Propositions stratégiques pour la suite de l’anti-macronisme

Un mouvement social d’ampleur semble éclore, deux ans après la lutte contre la loi travail. Alors forcément, on est très excités : retour des 11H Nation et de l’effervescence collective. Mais comment éviter de retomber dans la routine pourtant stimulante et mobilisatrice du « cortège de tête », qui a fini par nous écraser en 2016 ? Quelques tentatives de propositions... en appelant d’autres.

Un mouvement fort dès le départ : pour le service public ou contre Macron ?

crédit photo : Greg Looping

Le mouvement de grève paraît déterminé et s’étend déjà à de nombreux secteurs : universités, lycées, retraités, SNCF, RATP, secteur associatif, contrôleurs aériens, hôpitaux et autres centres de soins, éducation nationale, La Poste, justice (avocats et magistrats), éboueurs...

Il apparaît clair que ce qui se mouvait souterrainement depuis les braises du mouvement contre la loi travail, sous la forme du Front Social, de la Génération Ingouvernable ou des multiples mouvements épars dans les établissements de soins, commencent à converger au-delà des mots d’ordres - c’est-à-dire en pratique.

Sur nos écrans, les éditorialistes ne savent pas comment caractériser le mouvement ni comment envisager sa suite. Ils parlent de convergence des luttes mais, en même temps, n’arrivent pas à saisir pourquoi tous ces gens manifestent ensemble malgré leurs objectifs à priori différents. On parle de « colères différentes » qui n’arriveraient pas à se « relier » (C dans l’air).

Nous, plus habitués aux AG qu’aux plateaux télévisés, dressons un tout autre constat. Il semblerait plutôt que toute une partie de la population, certes minoritaire, prenne collectivement conscience d’au moins une chose : Macron fait peser ses économies sur le secteur public et sur les moins favorisés (baisse des APL, suppression de milliers de « contrats aidés », contrôle renforcé sur les chômeurs, hausse de la CSG pour les retraités avec concrètement une retraite de 2000 € qui passe à 1800 €, épurations des budgets et des postes dans la fonction publique, réforme de la justice, etc.), alors même qu’il fait moins participer les plus aisés (suppression de l’impôt sur la fortune, diminution de l’impôt sur les bénéfices, plafonnement des taxes sur la plus-value et maintien du CICE qui a prouvé son inefficacité depuis longtemps, etc).

Nous pouvons affirmer que ce constat est un minimum partagé par la très grande majorité des manifestants. Car depuis la « crise de 2008 », il paraît manifeste que les barrières idéologiques s’effondrent une-à-une. La croyance abstraite en la sacro-sainte « croissance économique » s’effrite. La crise écologique se révèle sous toutes ses formes (réchauffement climatique, disparition de masse des espèces, fin imminente des énergies fossiles, impasses et dangers du nucléaire). Le capitalisme ultralibéral commence lui aussi à révéler ses projets les plus offensifs : transhumanisme, intelligence artificielle, robotique, cybernétique et contrôle toujours plus étendu sur nos activités. Mais tout ça, ce ne serait pas le sujet de ces « manifestations pour le service public » ...

C’est bien vrai, mais nous postulons que ça pourrait l’être, car ce que nous voyons dans les rues et les occupations, ce sont des gens unis contre la politique libérale et doucement autoritaire de Macron. C’est une grande prise de conscience du caractère profondément inégalitaire de sa politique économique, alors perçue comme absurde. Par extension, c’est toute la marche du monde qui pourrait être remise en cause - et donc bientôt, elle aussi, être qualifiée d’absurdité.

