Tangpingistes de tous les pays, unissez-vous ! - Manifeste Tangping

En 2021 un mouvement de refus radical du travail s’est levé en Chine, ou plutôt s’est couché. Le mouvement Tangping, littérallement : « s’allonger à plat ». Voici son manifeste.
« Les Tangpingistes inventent leur propres fêtes. Iels s’allongent sur les autoroutes où le trafic circule, dans les usines où les machines tournent et où les corps s’engourdissent. Iels s’allongent dans les centres commerciaux qui font office d’églises contemporaines, dans les palais majestueux ou les bâtiments les plus modernes. Iels n’ont pas construit ces abris pour elleux-mêmes, mais pour tous·tes les opprimé·es. »

躺平主义者宣言 - MANIFESTE TANGPING

Tangpingists of the world, unite !

1. Introduction : Le grand refus

Certain·es jeunes, écoeuré·es par ce qui se déroule autour d’elleux, vont de l’avant. Plutôt que de se laisser écraser par une vie sinistre, iels font le choix de se laisser porter par leur instinct. Leur attitude ne révèle pas une conception renouvelée du repos, du sommeil, de la maladie et de la mort, mais constitue un refus de l’ordre du temps lui-même.

L’appel du XXe siècle qui aspirait à convertir toute vie en énergie combustible, qui poussait autrefois si violemment ses citoyens à aller de l’avant, n’est plus qu’une mouche irritante qui bourdonne à nos oreilles. Voici poindre une époque dans laquelle une ancienne magie échoue dans sa visée alors qu’une autre revient à la vie.

En réalité, sans ce récent rappel des Tangpingistes, nous serions presque sur le point d’oublier ce que le mot « justice » signifie. De la même manière que les salarié·es exploité·es tentent de récupérer le temps qu’iels ont perdu à travailler en pratiquant le toucher de poissons [Grève du zèle qui vole du temps libre sur le temps de travail], les Tangpingistes empruntent le chemin du refus. Iels exigent des compensations pour tous les préjudices qu’iels ont subi dans le passé. L’adoption du Tangping requiert une réduction des besoins afin survivre en consommant le moins possible, ceci dans le but de travailler le moins possible. Il traduit un désir plus large, qui traverse toute la société : celui de se réapproprier le temps et l’espace - de sorte que la position couchée devienne une pratique répandue.

Confronté·es au Tangping, les ancien·nes et les nouveaux·elles aristocrates ont craint de perdre leurs privilèges. Iels ont d’ailleurs toutes les raisons de paniquer devant cette idée iconoclaste qui voudrait abattre le travail comme la peste, et contre laquelle il n’existe à l’heure actuelle aucun remède. Plutôt que de reconnaître cette philosophie qui croît à un rythme soutenu comme le reflet de l’état d’esprit des gens par rapport à un certain nombre de questions réelles, iels ont préféré la décrier comme l’œuvre de forces hostiles. Leur réaction est évidemment logique, car dans le passé, les gens d’ici ont toujours été parmi les producteur·rices les plus exemplaires de la planète. Peu d’autres usines sociales dans le monde sont capables de fabriquer des machines qui fonctionnent aussi bien, sans faire le moindre bruit, comme si la machine elle-même était une sorte de vide, sans aucune friction. Comme si le peuple lui-même était un vide et que la nation chinoise était une forme de réalité miraculeusement arrachée au vide.

La condamnation des Tangpingistes a d’ores et déjà commencé. Toutefois, ces dénonciations sont si plates et sans vie qu’elles n’ont pas encore permis de relever celleux qui s’étaient déjà couché·es. Celleux qui prétendent que les Tangpingistes forment une bande de fainéant·es et de mendiant·es sans âme devraient au moins réfléchir à la déclaration suivante. Ne croyez pas qu’il soit facile de s’allonger. Bien au contraire, à partir du moment où iels se sont allongé·es, les Tangpingistes avaient déjà quitté ce pays. Non seulement iels constituent un nouveau groupe ethnique, mais la terre sur laquelle iels sont couché·es se détache complètement du vieux pays. Si cette nouvelle réalité ne veut pas être perturbée, ne devrait-elle pas n’avoir aucun rapport avec la souveraineté et le droit de propriété ? Le corps n’a aucun lien avec la possession et la distribution, et la terre se désintéresse de la gestion et de la gouvernance. Le tangpingisme radical marque un rejet complet de l’ordre actuel et les Tangpingistes se moquent bien des institutions. Au demeurant, iels sont indifférent·es à toute forme d’éloge ou de critique.

Il suffirait de faire pivoter le monde de 90 degrés pour que les gens découvrent cette vérité tacite : celui qui est couché est debout, et celui qui est debout rampe. Cette secrète vision du monde constitue un obstacle insurmontable entre les Tangpingistes et les citoyen·nes. Tant que le monde n’aura pas été entièrement mis sens dessus dessous, les Tangpingistes n’auront aucune raison de revoir leur posture.

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