Nuances de faf

Plongée dans les eaux troubles des idéologies fascistes, entre nationalisme intégral et révolutionnaire, ethno-différentialisme et solidarisme, paganisme et maoïsme.

Si ceux que nous avons l’habitude de désigner comme « fascistes » tombent généralement d’accord pour nous cogner sur la tronche, ils ne partagent pas le même corpus théorique pour autant. Il s’agit ici de dégager trois courants idéologiques qui nous paraissent, sinon les principaux, du moins les plus à même d’illustrer la diversité d’un mouvement dont les composantes oscillent entre collaboration, coexistence pacifique et concurrence violente. Nous voulons parler du nationalisme intégral de Charles Maurras, de l’ethno-différentialisme de la Nouvelle Droite, et du « nationalisme révolutionnaire ». Il sera également question d’un théoricien central du néofascisme français, Dominique Venner, et de quelques anecdotes étonnantes...

I. Connais ton ennemi

Maurras, père du nationalisme

Charles Maurras était le théoricien de l’Action française, plus ancien mouvement nationaliste du pays fondé par des antidreyfusards, en 1898. Historiquement antigermanique et antisémite, le mouvement défendait la nécessité d’un antisémitisme d’État : différent de l’antisémitisme biologique des nazis, il se revendiquait politique et postulait que les Juifs ne pouvaient être Français car possédant déjà une nation du fait de leur judéité. L’anti-germanisme de l’Action française n’empêchera pas sa rhétorique antisémite de servir le régime de Vichy dans son élaboration du statut des Juifs au service des projets funestes de l’Occupant.

L’autre idée phare du maurrassisme est celle de nationalisme intégral, exprimant la volonté de restaurer un pouvoir fort, chargé de régénérer la nation en rétablissant les fondements de son État, de son armée, de sa magistrature et de l’Église. On touche ici, à travers Maurras, à tout un pan de l’extrême droite catholique, intégriste, aristocratique, élitiste. Parmi l’arsenal théorique de Maurras, on retrouve également l’idée des Quatre États Confédérés (Juifs, Protestants, Francs-Maçons et Métèques), ou « Anti-France », qui reste centrale dans la compréhension du complotisme aujourd’hui ; ou encore les concepts de pays réel (le bon peuple du terroir) et de pays légal (l’élite politique déconnectée du quotidien des Français), repris par Macron en 2019. Enfin, il est toujours intéressant de rappeler que le général de Gaulle, artisan du la Ve République, a été fortement influencé par les idées de Maurras lors de sa formation politique.

Nous disions plus tôt que l’Action française était royaliste. Plus le temps passe, plus le monarchisme acquiert une dimension symbolique et culturelle, folklorique presque, au sein du mouvement : le projet de régénération de la communauté nationale est essentiel ; le nationalisme prime sur le monarchisme. On l’aura compris, l’Action française est un mouvement précurseur. Il y aurait beaucoup à dire, aussi, sur sa conception de l’économie et sa revendication d’un système corporatif basé sur la collaboration entre les classes. Mais c’est une autre histoire.

Quand les fascistes lisent Gramsci

On désigne par Nouvelle Droite l’école de pensée fondée par le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) en 1968, dont la particularité est d’intégrer des éléments issus de la pensée de Marx, Lénine et Gramsci. Constatant la force d’attraction des organisation communistes et gauchistes, la Nouvelle Droite adopte une stratégie de bataille pour l’hégémonie culturelle, afin d’imposer ses thèmes et ses discours malgré son incapacité à accéder au pouvoir politique. Force est de constater que cette stratégie s’est imposée.

La Nouvelle Droite illustre bien la dimension attrape-tout de la rhétorique des références idéologiques du fascisme, et se distingue du nationalisme en promouvant de l’idée d’une nation européenne aux origines antérieures au christianisme. D’où l’attrait d’une partie des fascistes d’aujourd’hui pour la mythologie, les runes et le mauvais métal nordique. Parmi les nombreux héritiers de la Nouvelle Droite, on retrouve surtout les identitaires, dont les théoriciens animent l’Institut Illiade.

