Il n’y a pas de « guerre » à Gaza

Israël est bien engagé dans une guerre d’expansion territoriale et de nettoyage ethnique. Mais pas à Gaza : Gaza est traitée avec méthode comme une déchetterie. Les « armes » y sont des bulldozers, les bombes y servent de dynamite pour en préparer le travail, et les humains y sont traités comme des déchets parmi d’autres.

La toile est encombrée d’arguties sémantiques sur la légitimité de l’emploi du mot « génocide » : une réalité qu’Israël est accusé de perpétrer ou vouloir perpétrer à Gaza, par le bras de son armée que diligentent Netanyahu et son gouvernement, avec l’approbation massive, semble-t-il, de l’opinion intérieure. Jean-Pierre Filiu parle de "guerre inhumanitaire" ou de "guerre d’anéantissement".

Disons-le tout net : les témoignages sont criants. Le mot "génocide" dit bien la réalité de la pointe la plus avancée d’une « solution finale » en cours – l’exécution méthodique d’une entreprise revendiquée de nettoyage ethnique. Cette entreprise présente des paliers : Gaza doit être détruite de fond en comble – qu’il n’en reste ni terre vivante ni âme qui vive ; la Cisjordanie doit être vidée de ses habitants arabes, progressivement chassés de leurs localités, parqués dans des camps, bientôt exilés, et systématiquement remplacés par des colons juifs ; au-delà de l’annexion du Golan (perpétrée en 1981, reconnue en 2019 par Donald Trump : le Golan est un château d’eau pour Israël et offre une vue imprenable à la fois sur le Liban, la Syrie, la Jordanie et la Galilée), les marches du territoire, côté libanais et syrien, sont, en conséquence à peine différée du 7 octobre 2023, « nettoyés » par les bombes de manière à offrir à Israël un glacis de protection, sur une profondeur calculée (au moins jusqu’à la ligne du fleuve Litani au Liban ?) ; au sud, du côté du Sinaï, le désert est sous la bonne garde de l’armée égyptienne, moins par hostilité envers Israël que pour empêcher l’afflux de réfugiés palestiniens.

Quant à la Jordanie, elle offre l’arrière-pays idéal pour le refoulement et le déplacement provisoire des camps de ces réfugiés au-delà du Jourdain. À l’intérieur même d’Israël, les « Arabes israéliens » (20% de la population) se satisfont encore d’être tolérés mais se savent en sursis : depuis qu’en 2018 Israël s’est déclaré « État juif », la discrimination s’aggrave ; cependant que les Druzes, très minoritaires dans toutes les frontières où ils sont historiquement implantés, n’ont guère d’autre choix qu’un loyalisme contraint, assorti de l’obligation du service militaire qui fait d’eux des exécutants des sales besognes du nettoyage ethnique et pourtant ne leur octroie même pas le droit de posséder leurs maisons ni leurs terres. Enfin, sans partager de frontière commune avec Israël, l’Arabie Saoudite lui fait face au point stratégique du fond du golfe d’Aqaba et maintient une ligne ambiguë de neutralité vis-à-vis du conflit palestinien, couplée avec une hostilité partagée (et tout récemment mitigée) à l’égard de l’Iran. Il faudrait parler aussi de l’expansionnisme turc, qui inquiète Israël mais dans l’immédiat le sert dès lors qu’il s’agit de surveiller la Syrie (7 bases militaires turques sont négociées en Syrie avec Netanyahou) ; et rappeler l’ennemi iranien, récemment mis, pour un temps, hors de combat…

Certes, donc, Israël est en guerre sur des fronts multiples, dont les moindres ne sont pas l’opinion internationale et l’ONU. Mais il s’agit moins d’un « droit à se défendre » que d’une guerre d’expansion territoriale. Que penser, alors, de la « guerre de Gaza » ?

