour contourner certains obstacles juridiques au squat. Un objectif serait de continuer à les dénicher et se les partager, sous forme de brochures, d’ateliers de partage d’expériences, ou n’importe quoi d’autre.
Par ailleurs, la solidarité face aux expulsions, en plus du soutien physique et moral qu’elle apporte, peut compliquer plus ou moins la tâche des expulseurs. A propos de ces derniers il est aussi toujours possible de trouver leurs adresses, en particulier celle des huissiers et des proprios, et leur montrer qu’ils n’agiront pas sans conséquences.
En attendant la loi n’est pas encore votée et il est toujours temps de montrer ce qu’on en pense. Ce jeudi 24 novembre à 19h au Malaqueen, 70 rue Gallieni à Malakoff, aura lieu une assemblée pour discuter du contenu de la loi et se mobiliser. Et puis le dimanche 27 novembre à partir de 15h aura lieu un rassemblement place du châtelet.
Moins de proprios parasites, plus d’occupations illicites !