crédit photo : Greg Looping

Se limiter au fumeux « Tous ensemble ! » invoqué à l’envie depuis les grandes grèves de 1995, et au mot d’ordre « Pour le service public », c’est d’abord ne pas voir que la situation a profondément changé - et ce depuis des années. Tous les mouvements s’inscrivant dans cette logique ne s’opposent pas réellement à la marche de l’économie ni au patronat, mais simplement à l’État et à la logique de démantèlement « d’acquis sociaux » qu’il accompagne. Ils n’opposent pas à l’État une volonté de transformation du monde existant ni une remise en cause de l’accumulation comme crédo, mais une pseudo « société civile » qui serait différente du capital. C’est passer outre plusieurs éléments et pas des moindres : le service public fonctionne déjà en partie comme du privé (multiples sous-traitances, partenariats, techniques de managements, objectifs de rentabilités...), et une grande partie de son volet social ressemble aujourd’hui plus à de la coercition qu’autre chose (flicage des chômeurs, galères administratives pour obtenir des aides et garder les allocs, amendes dans les transports, contrôles de polices incessants sur des catégories de population qu’il s’agit de domestiquer, sélection et humiliation à l’école, relations de soins de plus en plus aseptisées, technicisées, infantilisantes voire humiliantes, etc.). De fait, l’idéologie de l’État comme sauveur est en pratique en train de s’écrouler parce que ses « services » se révèlent dans toute leur froideur pour ce qu’ils sont (des institutions véhiculant et protégeant les catégories du capital) alors même que leur autre versant, celui qui effectivement sert les « citoyens » au quotidien, se voit progressivement démantelé.

Il y a une dialectique à extraire de cette situation, dialectique qui ne peut que nous mener vers une remise en cause plus générale de notre mode de production : tout ce qui nous rattache à l’État est démoli, et va nous manquer dans nos survies quotidiennes ; ne reste plus alors que la réalité répressive que ces « services » mettent simultanément en place.

Cette réalité des « services » dévoilée ne peut, à terme, qu’en répandre une vision transformée (épurée à la fois de ses logiques économiques mortifères et de ses logiques répressives paradoxales). Le symbole de cette logique contradictoire est notre président lui-même, Macron 1er, rejeté par tous pour des raisons différentes. C’est à travers ce rejet - à travers les actions qui pourraient l’accompagner - que nous espérons pouvoir, ensemble, comprendre dans toutes ses réalités l’évolution de l’État-providence français en 2018. Cela implique entre autres, d’une manière ou d’une autre, de briser l’« unité » syndicale, d’inclure à la lutte d’autres secteurs que le public, d’élargir les mots d’ordre au-delà de la défense des intérêts des fonctionnaires ; en bref, que se formalise un jour ou l’autre dans les luttes la brèche de plus en plus criante qui sépare le prolétariat « exclus » de la classe moyenne « sur la défense de ses intérêts » (formalisation qui ne peut qu’aboutir, en même temps, à une percée de l’association interclassiste entre le prolétariat et la frange la plus déclassée de la classe moyenne, qui prend conscience depuis 2008 d’enjeux allant bien au-delà du « service public »). Vaste programme...

« Les mots nous divisent, les actes nous unissent »

crédit photo : Greg Looping

Pour être persuadés de cette prise de conscience commune symbolisée par l’anti-macronisme, et de ces potentielles implications, il faudrait avant-tout se rencontrer . Non pas pour tenir des débats abstraits entre nous ou pour écouter des apprentis professeurs sur l’un de ces sujets ; non, plutôt en agissant ensemble, en formulant des propositions tactiques et stratégiques ensemble, par-delà nos différences et nos objectifs à priori différents, bref, en dynamisant toujours plus le fond commun qui nous motive : le rejet des politiques ultralibérales et de leurs représentants.

C’est en agissant contre ces politiques que se révélera à nos yeux leur substance profonde, et donc par là-même l’étendue de toutes leurs conséquences. Nul besoin de grands débats préliminaires, ni d’être sûrs d’aller vers le même endroit avant de s’élancer : puisque nous nous trouvons très nombreux motivés par une même combativité, sans trop savoir qui nous sommes, entamons d’abord une marche commune et voyons où est-ce qu’elle pourrait nous mener. Les besoins de la lutte, les moyens de la lutte, les mesures prises par la lutte pour la lutte nous feront assez réfléchir, en interrompant le temps de l’accumulation, sur la profonde inhumanité qui réside sous nos manières de produire, d’organiser et de distribuer nos activités.