La critique du monothéiste portée par la Nouvelle Droite n’étant clairement pas de l’avis de tout le monde à l’extrême droite, elle n’a pas manqué de provoquer dissensions voire accrochages. Comme il y a deux ans, lors d’un hommage à Jeanne d’Arc, où des militants d’Action française ont chassé le Parti nationaliste français (organisation nationaliste européenne, suprématisme blanche et ouvertement antisémitisme dont le fondateur est passé par le scoutisme de la Nouvelle Droite) en criant : « Les nazis à Berlin ! »

L’ovni « NR »

Le nationalisme révolutionnaire est sans doute le courant le plus éclectique et syncrétique de ce que nous avons l’habitude de désigner comme des fascistes. En France, on fait habituellement remonter ses origines au Cercle Proudhon, un groupe lié à l’Action française qui avait pour ambition de convertir les syndicalistes au monarchisme. Son hypothèse stratégique est celle d’une alliance entre nationalistes de droite et syndicalistes de gauche contre le pouvoir des oligarchies, concept flou qui présente l’avantage d’être utilisé par les pires antisémites et les plus respectables progressistes.

Rapidement, une première contradiction émerge rapidement entre amoureux de la France éternelle, et amoureux de l’Europe supérieure. Au sortir de la Seconde guerre mondiale et des guerres de décolonisation, l’appellation revient à la mode, cette fois-ci portée par des fervents colonialistes reconvertis à l’anti-impérialisme et à la cause arabe. Vers la fin des années 1960, une partie des fascistes apportent alors leur soutien à la cause arabe, provoquant d’importants débats dans les rangs de la Nouvelle Droite.

Après mai 68, les NR axent leur stratégie sur la dénonciation du mondialisme, opérant selon eux sur une homogénéisation des peuples par l’immigration et le métissage, et des cultures par l’impérialisme culturel américain imposé au Sommet de Yalta et introduit par le Plan Marshall. Ça peut paraître étrange dit comme ça, mais un nationaliste-révolutionnaire, c’est un peu un fasciste avec un keffieh. C’est du moins une image véhiculée par le Groupe Union Défense (GUD), organisation nationaliste-révolutionnaire de référence. Pourtant, le positionnement pro-palestinien a toujours été minoritaire chez les fascistes.

Dominique Venner, martyr du néofascisme

Autre curiosité : le GUD et les NR ont l’habitude de citer les écrits de Dominique Venner, membre fondateur de la Nouvelle Droite, bien que celui-ci n’ait jamais revendiqué son appartenance à leur courant politique, l’ayant au contraire critiqué pour son soutien à la Palestine et son nationalisme traditionnel.

Le sort de Dominique Venner peut nous aider à envisager l’évolution du paysage fasciste aujourd’hui : il y a 10 ans, il se tirait une balle sur l’autel de la cathédrale de Notre-Dame de Paris après avoir publié un texte dénonçant l’immigration et le Mariage pour Tous, adopté il y a peu. On retrouve ici les éléments centraux du concept de grand remplacement : chute de la natalité blanche, arrivée massive de populations noires et arabes plus fécondes. Quant au lieu du suicide, il marque une rupture avec l’aversion de Venner pour le monothéisme ; comme s’il appelait à surmonter l’opposition entre catholicisme et paganisme, reconnaissant dans chacun d’eux l’expression du génie européen. Cette interprétation ne fait pas l’unanimité, le suicide constituant un péché capital et pouvant être considéré comme une ultime provocation de Venner contre le catholicisme. Décidément, les fascistes n’ont pas fini de nous surprendre...

Évoquer Dominique Venner n’est pas anodin. Son parcours et sa pensée rappellent la dimension attrape-tout du fascisme, trop souvent oubliée ou minimisée par l’étiquette d’extrême droite. Les réactions suscitées par sa mort sont aussi intéressantes, en ce qu’elles nous rappellent que la distinction entre extrême droite institutionnalisée et extra-parlementaire, ou entre extrême et ultra-droite pour le dire autrement, n’est qu’une vaste fumisterie contribuant à la dédiabolisation du fascisme. À l’annonce du suicide, Marine Le Pen déclarait : « Tout notre respect à Dominique Venner dont le dernier geste, éminemment politique, aura été de tenter de réveiller le peuple de France. »

Le serpent qui se mord la queue

Il importe, après avoir survolé les divergences idéologiques des fascistes, de rappeler de manière non exhaustive – nous ne sommes pas journalistes – sur les liens qui unissent tout ce beau monde au-delà des différences.

