Nous sommes réuni.e.s aujourd’hui en mémoire d’Ilan Halimi, assassiné il y a 10 ans parce que Juif. Il a été assassiné à cause de stéréotypes antisémites d’une navrante banalité.
Ces stéréotypes sont ancrés dans l’idéologie dominante et reflètent le caractère structurel de l’antisémitisme en France. Ils s’inscrivent dans un système d’oppression de la majorité nationale, définie par l’idéologie nationaliste comme blanche et de culture chrétienne, sur les minorités nationales, parmi lesquelles la minorité nationale juive. Ils trouvent leur source dans l’histoire d’un « antisémitisme social » qui associe les Juives et les Juifs à la finance, à la richesse, à la bourgeoisie, niant le prolétariat juif protégeant la bourgeoisie en désignant les Juives et les Juifs comme « pseudo classe dominante ». Ils trouvent également leur source dans l’antisémitisme colonial, qui, dès le XIXe siècle, n’a eu de cesse de désigner les Juifs et les Juives comme boucs émissaires de l’oppression coloniale, en lieu et place du pouvoir colonial.
En matière d’antisémitisme comme de racisme, les mots précèdent les actes et la violence pogromiste est la concrétisation matérielle de cette idéologie raciste.
La diffusion à une échelle de masse des stéréotypes sur les Juives et les Juifs, présentés par les antisémites comme « riches », « radins », « tout puissants », « se connaissant tous » et réunis « autour d’un culte du pouvoir et de l’argent » est ce qui a préparé le terrain à l’enlèvement, aux tortures et au meurtre antisémite d’Ilan.
Il y a dix ans, beaucoup, dans le camp progressiste n’ont pas qualifié le meurtre d’Ilan pour ce qu’il était : un meurtre antisémite. Beaucoup n’y ont vu qu’un fait divers, quand, dans le même temps, l’immense majorité des personnes appartenant à la minorité nationale juive y reconnaissait les traits caractéristiques et séculaires du crime antisémite.
Cette attitude de déni, de silence, a facilité la montée en puissance de la violence antisémite dans la dernière décennie, sans susciter, de la part du mouvement social, du mouvement ouvrier, du mouvement révolutionnaire, une réponse à la hauteur des enjeux.
Il a fallu des années pour que Dieudonné soit considéré, qualifié et combattu pour ce qu’il est, un militant antisémite, un militant fasciste. Ce n’est que lorsque ses thèses ont acquis une influence de masse que les positionnements se sont clarifiés, sans toutefois provoquer un retour critique sur l’attitude de passivité, voire parfois de complaisance à son égard, qui présidait jusqu’alors. C’est ce qui, après l’assassinat d’Ilan, a facilité l’explosion des violences antisémites, des assassinats d’Ozar Hatorah à Toulouse aux attaques récentes contre des enseignants juifs à Marseille, en passant par la prise d’otage et le massacre antisémite de l’Hyper Casher, porte de Vincennes.
Lorsqu’au sein du mouvement social et des organisations progressistes, des militantEs ont soulevé la nécessité d’une réponse à l’antisémitisme en France, ils et elles se voyaient très souvent répondre « sionisme », « Israël et Palestine ». Jusqu’à aujourd’hui encore, l’essentiel des communications mentionnant l’antisémitisme, dans la gauche radicale, le font pour « dénoncer l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme par les sionistes », minimiser la violence antisémite en en faisant un résidu du passé appelé à disparaître, ou renvoyer la responsabilité de l’antisémitisme aux courants sionistes, et non aux antisémites. Très peu appellent à organiser cette lutte contre l’antisémitisme, pour elle même, dans le cadre de la lutte antiraciste. Cette lutte a paradoxalement peu à peu été considérée comme l’apanage de la droite ou de l’État, accusée d’être en soi l’instrument d’une politique réactionnaire. Comme un cercle vicieux, l’abandon de ce terrain de lutte par une partie conséquente du mouvement progressiste a effectivement eu pour conséquence que les forces réactionnaires étaient les seules audibles sur le sujet.
Rappelons le : les responsables du racisme, ce sont les racistes, pas les personnes racisées ; les responsables de l’antisémitisme, ce sont les antisémites et pas les Juifs et les Juives, quelles que soient leurs positions politiques.
Aujourd’hui, le mouvement progressiste doit reprendre toute sa place dans le combat contre l’antisémitisme.
Dans les heures les plus sombres de l’antisémitisme en France, pendant l’affaire Dreyfus comme sous l’occupation, en passant par l’agitation des ligues factieuses ou celles de Drumont dans l’Algérie coloniale, les progressistes ont joué un rôle déterminant dans ce combat, lorsqu’ils ont rompu masivement avec certaines ambiguités, avec une attitude de passivité ou de complaisance avec l’antisémitisme qu’ils ont eu dans les périodes qui ont précédé. C’est à un sursaut de même nature que nous appelons aujourd’hui !
Cela impose donc de faire le bilan d’une décennie, où cette question a été minimisée, éludée. Il n’est pas question pour nous d’évacuer ce bilan, de mettre tous ces problèmes sous le tapis ou de faire comme si rien ne s’était produit. Des évolutions semblent se dessiner au sein de certaines organisations progressistes vers une plus grande prise en compte de cette question pour elle-même et de ce combat pour lui même. Nous souhaitons qu’elles s’inscrivent dans la durée et ne soient pas un simple sursaut passager. Pour cela nous pensons qu’elles ne doivent pas évacuer le nécessaire bilan politique de ce qui, depuis l’assassinat d’Ilan Halimi, a permis que la violence antisémite continue de progresser.
Aujourd’hui, il nous faut faire revivre avec force, au sein du mouvement ouvrier, du mouvement social, dans la gauche radicale, au sein du mouvement révolutionnaire comme dans l’ensemble du mouvement progressiste, ce combat acharné contre l’antisémitisme, comme il faut faire vivre le combat contre toutes les formes de racisme.
C’est ce qui permettra de briser la spirale mortifère de l’antisémitisme, en lui opposant un antiracisme de classe et révolutionnaire. C’est ce qui montrera concrètement qu’il existe une voie progressiste dans la lutte contre l’antisémitisme, à l’opposé des logiques de replis voire des tentatives d’instrumentalisation racistes, islamophobes, de cette lutte.
Nous sommes de celles et ceux qui combattent ces instrumentalisations, mais nous refusons qu’elles soient un prétexte pour déserter le combat contre l’antisémitisme. Nous refusons la stratégie qui consiste à botter en touche, plutôt qu’à se confronter au problème, celui de l’antisémitisme en France, qui irrigue tous les milieux sociaux et tous les courants idéologiques, y compris ceux dans lequel il ne devrait pas trouver un terrain favorable, du fait de leur objectifs antiracistes affirmés.
Ensemble, construisons l’unité des opprimé-e-s, l’autodéfense antiraciste et la révolution sociale !