A cet égard, et compte tenu des moyens matériels que nous avons accumulés depuis deux ans, nous proposons quelques mesures préliminaires. Celles-ci ne doivent pas être entendues comme des mots d’ordre, mais plutôt comme de potentielles suites à offrir à notre constat commun pour l’enrichir - suites que l’on offre ici à la discussion :

  • Continuer à provoquer les « rencontres improbables ». Le cortège de tête de 2016 voyait déjà des lycéens, étudiants, syndicalistes, travailleurs non syndiqués, précaires, chômeurs se réunir dans un même geste offensif. Depuis, malgré l’éparpillement, certaines actions sont allées dans le sens d’une plus grande compréhension de l’autre et d’une main tendue vers l’ailleurs. C’était ce qui faisait déjà la réussite des mois de mai-juin 1968.
  • A cet égard, le renouvellement de la pratique de « l’enquête ouvrière » est sûrement une des meilleures choses qui soit arrivée. A Montpellier, Toulouse et Marseille, des collectifs ont renoué avec l’ambition de partir des récits subjectifs de travailleurs pour faire émerger une force collective. Une plate-forme virtuelle s’est aussi donnée pour objectif de réunir du savoir militant sur ses propres luttes : c’est la Plateforme d’Enquêtes Militantes. Il y a peu, à la suite des initiatives de la revue Micrurus, de la page Facebook "Black Bloc opératoire" ou encore du séminaire Kairos initié en fac de médecine à l’automne 2017 sur la capitale, un appel à été lancé pour une enquête dans les lieux de soins. Espérons que ces initiatives perdurent, trouvent échos, s’épaississent, et bientôt se découvrent de nouveaux compagnons de route.
  • Un certain nombre de facs sont occupées. Un mouvement inter-facs se structure et s’unit contre la répression, de Paris à Toulouse, de Bordeaux à Montpellier. Ces occupations s’acharnent à vouloir tenir des programmes de cours alternatifs ou substitutifs, le plus souvent des cours militants sur tel ou tel sujet, quelque-fois des interventions d’un enseignant ou d’une enseignante sur un « sujet engagé ». Nous postulons que le constat commun, celui de l’ultralibéralisation du monde que souhaitent entériner les réformes de Macron, nous a appris depuis un moment déjà qu’il n’y a plus rien à garder en ce monde. Depuis ce que certains ont nommé le nouveau « cycle de luttes » entamé après la restructuration des années 1970-1980 [1], il apparaît clair qu’il n’est plus possible pour notre classe de monter en puissance et de s’affirmer comme telle, parce que nous contenons dans nos activités quotidiennes toutes les catégories du capital, et parce que notre monde entier n’est devenu rien d’autre qu’une gigantesque marchandise (il n’y a plus « d’en-dehors » au capital depuis qu’il s’est socialisé ; seulement des marges qui évoluent elles aussi dans le monde du capital fossile : tournez la tête, quel objet ne suinte pas encore le pétrole ?).
    De fait, nous ne voulons pas « autogérer l’université », mais préférons l’abandonner par notre lutte. Peut-être cela paraît-il encore difficile à assumer aux yeux de tous, c’est pour cela que nous affirmons que le débat reste inutile : seuls les actes réunissent. Alors, quels actes dans l’université peuvent nous permettre de la quitter, au moins pendant la lutte ? Inviter les autres secteurs à venir s’organiser ensemble, pour dépasser les organisations catégorielles.

Mai-juin 68 : Le Comité d’Action Travailleurs-Étudiants de l’Université Occupée de Censier, prolongement des combats de rue

En mai-juin 1968, l’annexe Censier de l’Université de la Sorbonne était elle aussi occupée, et il s’y passait certaines choses exceptionnelles : un comité d’action travailleurs-étudiants (CATE) s’y montait. Après avoir distribué aux portes des usines, aux stations de métros, aux gares, dans les grands magasins, les PMU et les rues quelques tracts invitant à les rejoindre, les militants étudiants proposèrent leur aide matérielle aux ouvriers. Un peu sur le modèle de Blablagrève aujourd’hui, mais en période de lutte sociale intense et donc avec des moyens - et des ambitions - décuplés.

Ça n’étaient pas des étudiants classiques souhaitant sauver l’université, l’améliorer ou la réformer ; c’étaient plutôt des étudiants en marge du mouvement étudiant, qui agissaient aux côtés de marginaux de toutes sortes et qui souhaitaient transformer radicalement la société en faisant la révolution. Bien sûr, les ouvriers qui répondaient présents ne représentaient pas la majorité des ouvriers... mais ils étaient nombreux. Et, d’un point de vue qualitatif, la lutte dans et autour des entreprises ne pouvait que s’en trouver renforcée.