  1. Les liens organiques entre le Rassemblement National et le syndicat étudiant d’extrême droite La Cocarde : l’organisation étudiante a rallié le parti en 2019.
  2. Les liens entre la Cocarde et l’Action française : les deux organisations se sont associées pour attaquer des blocus lycéens et des occupations étudiantes pendant la mobilisation contre Parcoursup de 2018 et le mouvement retraite de 2019.
  3. Les liens entre l’Action française et le GUD : plusieurs membres de l’organisation royaliste ont suivi Marc de Cacqueray-Valménier, figure centrale de l’ultra-droite française, lors de son départ pour le GUD.
  4. Les liens entre le GUD et la Cocarde : leurs militants se connaissent, et une partie de la vieille garde de la Cocarde a rejoint les Rats noirs ces dernières années.
  5. Les liens entre la Cocarde et Jordan Bardella : ce dernier s’est entouré de deux anciens de la Cocarde Sorbonne, prenant Luc Lahalle comme assistant parlementaire européen en 2019 et Pierre-Romain Thionnet comme conseiller principal et plume en 2022.
  6. Les liens entre Jordan Bardella et le GUD : le nouveau patron du Rassemblement National, qui joue la synthèse de la fermeté sarkozyste et de la jeunesse macronienne, refuse de rompre avec les anciens membres du GUD liés au parti par plusieurs sociétés commerciales, et qui sont allés se pavaner à la manifestation fasciste du C9M cette année.

Ce nuancier de brun est incomplet. Sans trop le surcharger, on pourrait lui ajouter deux commentaires. Le premier concerne l’UNI, syndicat étudiant de droite historiquement lié à la droite gaulliste, dont l’évolution semble suivre celle de la Cocarde, elle aussi initialement liée à la droite de gouvernement : en 2022, l’UNI a amorcé un virage zemmouriste remarqué, rompant ainsi sa pudibonderie traditionnelle et assumant enfin pleinement sa compatibilité complète avec la rhétorique et le projet fascistes du candidat Reconquête. Ce qui nous mène au second commentaire. Le cas Zemmour n’est pas seulement révélateur du niveau de normalisation du fascisme en France : il en dit également long sur la compatibilité intrinsèque du centre, de la droite et de l’extrême droite – c’est-à-dire du libéralisme, du conservatisme et de l’autoritarisme – avec le fascisme. Plus vite nous aurons acté cette compatibilité, plus vite nous en aurons acté les conséquences, plus vite nous parviendrons à élaborer une stratégie antifasciste conséquente.

II. Père Castor chez les fachos
Scission gudarde et nouveau pacte germano-soviétique

Au début de l’année 1973, plusieurs cadres d’organisations néofascistes se réunissent pour fonder le « Groupe action jeunesse » (GAJ), en opposition à la stratégie de Front national proposée par Ordre Nouveau. On y retrouve des anciens d’Ordre Nouveau, d’Occident et du GUD. Rapidement, le GAJ vient disputer Assas au GUD, provoquant des scènes de chaos dans et autour de l’université. En difficulté, le GAJ se rapproche de la Ligue Communiste pour échanger des informations et identifier les membres des « Comités Faire Front », scission du Front National opposée à Jean-Marie Le Pen, auxquels le GUD s’est lié. En 1974, la conflictualité monte d’un cran : le GAJ agresse un membre du GUD, qui répond le 19 février par une descente forte d’une quarantaine de militants des Comités Faire Front ; le 21 février, le local du GUD à Assas est attaqué au cocktail Molotov, provoquant l’ire des locataires, qui parviendront finalement à expulser le GAJ de la faculté. Le combat s’exporte alors à l’université de Droit de Sceaux. Contre toute attente, les deux organisations connaîtront une coexistence relative jusqu’à la dissolution du GAJ en 1978 : leurs militants participeront au service d’ordre de Valéry Giscard d’Estaing lors de l’élection présidentielle de 1974, non sans manquer de se traiter de vendus et de mercenaires quand l’occasion se présente.

Les militants du GAJ se considéraient comme « solidaristes », ou « national-solidaristes ». Ce courant d’extrême droite, rattaché à la grande famille du nationalisme révolutionnaire et s’affirmant parfois en dehors du clivage droite-gauche, se prétend favorable à la défense des droits des travailleurs. En 1977, la principale organisation solidariste française, l’Union solidariste, rejoint le Front National pour y constituer une tendance. Ce ralliement à Jean-Marie Le Pen isole le GAJ d’une partie des solidaristes et contribue à le faire péricliter. En 1979, le GAJ est remplacé par le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), toujours revendiqué solidariste. Le 31 décembre 1984, le MNR organise un meeting en commun avec le GRECE. L’année suivante, le MNR n’est plus. C’est le début de Troisième Voie, qui réunit le MNR, sa formation de jeunesse la « Jeune Garde » (aucun lien, elle est fille unique) et le « Parti des Forces Nouvelles ».

