Ce placement en CRA en vue d’une expulsion était d’autant plus absurde que M. réside aux États-Unis, qu’elle n’a jamais eu l’intention de rester en France et qu’elle possédait même un billet d’avion pour rentrer chez elle : il s’agissait en réalité d’une forme de répression déguisée.
Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit qu’un étranger peut faire l’objet d’une rétention ou expulsion si son comportement constitue « une menace pour l’ordre public ». Des étrangers arrêtés en manif peuvent ainsi se retrouver en CRA et se voir délivrer une OQTF et une IRTF, et cela même si leur séjour en France était autorisé.
C’est le Préfet qui a le pouvoir de prendre une OQTF, qui peut être délivrée avec ou sans délai de départ volontaire. Dans le cas d’un délai de départ volontaire, la personne concernée bénéficie de temps pour organiser son départ ou faire un recours. En l’absence de départ volontaire, le Préfet décide si la personne est placée en rétention ou assignée à résidence le temps d’organiser son départ.
Dans le cas d’un placement en rétention, il y a deux voies de recours : la première voie, la voie civile, consiste à soulever des vices de procédure (erreur commise par les autorités) pouvant faire annuler le placement en rétention. La seconde voie est la voie administrative. On peut contester L’OQTF et l’IRTF devant le juge administratif, qui doit contrôler que le Préfet a motivé en droit et en fait sa décision. Le contrôle concerne aussi l’évaluation du caractère proportionnel entre la mesure prise et la situation de la personne.
Dans le cas de M, de nombreuses irrégularités ont été relevées. Par exemple, durant sa garde à vue, elle n’a pas pu bénéficier d’un formulaire lui expliquant ses droits dans une langue qu’elle comprend. Sa garde à vue lui a également été notifiée avec retard et elle n’a pas eu la possibilité de se nourrir pendant une journée entière (de 6 h 30 du matin à 1h 15 la nuit suivante). Au lieu d’un procès-verbal d’interpellation, permettant de savoir pourquoi et comment M avait été interpellée, une vague fiche rapportant les paroles d’un fonctionnaire de police à ce sujet avait été insérée tardivement dans la procédure, mais ne constituait pas un document valable pour garantir la validité de la garde à vue. Ce procès-verbal a finalement été versé au dossier le matin de l’audience devant le tribunal administratif, c’est-à-dire plus d’une semaine après son interpellation, avec d’autres documents manquants jusqu’alors.
Malgré les irrégularités soulevées par la défense dans les premiers jours de la procédure, le juge de première instance puis le juge en appel (il s’agit ici de la « première voie », la voie civile) ont validé la procédure en invoquant « des circonstances exceptionnelles ». Rappelons que les circonstances exceptionnelles sont mises en avant par les flics et la justice dès qu’il y a une manif pour justifier que les obligations légales prévues pendant la garde à vue ne seront plus remplies.
Lundi 17 décembre, à l’issue de l’audience devant tribunal administratif de Melun (il s’agit de la « seconde voie »), le juge a finalement estimé que l’OQTF et de l’IRTF n’étaient pas motivés et les a annulés. M est désormais libre.
Le recours à une procédure administrative au lieu d’une procédure pénale n’est pas inédit. Le cas de M rappelle celui de plusieurs belges et suisses qui avaient été arrêtés en 2015, durant la COP21, placés en CRA et pour certains expulsés. Il s’agit d’un traitement répressif mais non pénal, qui permet entre autres d’alléger les services de la justice au moment où il y a énormément de gardes-à-vue et de comparutions immédiates, comme c’était le cas le 30 novembre 2015 ou le 8 décembre 2018.
Ce traitement réservé à certains étrangers permet à la justice, débordée, de mettre en rétention, d’expulser et d’interdire du territoire des gens arrêtés arbitrairement dans les manifs. Il s’agit d’une forme déguisée de répression de la contestation.
Des amis de M.