Cela n’a rien à voir avec une guerre. Inutile donc de crier aux « crimes de guerre ». Israël y possède un allié objectif : le Hamas ; et sous prétexte de le combattre rase tout le territoire, pêle-mêle avec ses habitants.
Même sous blocus aggravé et régulièrement bombardée, Gaza restait jusqu’à l’automne 2023 une oasis dynamique et surpeuplée sur le flanc sud d’Israël. N’étaient la part considérable, depuis la Nakba, de réfugiés au sein de sa population et l’appétit colonialiste d’Israël, puis les contraintes insupportables du blocus, elle n’avait guère de raison de combattre son voisin. L’anéantissement, ou plutôt, au dire même d’Israël, la « stérilisation » qui lui est imposée depuis le 7 octobre semblent ne même plus viser une colonie de peuplement : l’objectif est ailleurs, à coup sûr, pour commencer, dans l’exploitation du gisement gazier au large du Gaza strip (et peut-être aussi dans la mise en valeur de ses plages, selon les fanfaronnades trumpiennes ?). La vengeance et la peur ne servent que de justification et de combustible pour impulser et entretenir un simulacre de guerre. Aux dernières nouvelles, il suffit de désigner parmi les survivants du Hamas quelques têtes de turc non encore abattues pour autoriser les bombes à pleuvoir sans discontinuer.

Gaza n’est pas un territoire de guerre. C’était un « camp de concentration à ciel ouvert », selon la formule qui avait fait mouche bien avant le 7 octobre ; mais devenu, depuis, un camp d’extermination.

L’occupant y a tous les droits, il est d’ores et déjà partout chez lui. Il ne se sert de bombes – utiles aussi pour entretenir le préjugé d’une guerre – que comme de charges de dynamite, autorisant la mise en service de la seule machine appropriée à son but, à savoir le bulldozer. Ces machines gigantesques remuant des montagnes de détritus, chacun aura pu en voir à l’œuvre, par exemple, dans les vastes complexes de traitement des déchets en Région parisienne. Israël traite Gaza et ses habitants comme une décharge et n’a nulle intention d’épargner quiconque ni quoi que ce soit. On croit pouvoir compter les morts, on martèle le chiffre de 55.000… Quelle naïveté ! Gaza est une usine à morts et un dépotoir à cadavres, importés même de l’extérieur (que sont devenus les 4000 Gazouis disparus, qui travaillaient en Israël jusqu’au 7 octobre ?) ou exhumés par les pelleteuses (cimetières défoncés…). Le fameux « ministère de la santé du Hamas » ne compte que les victimes reçues par les hôpitaux, ou ce qu’il en reste. Il compte donc aussi les « blessés » enregistrés, qui ne sont que des morts en sursis, faute de matériel et de personnel de soin.

Pour accélérer l’ouvrage, en bon gestionnaire de la solution finale, Israël arme aussi directement parmi les Gazaouis des bandes de hors-la-loi qui pillent les camions d’aide et tirent sur les crève-la-faim. Mais il faut encore laisser le champ net à ces charognards : aussi les escortes « humanitaires » chargées de sécuriser l’acheminement de nourriture sont-elles systématiquement visées par les drones de l’occupant. Et comme on ne saurait laisser prospérer des « terroristes », tout ce qui peut aider ou soutenir les assiégés est ciblé avec autant de précision que d’obstination : hôpitaux, écoles, personnel soignant ou humanitaire, journalistes, photographes, intellectuels, la capacité maintenue de communiquer avec l’étranger, la débrouillardise des 8-12 ans, ou simplement l’exemple de solidarité interne donné par les grandes familles…, tout est fauché, broyé, éliminé. Le nom de Fatima Hassouna est-il célébré à Cannes ? La même nuit, un missile s’abat sur sa maison. Pour repérer ces proies à haut rendement en matière de démoralisation et de désagrégation sociale, l’IA est plus sagace encore que le sadisme le plus affûté. Quant à compter les vivants, bien malin qui y réussirait, dans ce qui reste d’agglutination de tentes et d’ordures accumulées par une précaire survie : les drones seuls auraient assez de surplomb pour une telle évaluation, mais on n’y recourt que pour traquer et tuer encore.

Hier, des images montraient des ombres humaines courant entre des sacs de céréales éventrés à même le sol d’un no mans land d’allure sableuse, nivelé par les bulldozers. Netanyahou peut se féliciter : jamais Israël n’a fait un aussi bon « travail » de terrassement, ni malaxé de manière à ce point indiscernable le béton, les corps, le sang, la farine.

https://blogs.mediapart.fr/renee-piettre/blog/050625/il-ny-pas-de-guerre-gaza

Mots-clefs : génocides | Gaza

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