Le voyage dans une France « en guerre » a été bien moins stressant que ce à quoi nous nous attendions. Les routes n’étaient pas fermées comme annoncé, ni pleines de flics, les douanes non plus. Les militaires ne se pavanaient pas à tous les coins de rue de Paris comme tentent de le montrer quotidiennement les images de BFM, du Monde ou du Figaro. Nous n’avons pas été fouillés, ni nous ni nos sacs, ni sur la route ni une fois dans la capitale alors que nous nous rendions aux différents événements. Sur le sol français, la guerre dans laquelle l’État s’est engagé est avant tout médiatique.
Si l’état d’urgence, entendu comme outil de protection contre la menace extérieure, est un leurre, c’est par contre, outre une nouvelle éructation d’islamophobie, le moment bien palpable d’une tentative de purge. Les assignations à résidence touchent nos camarades, les perquisitions, des lieux que nous fréquentons, les interdictions de se réunir, nos lieux d’organisation. La répression a le champ libre, portée par cette étrange invention sondable à souhait qu’est l’opinion publique.
Les mobilisations de début novembre ont été interdites à grand renfort de démagogie, mais il ne nous appartient pas d’avoir fait le lien entre l’état d’urgence et la lutte contre la tenue de la COP21. C’est le jeu du gouvernement depuis une dizaine de jours que de prétendre ne pas pouvoir assurer la sécurité d’un cortège le 29 novembre. Pourtant, ce dimanche sur la place de la République, c’est plus d’une centaine de fourgons de CRS qui nous a encerclé.e.s. Tant de flics incapables de nous protéger ? Allons bon.
L’enjeu pour la police, durant toute la durée des festivités, sera d’empêcher qu’il se passe à Paris quelque chose qui soit à la hauteur de l’outrage. Malgré l’usage de cette arme de terreur qu’est la sécurité imposée au prétexte de la menace djihadiste, nous espérons que ces moments arriveront. Et nous ne pensons pas que ces moments puissent être non-violents.
Le fait que les caillasses puissent pleuvoir sur la police est toujours une réussite. Le fait que ces caillasses aient été les bougies de ce qui est appelé aujourd’hui un mémorial est probablement la chose la plus intéressante qui se soit passée lors de la tentative de manifestation de ce dimanche. Ces gestes sont une réponse à laquelle nous avons été forcé.e.s par la propagande post-attentats.
Ces gestes ne se font pas dans le vide, ils marquent une position claire à l’adresse de celles et ceux qui instrumentalisent la mémoire des victimes du 13 novembre dans le but de faire taire toute contestation de l’ultra sécuritaire actuel, de nous faire accepter que notre sécurité puisse être indexée sur notre renoncement. Nous ne nous prosternerons pas devant ces idoles de cire et de papier parce que leur fonction est de nous confiner au silence. Nous rejetons avec force la manière dont l’État use de la mémoire des mort.e.s pour aller se vautrer sans critique dans une COP21 aussi odieuse qu’inutile, et pour justifier dans les bombardements ses velléités coloniales. Notre hommage aux morts inutiles ne peut être qu’un assaut contre celles et ceux qui les ont rendues inévitables.
Si nous ne faisons que peu de cas des lectures médiatiques de nos actes, il ne nous semble que peu intéressant de nous cantonner aux positions qu’elles nous assignent. Si nous ne correspondons pas à la figure de braves manifestant.e.s discipliné.e.s, nous ne sommes pas automatiquement des casseurs ou casseuses « opportunistes ». Notre capacité à utiliser la violence de manière cohérente fait notre force.
Cependant, nous estimons que notre mobilisation, et les risques que nous prenons, ne sont pas seulement symboliques et que nos résultats ne peuvent donc être seulement symboliques. La recherche du conflit lors de manifestations est bien plus que la tentative d’expression d’une rage légitime, elle est la recherche active de la possibilité de faire varier des rapports de force en notre faveur. En cela, il est essentiel que pour être efficace notre violence soit organisée, a fortiori devant des déploiements policiers si importants.
Il a probablement été difficile pour tout le monde de prévoir l’instant et se retrouver les mains vides sur cette place pleine de Charlies et de flics a beaucoup joué en notre défaveur.
En terme d’informations, si les blocages de la police et l’annonce tardive du déplacement du banquet nous ont empêché.e.s d’être aussi nombreu.x.ses qu’attendu, la publication de deux rendez-vous distincts pour la manifestation du 29 n’a pas aidé. Nous déplorons l’opacité et la confusion du programme ainsi que le manque d’opportunités d’organisation.
Côté mobilisation, malgré l’épuisement certain, nous avons été très surpris du fait qu’un si grand nombre de participant.e.s aux convois des Zads aient décidé de ne pas rejoindre la manifestation du 29, les habitant.e.s des provinces laissant de fait les problèmes de la capitale à ses habitant.e.s... Clivage aussi vieux que peu heureux.
Matériellement, nous déplorons qu’aucun.e flic ne fut blessé.e. Malgré des micro-solidarités très actives entre nous, nous déplorons de n’avoir pas su maintenir un bloc cohérent et l’absence pour se faire d’une banderole renforcée. De là, nous déplorons la désorganisation des différents assauts et ces formations en tirailleu.r.se.s absolument inefficaces dans une nasse pourtant attendue. Nous déplorons surtout la quantité affreuse d’arrestations qui en découlent ainsi que la perte d’énergie que cela pourrait susciter avant même l’ouverture de la COP21.
Nous étions pourtant nombreu.x.ses ce dimanche à vouloir braver les interdits policiers, à vouloir marcher et transpercer les lignes de CRS. L’enjeu de ce dimanche devait être de se donner les moyens de marcher en dehors de la place de la République, malgré le dispositif policier, de soutenir et de faire exister en actes le slogan tant répété par les groupes d’étudiant.e.s « Si on ne marche pas, ça ne marchera pas ».
Si le contexte crée d’évidents casse-tête logistiques pour tou.te.s nos camarades, dont nous ne remettons en aucun cas en cause le sérieux, nous tenions tout de même à leur faire part de notre expérience, dans le but que la dizaine de jours qui vient puisse voir des succès.
La situation toute particulière mêlant état d’urgence et rendez-vous internationaux de diplomates, chef.fe.s d’états et bouffon.ne.s en tout genre nécessite de notre part des efforts d’organisation particuliers, parce que cette merde est partie pour durer et qu’on ne va tout de même pas s’y plier. Cette COP21, en plus d’être une horreur que nous ne pouvons laisser passer, est une formidable opportunité pour tester et renforcer nos capacités d’actions.
Amicalement.