Généalogie identitaire

En 1991, l’organisation, censée réunir tous les « déçus du lepénisme », se transforme en « Nouvelle Résistance ». Son projet : l’avènement d’un socialisme anti-égalitaire européen. Sa stratégie : la construction d’un « Front Uni anti-système » et d’un « Parti Européen ». Véritable Ovni, l’organisation soutient les nationalistes arabes, tente d’investir la scène écologiste, se réclame post-blanquiste et déclare s’identifier à Staline, présenté en « combattant antimarxiste » artisan d’un régime « anticapitaliste, anti-individualiste, antisioniste, communautariste, tout en respectant la famille et l’ordre ». L’aventure s’achève en 1996. Le mouvement de jeunesse de l’organisation continue de publier son journal, militant pour la constitution d’une tendance nationaliste-révolutionnaire au sein du Front National. En 2005, le journal change de nom pour devenir « ID magazine », avec comme titre pour sa première Une : « Pourquoi nous sommes identitaires ».

De quoi Bardella est-il le nom ?

La dynastie Le Pen semble avoir trouvé son héritier. Plus qu’une figure médiatico-politique en phase avec son époque – jeune, ambitieuse et, sinon charismatique, du moins compatible avec les plateaux de télévision – et ses adversaires – Gabriel Attal en tête –, Bardella est un baromètre de la fascisation. Loin des excès du père et de la dédiabolisation de la fille, il est en phase avec la situation politique actuelle. On l’a vu : les sceptiques et les renégats du néofascisme sont majoritairement rentrés dans le rang, et le parti s’est renforcé en intégrant plus ou moins ouvertement ses marges radicales.

Marine Le Pen est une châtelaine millionnaire qui a hérité de ses idées et de son parti comme de ses propriétés et de sa fortune. Devant sa prestation désastreuse pendant le débat du second tour en 2017, certains ont pu se demander si elle cherchait réellement à prendre le pouvoir, ou si elle n’était pas plutôt confortablement installée dans son rôle d’opposante faussement populaire. Les intentions de Bardella sont plus claires. Faire la pluie et le beau temps dans le champ médiatique ne suffit plus ; du reste, la main tendue par le macronisme au lepénisme à l’occasion de la dernière loi Immigration fut on ne peut plus claire : le Rassemblement National peut désormais prétendre au pouvoir pour lui seul. Le parachutage du soldat Attal en est l’aveu tout autant qu’il est une tentative de renouvellement du macronisme en vue de la confrontation présidentielle.

III. Père Castor chez les roycos

Mao ou Maurras ?

En 1955, des anciens Camelots du Roi se réunissent pour fonder « Restauration Nationale », un courant royaliste dans la lignée de l’Action française, interdite après la Seconde guerre mondiale. En 1971, une poignée de militants quittent l’organisation pour créer la « Nouvelle Action française », qui deviendra « Nouvelle Action Royaliste » en 1978. Ses militants sont qualifiés de « mao-maurrassiens ». La rupture, qualifiée de « gauchisante », est une conséquence de la révolte de mai 68, qui a poussé certains royalistes à reconsidérer leurs positionnements politiques au lendemain des événements. La Nouvelle Action Française ne partage pas la haine absolue des autres royalistes pour les « gauchistes », et cherche à promouvoir une interprétation socialisante de Charles Maurras, à rebours de son conservatisme.

L’ouvrage Mao ou Maurras ?, publié en 1970 en constituant une source essentielle pour l’étude de l’épiphénomène mao-maurrassien, voyait des militants monarchistes explorer la pensée marxiste-léniniste et l’apport de l’expérience de la Chine maoïste, ainsi que la centralité du parti d’avant-garde dans la perspective de la prise du pouvoir. Les jeunes membres de l’organisation tentent d’entrer en contact avec des intellectuels et des personnalités politiques au-delà des cercles royalistes et fascisants. Ils parviennent à entrer en contact avec Maurice Clavel, fondateur du journal Libération et proche des maos durant les années 1970. Au tournant des années 1980, les rangs de l’organisation se vident au profit d’Ordre Nouveau, marquant la fin de l’aventure mao-maurrassienne et l’échec de sa tentative d’avant-garde.

Maurras ou Bouteldja ?

Un autre ovni monarchiste fera son apparition des décennies plus tard, en 2011 : « l’Organisation Georges Bernanos » et son journal, Lys Noir, qui rejette l’orthodoxie maurrassienne et se revendique à la fois du fascisme (la Cagoule), du populisme (poujadisme), du léninisme (khmers rouges), de l’ultra-gauche (post-situationnistes, Tiqqun), et des courants décroissants et anti-industriels (Ellul, Unabomber). Ces conspi-royalistes de l’enfer défendent l’idée d’une « Hyper France » et d’un « Homme ancien » menacés par les smartphones, la grande distribution et les robots. En 2016, dans deux brochures rédigées en réaction aux attentats adressée à l’indigéniste Houria Bouteldja, l’organisation se déclare partisane « République mosaïque » fondée sur une partition du territoire français entre « Français de souche » et Musulmans.

