Syndicalisme de lutte et élections

Tout le monde s’en fout un peu, sûrement à juste titre vu l’actualité, mais jusqu’au 6 décembre se déroulent les élections professionnelles dans la fonction publique. L’occasion quand même d’avoir une discussion avec des camarades syndicalistes sur leur positionnement dans cette histoire.

L’autre jour, je retrouvais des camarades pour boire des verres, dont certain.e.s syndiqués à SUD éducation, un peu en retard j’arrive au milieu d’une discussion déjà bien animée : les élections professionnelles. Et pour cause, le vote électronique vient à peine d’ouvrir mais c’est déjà le gros bordel : les serveurs du ministère plantent, plus personne n’arrive à se connecter au site pour voter, ça parle d’éventuelle annulation du scrutin si le problème n’est pas vite résolu... Alors moi forcément, je me marre beaucoup : des élections qui foirent c’est quand même assez plaisant ! Les camarades aussi cette situation les fait bien marrer, mais je me rends vite compte qu’ils ne partagent pas non plus complètement mon euphorie... S’ensuit une longue discussion, que je vais ici essayer de résumer le mieux possible.

Donc pour quelles raisons ce gros bug les fait pas juste marrer à 100% ? Ok SUD a présenté des listes, mais les élections on s’en fout complètement non ? C’est pas juste histoire de se faire payer un peu de propagande gratos par le ministère ? Et bien en fait pas tout à fait... Cette année, les camarades ont mené campagne de manière particulièrement acharnée, sacrifiant du temps qu’illes auraient mille fois préféré consacrer à des luttes, parce que le résultat de ces élections aura des conséquences directes et très concrètes sur toutes les luttes à venir dans l’éducation ces prochaines années.
Sans rentrer dans les détails techniques, en gros les règles de représentativités syndicales ont changé. Pour être considéré comme représentatif, il faut qu’un syndicat possède au moins 1 élu dans une instance portant l’obscur nom de Comité Technique Ministériel (CTM). Ne me demandez pas à quoi sert ce truc, j’ai vraiment pas bien compris, mais en gros si SUD n’a pas d’élu dans cette instance ils ne seront plus considérés comme représentatifs dans l’éducation nationale. Mais bon me diriez-vous, la représentativité on s’en fout aussi complètement non ? On est pas même plutôt contre toute sorte de représentation ? Evidemment que de ce côté là pas de souci, pas question qu’un syndicaliste SUD se mette à prétendre représenter les personnels de l’éducation nationale juste parce qu’il a été élu... Mais d’un point de vue du droit syndical cette représentativité change pas mal de choses et surtout donne la possibilité de déposer des préavis de grève. Or sans préavis de grève, dans la fonction publique rappelons-le impossible de faire grève [1] ! En effet contrairement au privé où même sans préavis les salarié.e.s d’une boite ont le droit de se mettre en grève à partir du moment où illes sont au moins deux, dans le public une grève est illégale sans préavis d’une organisation syndicale « représentative » [2].

SUD éducation depuis des années dépose ainsi en permanence un préavis de grève « généraliste » qui permet de couvrir n’importe quel.le salarié.e de l’éducation nationale qui souhaiterait pour une raison ou pour une autre se mettre en grève. C’est une disposition précieuse pour toutes les luttes locales qui sont parfois isolées syndicalement, souvent menées par des personnels précaires. Il est important de préciser que SUD est la seule organisation syndicale « représentative » à déposer un tel préavis.

Bon moi en ce qui me concerne je précise que je travaille pas dans l’éducation nationale, je suis chômeur et je peux pas voter à ces élections. Par curiosité sur comment le fait de voter à ces élections peut être ou non vécu comme une horrible compromission je demandais son avis à une autre copine prof (oui je connais beaucoup de gens qui travaillent dans l’éducation nationale), qui elle est syndiquée à la CNT. Son syndicat lui ne dépose pas de liste et tient une ligne radicalement anti-électoraliste, bon mais résultat elle allait quand même voter SUD sans trop d’états d’âme justement parce qu’elle est bien contente que ce préavis existe quand elle veut aller zbeuler en manif ou bien soutenir des collègues au tribunal, même les jours où la FSU [3] n’appelle pas à la grève.