Étendre et amplifier toujours plus la grève, l’aider à se mettre en place matériellement, déblayer ensemble, aider les grévistes à subvenir à leur besoin (du moins leur proposer [2]), réaliser des actions en communs, soutenir une base contre ses instances représentatives, discuter avec des délégués un peu trop bornés, aller tracter, ensemble ou non, devant d’autres sites d’un groupe dont certains salariés sont déjà mobilisés, devant des boîtes sous-traitantes, devant des CAF et des Pôles Emplois [3], devant des boîtes d’intérim, avec un langage simple et clair, loin du jargon militant [4], c’est à ça que pourrait ressembler un Censier d’aujourd’hui.

Tendre des mains en face-à-face, expliquer nos démarches respectives et, simultanément, s’organiser en commun, se centrer sur les actions possibles, sur l’avancée de la lutte et non plus sur des discussions abstraites. On pourrait mettre en liaison, comme cela s’était fait à Censier, des paysans avec des grévistes pour offrir aux seconds des surplus de ventes ou des paniers donnés par générosité. On pourrait s’organiser pour bloquer des lieux stratégiques ensemble, au-delà de ce que prescrit le syndicat. On pourrait même comploter ensemble pour tout un tas d’actions de soutiens réciproques. Le 23 mars ont par exemple eu lieu plusieurs actions de soutiens à la grève des cheminots sur différentes voies ferrées en Normandie. Des pétards ont été disposés sur les rails afin de stopper les trains, provoquant perturbations et retards [5] .

Ce ne sont que des idées parmi mille autres qui attendent d’éclore avant que l’on ne se rencontre (et qui aujourd’hui s’expérimentent déjà par-ci par-là, à des échelles restant réduites). Bien sûr, de telles invitations, si des salariés y répondent en nombre, commenceraient à inquiéter les directions syndicales. Cela ferait nécessairement parti des discussions. Et pourrait commencer à faire bouger un peu les lignes...

Multiplier les invitations aux salariés en lutte dans les facs occupées et arrêter la blague de « l’autogestion » étudiante

C’est donc finalement notre proposition majeure (l’on pourrait rajouter aux invitations de salariés les associations de terrains en quartiers populaires, les comités de quartiers, etc.).

Elle attend discussion. Bien sûr personne ne nous a attendu pour se rencontrer, mener une politique des « fragments » ou s’organiser entre secteurs et syndicats différents. Rien que dans l’université, comme à Bordeaux, on peut noter une AG en commun avec les retraités (et sûrement d’autres initiatives, nous ne sommes pas au courant de tout). Et l’on sait que de nombreux et nombreuses motivés ne loupent pas une intersyndicale ou AG ouverte pour tenter de tisser des liens. Mais le constat reste là : nous ne parvenons pas réellement à faire masse, et le gouvernement comme ses éditorialistes misent encore une fois tant sur l’épuisement de notre propre force devant le spectacle de sa ritualisation que sur notre profond fractionnement.

Concernant le secteur de la santé, des journées de mobilisation sont prévues ces prochaines semaines. Les salariés du secteur étaient invités par plusieurs syndicats à se joindre aux cheminots et aux autres agents de la fonction publique lors de la manif du 22, c’est maintenant à nous de les rejoindre et d’aller à leur rencontre avec notre parole, nos tracts, mais surtout nos mains. Une journée d’action commune aux hôpitaux et aux Ehpad est envisagée le jeudi 5 avril. Quarante sections syndicales Sud et CGT de différents hôpitaux et la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité appellent en outre à une journée de grève le 15 mai.

Il y a aussi la mobilisation contre le licenciement de Gaël Quirante, secrétaire départemental de SUD POSTE 92 CGT et figure importante du Front Social. Il y a appel à la grève (et préavis) dès lundi 26 mars sur tous les centres des Hauts-de-Seine, et rendez-vous devant le ministère du travail à 19h (métro Varenne) le lundi 26 mars au soir.