Toujours en 2016, l’organisation se met en tête de récolter des parrainages au profit du chanteur Hugues Aufray en vue de l’élection présidentielle de 2017. Les conspi-royalistes s’étaient présentés au chanteur en tant que « Cercle des gens de peu » pour lui proposer la création d’un « Mouvement Santiano ». Le projet tombe à l’eau, l’aventure conspi-royaliste aussi.

De quoi le simultanéisme est-il le nom ?

Au-delà de l’obscure référence milieutiste, le cas très particulier du Lys Noir nous intéresse en ce qu’il illustre cette tendance redoutable, propre à une part des milieux néofascistes et ultra-nationalistes, qui consiste à emprunter des bribes à la gauche radicale pour mieux distiller son venin. Le Lys Noir appelle cette stratégie « simultanéiste ». Elle repose sur un brouillage des lignes idéologiques et une incapacité collective à penser tant le fascisme au-delà de nos représentations fétichistes et anachroniques, que la révolution au-delà des solutions tronquées du populisme de gauche.

IV. Pour conclure

Déjà-vu

À l’été 2022, dans un article intitulé « Le lièvre, la tortue et le loup », nous écrivions :

Le lepénisme sera-t-il le prolongement du libéralisme autoritaire par d’autres moyens, ou servira-t-il de prolongement des moyens du libéralisme autoritaire et de la démocratie représentative en temps de crise ? [...] Il faut dire qu’au moment de leur énonciation, l’arrivée de 89 députés RN au Palais Bourbon et l’intégration en bonne et due forme du lepénisme au jeu parlementaire nous semblaient peu probables, du moins sans système proportionnel. Il semble désormais, au contraire, que la situation réunisse les conditions nécessaires pour mener à bout les mutations nécessaires à la mise à niveau des appareils répressifs.

[...]Le crétinisme parlementaire et l’électoralisme infantile ont pu abreuver des camarades d’illusions et d’espoirs confortables : avec l’apparition d’un « bloc populaire » à l’Assemblée, nous n’aurions plus eu besoin de s’occuper de nos affaires ; les bons spécialistes de la politique, expérimentés ou débutants, l’auraient fait pour nous. Maintenant que la chimère s’est envolée, les discussions sérieuses peuvent reprendre. Le premier constat sérieux qui s’impose est qu’aucune possibilité révolutionnaire ne naîtra des appareils politiques de la gauche institutionnelle. Tout ce qui se tiendra de plus haut dans la lutte se jouera en dehors. Nul ne peut l’ignorer, certainement pas après la révolte des gilets jaunes. Il s’agit d’en prendre acte et de réaffirmer par la pratique la primauté politique de la rue. C’est seulement dans la rue que nous serons en capacité de mettre à mal le pouvoir, et avec lui « le vieux schéma militant qui fait qu’on accorde la priorité aux organisations et à ses formes balisées » [18] et domestiquées. La rue, encore la rue, toujours la rue : parce que le pouvoir se prend toujours dans la rue. Toute notre action devrait obéir à un principe stratégique clair : que les travailleurs et les travailleuses, avec ou sans emploi, parviennent à se parler de leur condition et de leurs aspirations sans intermédiaires. Seule la rencontre des segments conscients et organisés de la classe ouvrière, et de ceux atomisés par la désindustrialisation et radicalisés par la misère, permettra de briser la routine ritualisée de la contestation momifiée.

Le pari de l’autonomie

Affirmer la nécessité d’un antifascisme autonome vis-à-vis des partis et des syndicats, c’est affirmer la nécessité de penser et agir par nous-mêmes dans l’optique de notre émancipation ; c’est refuser de donner un blanc-seing à des organisations qui, en dépit de tout le bon sens et de toute la bonne volonté de leurs membres, restent intimement et définitivement liées au système capitaliste ; c’est-à-dire aux rapports économiques propres à la société de classes (prix de la force de travail, pouvoir d’achat) [1], ainsi qu’aux rapports politiques institutionnalisés et monopolisés par les instances représentatives (parlementarisme) et spécialisées (justice, éducation, gestion environnementale) [2].

Réapprendre le langage de la révolution, pour ne pas céder aux sirènes de la contre-révolution : voilà le sens de notre engagement, dans et au-delà de l’antifascisme [3].

Toro & Brighella

Note

Cet article vient compléter et conclure deux précédents textes initialement publiés sur Paris-Luttes.Info : Le Pen, Sarkozy, Macron : l’émergence d’un républicanisme de guerre, et La démocratie ne nous sauvera pas du fascisme.

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