Proposition d’enquête-action dans et contre l’emploi précaire à destination des AG de lutte comme des isolés appelés à les rejoindre

Chantier. Voilà quelques notes en vue de lutter dans et contre la précarisation. Une telle enquête-action aurait pour objet de contribuer à définir des manières renouvelées et variées d’attaquer la loi travail, de l’analyse des situations où la logique de cette loi du capital s’exerce dès à présent à l’intervention politique.

Ce texte a été diffusé aux participants à la coordination nationale étudiante samedi 2 avril 2016 à Rennes puis dans divers endroits et moments depuis, en particulier à Paris.

Proposition d’enquête-action dans et contre l’emploi précaire à destination des AG de lutte et des isolés appelés à les rejoindre

La seule richesse que nous avons à tirer aujourd’hui de l’école
c’est la dynamique de lutte qu’elle peut entrainer...
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Etudiants, si vous saviez - Cash, janvier 1987.

Parmi ceux qui sont à la fois les plus mobilisés et les plus en butte à la répression [1], les questions du travail et de la précarité sont en train d’être abordées collectivement, creusée de manière critique. Voici quelques notes à ce propos, en espérant qu’elles puissent être utiles à des échanges parmi ceux qui luttent et parmi tous ceux qui sont appelles à les rejoindre.

Une proposition immédiate serait de réaliser des petits moments d’enquête (qui taffe où ? comment fait-on pour vivre ?) qui permettent d’ajouter aux formes de luttes actuellement expérimentées, des actions de perturbations/interruptions qui visent des entreprises, événements et institutions organisatrices du travail, de pratiquer des formes de grèves qui puissent s’assurer le maximum d’impunité salariale, disciplinaire, policière.

Il peut être plus aisé d’occuper tranquillement un Mac do deux heures pendant le rush après avoir bloqué une plate-forme téléphonique, puis d’aller agir ailleurs, que de se confronter frontalement à la police. Il s’agit de nuire aux entreprises (etc.) dont on dépend, par exemple en y faisant intervenir des inconnus de ces boîtes - comme lorsque le mouvement des intermittents et précaires bloquait des spectacle à la demande d’intermittents qui ne pouvaient s’y mettre en grève [2] - et ainsi de contribuer à faire des lycées et facs en lutte des lieux d’élaboration depuis lesquels soient impulsées de multiples actions vers l’extérieur [3].

Bien des « jeunes » vivent le présent en pensant à l’avenir (par exemple la loi travail). Pensées souvent placées sous le signe de la crainte : la précarité qui les menace et qu’ils peuvent combattre pour cette raison (comme lors du mouvement actuel : lutter dans et contre la peur met en cause la gouvernementalité) ; la précarité à laquelle échapper (ou moins concéder) en obtenant des diplômes (et en montrant patte blanche : stages, candidatures, faire la preuve de son adaptabilité, d’Erasmus à l’intérim).

Or ces entrants dans le salariat ont déjà une connaissance précise de l’avenir (leur participation aux manifs n’est pas « absurde » contrairement à ce qu’a dit MEK), c’est le temps des parents, des aînés : crise, travail emmerdant, inutile, dégradant, entre dépendance au marché de l’emploi (chômage, pauvreté, ennui, dévalorisation, indignité) et surinvestissement obligé dans l’emploi (heures supp. non payées, ..., burn out).

Mais ils se considèrent usuellement comme en train de « préparer l’avenir », ce qui entrave leur capacité à « se faire experts » - pour la lutte ! - de leur propre sort dans le travail et la discipline scolaire : horaires, hiérarchie, évaluation sont une préparation au travail, un apprentissage de l’adaptabilité à des fonctions changeantes (le capitalisme c’est la crise et la restructuration continues), le préalable à une polyvalence requise par l’emploi variable.

Avant d’en revenir au présent, un détour par deux textes critiques quant à la fonction de l’école dans la société capitaliste peuvent s’avérer salubres. Écrits peu après des mobilisations massives de scolarisés, ils restent actuels par certains de leurs aspects (car oui, la peur du chômage a repoussé à l’arrière plan l’angoisse d’avoir à s’employer pour de la merde, de perdre sa vie à la gagner, même si, grâce à la brutalité du PS, ce refus là revient en force…) :

L’école, atelier de la société-usine - L’école-en-lutte, 1973.

Etudiants, si vous saviez - Cash, 1986.

Ainsi par exemple peut-on encore aujourd’hui faire quelque chose de ce qui suit.

