Otan en emportent les black blocs
Notes sur la journée strasbourgeoise du 4 avril 2009
« L’insurrection désoriente les partis politiques. Leur doctrine, en effet, a toujours affirmé l’inefficacité de toute épreuve de force et leur existence même est une constante condamnation de toute insurrection. »
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, 1961.
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Ce qui s’est passé à Strasbourg était relativement prévisible, et relativement inévitable. Pourtant, comme après chaque contre-sommet qui donne lieu à de belles émeutes, de gauche à droite on hurle au scandale, on accuse les uns et les autres d’avoir laissé faire les émeutier·e·s, de les avoir incité·e·s, ou, encore plus fort, d’avoir machiavéliquement organisé tout ça, dans l’ombre.
Tous les partis politiques, y compris à l’extrême gauche, se font les porte-voix de discours sécuritaires tous plus puants les uns que les autres, déplorant explicitement ou implicitement l’impuissance policière face aux actes émeutiers (voir plus bas, le florilège de citations bien pensantes).
Au final, c’est toujours le même cinéma, avec dans le fond une idée commune à l’UMP et au Parti socialiste, d’Attac jusqu’au Front national : il est impossible que des gens soient révoltés au point de se lancer d’eux-mêmes dans des pratiques émeutières. Il faut forcément, pour cela, que ces gens soient d’une manière ou d’une autre manipulés.
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Comme cela a pu être fait en juillet 2001 suite aux grandes émeutes de Gênes lors du sommet du G8, nous le répétons : nous n’avons besoin de personne pour nous révolter et pour lutter. Ce samedi 4 avril 2009, à Strasbourg, si nous avons cassé des vitrines ou mis le feu à des bâtiments qui sont au service de l’État et du capitalisme (douane, banques, station essence, office de tourisme, hôtel Ibis, etc.), si nous avons saccagé des caméras de vidéosurveillance et des panneaux publicitaires, si nous nous sommes attaqué·e·s à la police, ce n’est pas parce qu’une organisation occulte nous y a poussé·e·s, mais parce que nous l’avons choisi délibérément.
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Si nous avons eu autant de facilité à agir, c’est que nous étions plusieurs centaines à le faire, peut-être même plusieurs milliers (les fameux black blocs internationaux !).
C’est aussi parce que les flics ne sont pas totalement des robots. Ce sont des humains, eux aussi peuvent ressentir la peur, par exemple.
Et dans une « démocratie », aussi sarkozyste soit-elle, ça ferait mauvais genre de tuer des manifestant·e·s. Parce qu’une des possibilités pour la police de faire taire les émeutes plus rapidement aurait été de tirer à vue. Et autre chose que des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des tirs de flashball... Le 8 avril 2009, Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, a déclaré que « la priorité du gouvernement était qu’il n’y ait pas de mort ». Parce que leur « démocratie » ne se sent pas encore trop en danger.
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Si nous n’avons pas pu agir ailleurs que dans les quartiers pauvres du port autonome de Strasbourg, c’est parce que nous n’avons eu ni la force ni la finesse de parvenir jusqu’au centre-ville. La police et l’armée ont protégé la fameuse « zone rouge », autrement dit le centre-ville et les quartiers bourgeois de Strasbourg. Mais personne n’est dupe : nous aurions été bien plus redoutables dans ces quartiers riches...
Par ailleurs, personne n’est dupe non plus sur le fait que seuls des bâtiments institutionnels ou commerciaux ont été attaqués. Les biens de la population locale n’ont pas été touchés.
Nous luttons contre le pouvoir, pas contre celles et ceux qui le subissent.
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Le discours médiatico-politicien cherche à donner une image de « casseurs nihilistes et sanguinaires » aux black blocs. Pourtant, les pratiques des black blocs ne se limitent pas à des actes de destruction (tout comme nos existences ne se limitent pas aux black blocs, qui ne sont que des modes ponctuels et contextuels de manifestation). Les black blocs pratiquent l’entraide et la complicité avec tou·te·s les manifestant·e·s, dans l’affrontement, l’autodéfense et la fuite face à l’ennemi policier.
Dans l’émeute se crée une solidarité spontanée et anonyme, authentique au sens où chaque geste n’attend rien en retour.