A l’échelle nationale, la CGT annonce déjà deux nouvelles dates pour le 3 et le 19 avril. C’est une récidive de sa stratégie des « journées d’actions saute-mouton », qui a déjà prouvé son inefficacité lors de la lutte contre la loi travail : une manif tous les 15 jours, cela ne peut nous mener qu’au délitement. Une partie de la base a l’air plus déterminée et rejette déjà cette logique : le 22 mars 500 cheminots réunis à la gare du Nord ont voté en AG la grève reconductible dès le 3 avril prochain, offrant ainsi une alternative à la stratégie décidée par l’inter-fédérale des 2 jours de grève par semaine.

De même, la CGT Éduc’action 95 a voté à l’unanimité l’appel à la grève pour le mardi 3 avril. Elle compte étendre son appel et le proposer à d’autres [6] : pour cela, deux AG ouvertes à tous et toutes sont organisées la semaine prochaine. De nouvelles informations vont de toutes façons très vite arriver en ce sens.

Ces dates nous laissent plus ou moins de temps, espérons que d’ici le 3 certaines alliances aient déjà pris forme. Que l’on soit en mesure d’accompagner certaines de ces mobilisations, en particulier dans la santé, avec des travailleurs de différents secteurs, mais aussi avec des chômeurs, des précaires intérimaires ou non, des militants de quartiers populaires, etc. On entend gronder des cheminots et des profs qui se plaignent de leurs centrales : c’est maintenant ou jamais que la ligne de fracture se dessinera ou non ! Pour faire monter en pression le mouvement jusqu’au 3, puis jusqu’au 19, accompagnons les salariés en lutte qui le désirent et invitons les à échanger le plus possible ! La critique des bureaucraties a commencé en interne, accompagnons-là dans les actes en généralisant les solidarités.

Car si certains ne nous ont pas attendu pour tenter de se rencontrer, nous parlons d’où nous venons : le cortège de tête. Celui-ci, pour se revitaliser, a besoin de sortir de la routine manifestante - le constat est dressé, de toutes parts, depuis longtemps déjà, et des réponses ont déjà commencé à être apportées. Il s’agit de profiter de l’effervescence du moment pour passer de la parole aux actes. Et, aussi, d’entériner les différentes rencontres effectuées jusque-là, par exemple dans les luttes contre les violences policières, et de les décupler en les croisant avec d’autres.

Les occupations de facs peuvent nous permettre ce saut qualitatif. D’autant plus que les universités occupées semblent souvent bien vides, et que les activités substitutives proposées sont de faibles portées... Lier des mondes en s’organisant, voilà un « programme » un peu plus excitant qu’attendre la prochaine AG. Nos « émeutes » n’en deviendront que plus réelles, le pouvoir flipperait un peu plus, et peut-être que les mots d’ordres pourraient enfin s’élargir contre la société capitalisée, ce qui motiverait un peu plus de monde...

Alors, pour que ce mois de mai qui s’annonce agité ne soit pas juste un mois de Nation-République enflammé devant, pour des milliers de syndiqués parqués derrière et en majorité dubitatifs face à nos actions, mais qu’il propage plutôt des relents insurrectionnels aux quatre coins du pays, nous proposons de faire de nos facs occupées des lieux de liaisons avec les autres secteurs en lutte, vouées essentiellement à l’action en commun et aux propositions organisationnelles locales. Plus il y aura de chasubles dans nos cortèges, plus le gouvernement aura des raisons de se faire dessus ! L’université occupée de Nantes prend les devant et appelle à une AG inter-luttes le jeudi 29 mars à 19h pour construire la suite du mouvement local [7]. Cela permettra en outre une plus grande unité envers la répression des administrations universitaires contre les occupations (ce qu’il s’est passé à Montpellier et Lille [8] démontre bien que nous en avons besoin).

crédit photo:Titou

Notes

[1Nous faisons ici référence à la revue Théorie Communiste. D’autres individus, groupes et revues issus de la même école théorique (marxisme antiléniniste) ont qualifié ce tournant « d’anthropomorphose du capital » (Jacques Camatte, et avec eux le Comité Invisible), de « société capitalisée » (Temps Critiques), etc. Tous partent du constat de l’étendue de la « soumission réelle du travail au capital » (cf. Marx, Chapitre VI inédit du Capital, 1867), ce que finalement Debord a si bien nommé « société du spectacle ». Pour plus de détails théoriques sur cette périodisation, se reporter par exemple à l’interprétation qu’en fait Théorie Communiste, reproduite dans plusieurs textes (et disponible ici sur Facebook).