La fac : l’école du travail

En fait l’inquiétude ressentie dans les milieux scolaires, ce n’est pas tant la peur du chômage que le type de travail que l’on est sûr de trouver. Car la massification des diplômes cela signifie un travail de merde, comme tous les autres travaux, qui nous échappe totalement aussi sûrement que le travail de l’ouvrier d’usine. La chaîne si elle est devenue abstraite, n’en demeure pas moins une chaîne. Et nous ne pourrons pas plus nous prévaloir d’un savoir faire spécifique, nous ne sommes chacun qu’un parmi des milliers, interchangeables et jetés dans le domaine de la concurrence. Et le salaire que nous pourrons espérer obtenir ne dépassera guère le SMIC. Cette concurrence c’est également l’école qui la gère indirectement. C’est un des rôles de la sélection. À travers des diplômes différents, elle permet de hiérarchiser les individus de leur donner des salaires différents pour le même travail. Prenez l’exemple des profs : quelle différence dans le boulot d’un agrégé ou d’un maitre auxiliaire ; la même merde avec 6 heures de moins et 4000 F en plus pour l’agrégé. Cette même hiérarchisation se trouve dans l’ensemble du public et dans les grandes boites du privé. Elle permet la division en catégories et l’impression que l’on appartient à un corps que le travail et le salaire que l’on nous donne revienne à notre mérite, celui qui nous a permis de décrocher notre diplôme. (Etudiants, si vous saviez).

L’« étudiant » n’est rien d’autre qu’une idée archéologique, partagée par le syndicat, un gauchisme rabougri, des pro-situs, alors que la figure de l’étudiant n’existe plus. Faire l’étudiant , c’est dans 75% des cas !! ÊTRE déjà UN TRAVAILLEUR PRÉCAIRE, dans le phone marketing, la grande distribution, la restauration rapide, les services à la personnes, l’intérim, etc., ou directement dans son domaine de formation, voire comme pute. Et c’est de là qu’il faut partir.

Car autant se le dire, les bons sentiments ne font pas une politique. Pour inventer un égoïsme collectif et solidaire, plutôt que de se dire d’abord « solidaire de… » qui est en plus mauvaise posture (par ex. les Rroms, migrants, chômeurs), ou serait plus légitimes (par ex « les travailleurs »), mieux vaut partir de sa propre situation, et donc à propos de la Loi Travaille, des pratiques d’emploi que l’on vit et expérimente déjà, pour en faire collectivement une lecture orientée. On y trouvera davantage de raisons et des raisons plus solides d’agir avec les migrants, les chômeurs, les précaires et les salariés en poste.

Ce rapport à l’emploi précaire des scolarisés, il commence dès le secondaire. 1/3 des lycéens de plus de 16 ans travaillent en plus de l’école, pas pour des diplômes et pour plus tard, mais pour de l’argent, tout de suite [4].

Des échanges sur ces questions (où ? pour qui ? comment ? à quel prix travaillons nous ?) entre scolarisés, à l’école, dans les filières générales et techniques, en IUT ou à la fac, doivent avoir lieu ! C’est le seul moyen de se faire collectivement une idée précise et concrète du travail, au présent ! De tels échanges ont vocation à déboucher sur l’organisation d’actions (AG, blocage, manifs, ok, mais pas seulement !!).

Il s’agit aussi en inventant de tels espaces et moments de lutte d’éviter deux écueils qui grèvent de l’intérieur le développement du mouvement : d’une part, le schéma travailliste et bureaucratique des syndicats et organisations de gauche (CDI pour tous, alors que cela ne motive - et pas à tout coup ! - que la recherche d’une sécurité plutôt illusoire, cf CDI chez Mac do et tant d’autres, 26 000 « ruptures conventionnelles » par mois, période d’essai abrégées par le patron à son gré, etc.), un schéma qui entrave l’action des militants et sympathisants qui y adhèrent peu ou prou ; d’autre part, les idéologies insurrectionnalistes en vogue actuellement et qui conduisent ceux qui s’y reconnaissent plus ou moins explicitement à renforcer une « identité » (à se distinguer du vulgaire) plutôt qu’à agir avec tous, alors que c’est la seule voie qui permettrait de mettre en oeuvre une transformation réelle, produire des effets qui dépassent les participants actuels au mouvement.

Proposition d’enquête-action dans et contre l’emploi précaire à destination des AG de lutte comme des isolés appelés à les rejoindre, pdf, 2p.

Un détour théorique :
Aujourd’hui la classe ouvrière n’a qu’à se regarder pour comprendre le capital. Elle n’a qu’à se combattre elle-même pour détruire le capital.
Lutte contre le travail, extrait de Ouvriers et capital, de Mario Tronti.

Un tract diffusés à Paris en mars :
• Retrait de la Loi travail : Pas de droit du travail sans droit au chômage !