Il y a là deux mondes qui s’opposent dans leurs démarches mêmes : d’un côté, des manifestant·e·s déterminé·e·s qui sont là pour leurs convictions, leurs désirs, leur rage de vivre, gratuitement et pleinement. De l’autre côté, des flics assermentés qui sont là par contrainte et obéissance, pour l’ordre et pour l’argent, ils sont payés pour réprimer et doivent réfléchir le moins possible à ce qu’ils font (le risque de démission serait trop important).
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Ce qui se discutait lors du sommet de l’Otan à Strasbourg nous concerne tou·te·s. Les guerres post-colonialistes menées par les puissances occidentales nous font gerber et la guerre aux « ennemis intérieurs » nous révulse également. Contrôle des populations, gestion des flux migratoires, renforcement des polices, perfectionnement du renseignement et du fichage, c’est contre tout cela que nous nous sommes soulevé·e·s.
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L’enjeu principal, pour le pouvoir, est de continuer à imposer à tou·te·s la démocratie capitaliste comme unique organisation sociale possible. Et malgré les vies de merde qui sont les nôtres, malgré l’aspect chancelant du capitalisme ces derniers temps, force est de constater que les perspectives révolutionnaires semblent tellement lointaines qu’on ne les imagine qu’avec difficulté. Pourtant, la résignation profondément contre-révolutionnaire de notre époque n’est pas une fatalité. C’est un bel enjeu que celui de réussir à s’émanciper du capitalisme, par la lutte et l’entraide. Et de fait, cette émancipation ne peut coexister avec le pouvoir capitaliste et étatique.
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Sachant qu’un autre monde ne peut être possible sans l’anéantissement de la démocratie capitaliste mondialisée, sachant que « toutes les classes dominantes ont toujours défendu leurs privilèges jusqu’au bout avec l’énergie la plus acharnée » (Rosa Luxembourg, Que veut Spartacus ?, 1918), semer le chaos et la destruction (pour reprendre les termes spectaculaires des médias) au sein de ce monde d’oppression et de contrôle social ne nous pose pas de problème. Cela nous semble même insuffisant.
Toute possibilité de transformation révolutionnaire de ce monde ne peut avoir lieu sans rapport de force tangible. C’est aux dominé·e·s de poser de nouvelles bases de vie sociale, sans attendre l’assentiment des dominant·e·s.
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Ces dernières années ont été traversées par des soulèvements qui inquiètent le pouvoir : émeutes des quartiers pauvres en novembre 2005, mouvement anti-CPE au printemps 2006, émeutes anti-Sarko lors des élections présidentielles de 2007, mouvements étudiants et lycéens de 2007-2008, et dernièrement la quasi-insurrection grecque.
Pour ces mouvements comme pour les black blocs qui ont agi à Strasbourg, les médias focalisent sur la jeunesse de ces mouvements, comme pour enfermer la révolte dans un phénomène générationnel (avec toutes les remarques condescendantes qui vont avec : « vous verrez, dans dix ans, vous aurez oublié tout ça et vous serez résigné·e·s comme tout le monde »).
Nous pensons qu’il y a là un danger à dépasser absolument. Une insurrection ne peut être uniquement le fait de la jeunesse (une révolution encore moins) mais, comme la lutte des classes, elle doit être traversée et vécue par tou·te·s, au-delà des différences d’âge, de couleur de peau, de genre, de corporation, etc. Avec une conscience pleine des dominations et des exploitations.
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Si nous sommes parti·e·s du constat que pour renverser le pouvoir, il ne sert pas à grand-chose de se contenter de manifester calmement, aussi nombreux soit-on, même à plusieurs millions de personnes, nous sommes également conscient·e·s que s’attaquer à la police et vandaliser des propriétés de l’État et/ou du capital à quelques milliers ne suffit pas non plus.
À quelques millions, ça aurait déjà plus de gueule. Toutes les technologies de contrôle et de répression pourraient s’avérer insuffisantes à maintenir la colère généralisée.
Mettons en place et répandons des pratiques communes de résistance, des solidarités concrètes, des moyens de lutte hors la loi et des perspectives révolutionnaires... Tout un programme pour en finir avec le vieux monde et ses technologies d’un futur déjà bien moisi !
Quelque part en France, le 8 avril 2009, quelques « casseurs » d’un groupe affinitaire actif parmi les black blocs du 4 avril 2009 à Strasbourg
Publié sur Infokiosques.net