Paul Aussaresses, un serviteur de l’Etat

La mort du général Aussaresse, illustre boucher de la guerre d’Algérie, a été l’occasion pour les médias et les démocrates de tous poils de se lâcher, dans un immense élan d’antiracisme et d’humanité : bourreau, tortionnaire assumé... Bref, un méchant.

Un parcours classique de fasciste classique

Il ne s’agit pas là de défendre Aussaresses qui fut effectivement en son temps un boucher. Comme les neuf dixièmes des hauts gradés français, il penchait naturellement vers « l’ordre » et évidemment, le fascisme.
Ancien para de la guerre d’Indochine, sorti auréolé de sa participation à la « France Libre » pendant la Seconde Guerre mondiale le second borgne de France s’était fait la main sur les partisans d’Ho Chi Minh (où ses crimes sont sûrement aussi horribles qu’en Algérie, mais bien moins mis en avant) avant de débarquer en Algérie tout clinquant, pour mettre au pas les « fellagahs » et « terroristes ».
Le massacre de Phillipeville marque son intronisation au sein de la Grande Muette. Un général qui couvre un massacre, c’est toujours la classe dans des logiques de contre insurrection. Il restera célèbre pour les assassinats camouflés en suicide (grand classique) des opposants algériens Larbi Ben M’hidi et Ali Boumendjel. Assassinat qu’il a commis de ses propres mains.

Sa participation à la bataille d’Alger sous la direction du Général Massu (qui lui aussi assume sa participation à des actes de « nettoyage ») n’avait rien d’un hasard. Militaire de carrière, fervent partisan de l’Algérie française et surtout brillant stratège, Aussaresses n’a été qu’un pion docile parmi d’autres dans les exactions et les massacres que nécessitaient la guerre coloniale.
Très appliqué dans son travail il assumera tout et deviendra un des spécialistes de la « guerre contre subversive », cette guerre contre un ennemi intérieur et invisible qui se cache partout, dans chaque paysan des Aurès, dans chaque village « indigène ».

Sous les ordres de Messmer il ira, la décennie suivante, servir les Juntes militaires en Amérique du sud dans un « Centre d’instruction de la guerre dans la jungle » à Manaus au Brésil [1].
Toutes les pires dictatures militaires y enverront leurs plus fines équipes afin de mater les Tupamaros, Miristes et autres guerilleros [2].
Aussaresses jouera ici un rôle majeur. Il apprendra les plus « fines » techniques de torture (notamment l’électricité). Entre temps, pour compléter sa formation et faire partager ses savoirs il ira aussi travailler à « Fort Bragg »,, centre d’entraînement pour les unités spéciales américaines, en Caroline du Nord. Formations qui seront appliquées de manière massive durant la guerre du Viet Nam.

Oui, Aussaresses était un tortionnaire notoire, un assassin méthodique et scrupuleux, mais il s’agissait avant tout d’un serviteur de l’État, qui n’a jamais fait autre chose que de servir l’État.

Les bonnes oeuvres de l’armée française

Aussaresses est un militaire : il obéit, il applique.

On peut reconnaître à Aussaresses un certain courage.
Il a assumé tous ses actes.
Il a, à lui tout seul, endossé les meurtres de la guerre d’Algérie. Tous les siens, tous ceux qui l’avaient couvert, tous ceux qui l’avaient aidé et tous ceux qui ont torturé de leurs propres mains ont pu se défausser sur cette crapule.
Lorsqu’en 2000 il explique avoir torturé, personne ne vient le soutenir (hormis quelques nostalgiques).
Où sont-ils, les mittérandiens ? Mitterrand qui savait tout des exactions de l’armée, Guy Mollet qui appuyait clairement les paras pendant la bataille d’Alger.
Où sont-ils, les gaullistes ? Ce Messmer qui a revendu à toutes les dictatures du monde notre savoir-faire ?
Les radicaux ?
Tous ceux qui ont donné les ordres ?
Où sont tous les bouchers anonymes qui le 12 mars 1956 votent les pouvoirs spéciaux ?
De l’extrême droite aux communistes, tous repartis comme en 14 dans l’unité vaille que vaille. Tous ceux-là feignent l’indignation. Difficile de croire qu’ils ne savaient pas, dès le moment où ils ont donné les pleins pouvoirs à Massu, qu’il ne s’agirait que d’une boucherie sans nom. Tous le savaient. Toute la classe politique était issue de la Résistance. Toute la classe politique savait ce que signifiait le maintien de l’ordre par une armée en territoire hostile. La classe politique entière souillée par le sang des militants du FLN, souillée par les « corvées de bois » [3], souillée par les bout de verres insérés dans le vagin des militantes algériennes, souillée par les plaies ouvertes, par la peau brûlée au chalumeau, par les litres d’eau de javel bus par les prisonniers... [4]

Reste à savoir qui a donné les ordres... Nous ne le saurons sans doute jamais.
Mais là encore, louons Aussaresses pour sa franchise. Dans son dernier Je n’ai pas tout dit (autant intituler ça « Attendez-vous au pire »), Aussaresses explique très sereinement que l’ordre est venu directement du garde des Sceaux (de Mitterrand donc) pour ce qui est de l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, considéré en Algérie comme un héros du peuple...
Mollet [5] lui-même avait donné comme ordre la « liquidation du FLN ». Ces perspectives enjouées étaient appuyées par le député socialiste de l’Aquitaine (il le restera jusqu’en 1980), Robert Lacoste, alors gouverneur général de l’Algérie, qui soutint lui formellement l’usage de la torture.

La boucherie que fut la guerre d’Algérie n’est donc pas, contrairement aux discours officiels des médias et des politiciens, une responsabilité individuelle mais bien une gestion politique et collective de la chose, avec des gens donnant des ordres et d’autres les exécutants.
Car à travers la figure du « Diable » Aussaresses, c’est l’État qui est lavé de tous ses crimes. Aussaresses ne serait qu’un dérapage, une bavure somme toute, dans une guerre qui bien sûr devait être propre. Aussaresses n’était qu’un sadique, un homme sans foi ni loi, contrairement à tous nos politiciens, cultivés et propres sur eux...
La torture n’était pas un acte individuel. Il s’agissait d’une méthode rationnelle, méthodique et pensée dans les plus hautes sphères de l’État.
Il ne s’agissait que de la continuité logique du colonialisme et du racisme à l’oeuvre pendant près d’un siècle en « territoire indigène ».

Quant à vous Général Aussaresses, nous cultivons le regret de vous avoir vu mourir si âgé, si bien portant, et d’une arme aussi douce que la vieillesse...

À voir : Le boucher face à ses anciens maîtres, scène glaçante si il en est...

Note

Pour en savoir plus :
« Des Français contre la terreur d’État (Algérie 1964-1962) », recueil de textes, éditions Reflex, 2002.

Notes

[1Le Brésil est alors sous la botte du Maréchal Castelo Branco chef de la dictature militaire brésilienne, viscéralement anti communiste, s’appuyant sur les franges les plus durs de l’église catholique et surtout, pantin de la CIA.

[2Pour plus d’infos, le documentaire Escadrons de la mort, une école française, de Marie Monique Robin

[3Nom commun dans l’armée pour désigner les exécutions sommaires d’algériens.

[4De si sordides détails semblent malheureusement nécessaires pour réactiver les mémoires endormies par des années de censure et de non dits, pour plus d’infos sur les pratiques à l’oeuvre à l’époque voir ici

[5président du conseil à l’époque (équivalent de Premier ministre), socialiste.

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