Note

Ce qui se présentait début avril comme une proposition n’a pour l’heure donné lieu à aucune formalisation particulière. Sans même que cette proposition ne soit critiquée, débattue ou reformulée explicitement, ce texte a changé de nature pour faire figure de description fragmentaire et abstraite - et pour tout dire erronée - d’un processus réel en cours : la recherche collective de nouvelles formes d’interruption de la production, de nouvelles modalités de grève, d’arrêt. Expérimentons. Une saison des luttes s’est ouverte.

Notes

[1la formule désignait trop implicitement les lycéens, les chômeurs et précaires, note du 13/4.

[2Car les heures d’emploi non réalisées impliquaient non seulement une perte de salaire et/ou de contrat mais aussi, potentiellement, perte d’un droit au chômage conditionné à un volume horaire d’emploi.

[3Faire des lieux de rencontres, d’agrégation et d’occupation des points d’ancrage depuis lesquels impulser des actions non seulement « spontanées », immédiates, mais aussi élaborées collectivement reste à l’ordre du jour dans le mouvement d’occupation des places. De ce mouvement on aura trop peu remarqué qu’il est aussi un mouvement de chômeurs et précaires qui ne se déclare pas comme tel...
Souvenons nous. Les chômeurs en lutte de l’hiver 1997/98 le disaient, « vous avez l’argent, nous avons le temps ». Plus tard, en 2003, le baron Ernest-Antoine Séllières avait raison d’affirmer que les intermittents du spectacle faisaient grève avec l’argent des Assedic. La petite circulation, le salaire sont des ressources dont la fonction peut être renversée pour ne pas se faire force de travail, pour se faire collectivement force invention et antagonisme. Note du 13/4.

[4Ismaïl Bouguessa, 19 ans, scolarisé au lycée professionnel Marc-Séguin à Vénissieux (Rhône), travaille depuis l’âge de 14 ans et demi. Il a commencé par faire les marchés, de 7 heures à 13 heures, les week-ends, à raison de 40 euros la journée. Aujourd’hui majeur, il passe par une société d’intérim qui lui confie des missions de préparation de commandes pour une entreprise de surgelés ou de manutention pour un parc d’expositions.

« Je travaille surtout le soir, de 19 heures à 1 heure du matin », dit-il. La fatigue ? « C’est une question d’habitude. » Le travail scolaire ? « On n’a pas beaucoup de devoirs. » Il n’empêche, certains matins, Ismaïl a des pannes d’oreillers.

Il travaille environ 25 heures par semaine pour 240 euros. « J’en donne une partie à mes parents, dit-il. Sa mère fait des ménages et son père est au chômage. Je paye mes sorties, mes vêtements, mes repas. J’en mets de côté pour passer mon permis de conduire. »

« Dans la classe, nous sommes 4 à travailler sur 15 », indique son camarade Ali Gasdallah. Noël est une période de forte activité : Ali a décroché un contrat pour préparer des commandes pour une grande enseigne, ce qui va le contraindre à rater trois jours de cours ; le week-end, Jihed prépare des petits déjeuners dans un hôtel quatre étoiles à Lyon et Mourad travaille dans une entreprise de manutention. Tous mettent de l’argent de côté, pour passer le permis de conduire ou entretenir leur voiture, et aident leurs parents. (...)

« Quelle est l’ampleur du phénomène ? Au ministère de l’éducation nationale, comme au ministère du travail, on ne dispose pas de statistiques. « De plus en plus de lycéens ont un emploi rémunéré », assure Floréale Mangin, présidente de l’Union nationale lycéenne (UNL), qui a commandé à l’institut CSA une étude sur la question.

Réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 479 lycéens du 6 au 13 novembre sur une cinquantaine de lycées répartis sur l’ensemble du territoire, l’étude révèle que 18 % ont, en dehors des stages conventionnés, déjà exercé ou exercent une activité rémunérée depuis qu’ils sont lycéens, en dehors des vacances d’été (si l’on inclut les vacances d’été, ce pourcentage grimpe à 28 %). Au moment de l’enquête, ils étaient 6 % à travailler ; près de la moitié (48 %) n’étaient pas déclarés.

Les activités se répartissent entre le baby-sitting (28 %), le commerce, la vente et la distribution (24 %), l’hôtellerie et la restauration (16 %), l’événementiel et l’accueil (12 %), l’industrie (7 %), etc. Les lycéens gagnent en moyenne 302 euros par mois. Quelque 80 % déclarent qu’ils travaillent pour « se faire de l’argent de poche et s’offrir ce dont ils ont envie », 13 % disent « en avoir besoin pour vivre », 5 % « pour avoir de l’expérience et se former à leur futur métier » et 4 % parce que leurs parents « les y ont incités ». La proportion des lycéens qui travaillent parce qu’ils en ont besoin pour vivre apparaît élevée dans les lycées professionnels (23 % des lycéens qui travaillent), comparée aux lycées généraux et technologiques (7 %). » Le Monde, 18.12.2006.

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