[2Une cagnotte de soutien pour les cheminots qui font grève à partir du 3 avril a déjà été mise en place. On peut aussi imaginer des récoltes de fonds via des stands, tractages ou autres.

[3D’autant plus que Macron compte renforcer le contrôle sur les chômeurs, alors même que Pénicaud s’occupe d’une réforme de l’assurance chômage assez affolante...

[4Des chercheurs ayant analysé un dense et représentatif échantillon des tracts publiés en mai-juin 1968 avec des méthodes quantitatives, dans l’objectif d’établir un panorama lexical et une analyse de leur contenu, mobilisant entre autres les statistiques, ont conclu à propos des tracts du CATE : « Ce sont les collectifs improvisés sur le tas qui ont fait montre de la plus grande cohérence expressive. [...] Sans doute ne se querellaient-ils pas entre eux ; à coup sûr ils rassemblaient des militants d’idéologies différentes, voire peu politisés, neutralisant les uns par les autres leurs spécificités les plus voyantes. Il n’est donc pas inexact de dire qu’en Mai 1968 le « comité » était plus unifiant que l’ « organisation », le spontané moins dispersé que l’organisé », dans Michel Demonet (sous la dir.), Des tracts en mai 68. Mesures de vocabulaire et de contenu, Armand Collin, « Presses de Sciences po », p. 281.

[5L’action a été revendiqué par un « Mouvement du 23 mars » qui, par voie de communiqué, se décrit comme groupe d’« usagers de la grève » et affirme en avoir assez « d’être pris en otage depuis trente ans par des considérations stratégiques syndicales stupides qui empêchent notre liberté d’exercice ». Le mouvement entend « libérer la grève des donneurs d’ordres qui l’abattent et laisser enfin le temps à tout usager de la grève d’en profiter. Il ne suffit pas aux grévistes de vivre un jour ou deux tous les six mois. Fini les mouvements ponctuels ! Ce début ouvre un combat, sortez du rang sans attendre !  »

[6« Nous allons également nous adresser aux UL CGT, à l’UD CGT 95, aux syndicats des trois fonctions publiques CGT, à l’intersyndicale de l’Education du 95, à notre fédération ». Plus ici

[7Événement Facebook ici. Extrait : «  Depuis plusieurs semaines, la jeunesse se mobilise fortement dans toute la France, et notamment à Nantes, contre la sélection à l’université et les mesures de Macron contre l’enseignement. En parallèle, de nombreuses entreprises sont en lutte dans la région nantaise. Des grèves et actions se déroulent sans qu’elles ne soient connues ou entendues. D’une part, les médias ne parlent pas, ou peu, des luttes dans les entreprises. D’autre part, les étudiant-e-s en lutte restent bien souvent concentrés dans l’enceinte universitaire. Rencontrons nous !

Jeudi 22 mars, après une manifestation massive et énergique, ces différentes forces ont pu échanger, lors d’une première AG inter-luttes, pour créer du lien entre les grèves et les mouvements en cours. Parce qu’il n’y a pas de petit combat, toutes celles et ceux qui font front contre ce monde de riches, qui se mettent en grève pour refuser la loi des patrons, ont intérêt à se rencontrer, se parler, échanger, partager. Nous sommes convaincu-e-s que des victoires politiques d’ampleur peuvent être obtenues si l’on parvient à dépasser le seul endroit depuis lequel on lutte. »

[8A Montpellier, un commando d’une dizaine ou quinzaine de personnes a fait irruption, visage masqué, lors de la première nuit d’occupation de la fac de droit. Armé de palettes, matraques et taser, il a blessé plusieurs personnes et « libéré » la fac à sa manière. Le doyen est selon plusieurs témoins venu leur ouvrir les portes (il était en tout cas présent devant la faculté au moment des faits). Il ne nie pas la possibilité qu’un ou des profs enseignants dans la fac aient fait parti du commando... Et certains élèves affirment avoir reconnu des chargés de TD.

A Lille 3, la police a expulsé des étudiants occupants l’amphi B1 en soutien aux grévistes de Toulouse Le Mirail (université placée sous tutelle du ministère du Ministère de l’Enseignement supérieur).

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