Un peu plus tard, en me promenant sur internet et les réseaux sociaux, je tombais sur quelques témoignages d’ami.e.s et camarades exerçant des boulots précaires dans l’éducation nationale, j’en partage deux ici :

Au Lycée Edgar Quinet (à Pigalle) on vote tous pour Sud Education, c’est la seule liste avec des AED [4], et AESH [5] comme représentants, et représentantes. 

C’est ceux qui sont venu nous aider l’année dernière et cette année quand le Proviseur a voulu nous faire rattraper pendant l’année la semaine des petites vacances que quasi aucun AED ne fait. Pour nous c’est les seuls qui font le taf de terrain, les autres ne font qu’envoyer des newsletters et venir avant les élections. (en tout cas au niveau du bahut)
C’est eux qui nous ont parlé des AED du collège Marx Dormoy qui sont en grève. 
Vu comme on galère et gagne peu, on pense que c’est normal de demander avec Sud Education la gratuité des transports et des repas pris sur le temps de travail et l’augmentation des salaires pour toutes et tous. 
En plus, s’ils ne récupèrent pas le poste ils perdent leurs droits syndicaux c’est a dire déposer un prévis de grève, avoir des décharges, organiser une Heure syndicale, un stage de formation... ce qui nous a été bien utile dans le passé.

Voilà nous on vote Sud éducation Paris dès aujourd’hui. 
vous faites ce que vous voulez mais on voulait rappeler ces deux trois trucs, pas pour eux, mais parce qu’ils nous ont aidé, et que Sud éducation est un outil qui nous a été utile en temps que surveillantEs

Lorsque nous avons lancé l’appel à une grève des précaires de l’éducation l’année dernière, nous avons cherché des appuis syndicaux. Les seuls à s’être lancés dans cette aventure avec nous (car ça été de notre point de vue une aventure vu le travail que ça a nécessité) ont été la CNT et SUD. La CGT éduc’action Paris a rejoint tardivement notre appel sentant que quelque chose lui échappait. La CNT n’est pas un syndicat représentatif car elle ne se présente pas aux élections professionnelles. Or les “droits syndicaux” dépendent de ces élections depuis la loi sur la représentativité de Sarkozy.
SUD nous a soutenu, sans jamais intervenir dans nos positions, moralement, matériellement et financièrement.
Ils ont imprimé nos tracts à des milliers d’exemplaires, les ont envoyé par la poste, sans nous demander un euro, dans toutes les écoles, collèges et lycées de Paris (1400 enveloppes et timbres environ).
Nous avons pu rentrer dans tous les établissements que l’on voulait pour parler aux collègues grâce au droit à la diffusion d’information syndicale de SUD. Nous avons pu faire grève grâce au préavis de grève qu’ils-elles déposent tous les jours, de même pour les collègues du lycée Bergson qui ont fait 2 semaines de grève suite à leur non-renouvellement.
Lorsqu’un certain nombre de collègues se sont vu signifier des non-renouvellement de leurs contrats, SUD a fourni l’aide juridique nécessaire, a fait les recours, a demandé des audiences aux chef-fes d’établissement et au rectorat pour défendre nos collègues. Une partie d’entre-eux/elles ont été réintégré-es.
On peut (et il faut) critiquer ce système de représentativité, s’opposer à la bureaucratie qu’elle impose. Toujours est-il que dans le cadre d’une lutte revendicative partielle comme celle que nous avons mené, l’appui syndical de SUD a été un facteur essentiel.
En connaissance de cause,

Quelques participant-es à l’Assemblée des précaires de l’éducation nationale IDF

Alors voila aujourd’hui les serveurs refonctionnent et le scrutin a pu reprendre, comme je l’ai déjà dit moi à ces élections je ne peux pas voter, mais si jamais l’insurrection annoncée ne devait pas arriver j’ai plutôt été convaincu que c’était important pour les luttes qu’un syndicat comme SUD s’engage par tous les moyens nécessaires...

C.B.

Note

Récit semi-fictif inspiré en réalité de nombreux échanges sur cette question ces dernières semaines.

Notes

[1Sauf une grève sauvage mais cela nécessite déjà un rapport de force énormément favorable...

[2Quelques explications sur le droit de grève ici

[3Le syndicat majoritaire dans l’éducation nationale

[4Assistant.e.s d’éducation, le nom officiel des « pion.ne.s »

[5Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap

Mots-clefs : précaires | grève | syndicalisme | lycées

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