Les universitaires ont le chic pour vous refiler des boutons à vous aussi ?
Vous avez du mal à subir vos ami-e-s en soirée lorsqu’elles et ils se mettent à parler des dernières publications de la Fabrique ?
Vous avez la mauvaise surprise de découvrir La Revue des livres tous les mois dans votre boîte au lettres parce que votre colocataire s’y est abonné(e) ?
Vous supportez de moins en moins le terme de « race » utilisé à toutes les sauces ?
Cette semaine est faite pour vous !
A l’université de Nanterre, pendant toute une semaine se déroule un colloque géant qui regroupera tout le gratin de la sociologie gauchiste française...
Points négatifs d’abord (il faut bien savoir se faire plaisir). Comme toujours les universitaires sont très implantés dans la vie réelle. Ainsi, tous les débats ou presque ont lieu au sein de la Fac de Nanterre en plein après-midi des jours de semaine. Bravo les gens ! Faire un colloque pour l’émancipation des travailleurs à un moment où 90% des opprimés sont au taf. Félicitations, vous n’essayez même pas de camoufler votre entreprise de sélection sociale.
Plus drôle encore, les organisateurs se cachent derrière des arguments techniques (avec un certain malaise) et même prolétarien (oui oui) pour justifier les horaires débiles qui sont proposés. En fait si ça n’a pas lieu le soir, c’est pour que « les Biatos ne finissent pas trop tard et ne ratent pas leur RER ». L’argument est valable. Sauf que les organisateurs auraient très bien pu choisir un autre lieu que l’université pour se réunir. Par exemple un lieu militant où ce genre de contraintes aurait été nulles. Mais il aurait fallu leur demander un gros effort pour sortir de leur tour d’ivoire.
Sur les personnes qui participent à l’organisation, on voit en sur-représentation les deux nouvelles terreurs du milieu universitaire, les auteurs du best seller Les féministes blanches et l’empire [1] : Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem. On se rappelle qu’ils avaient été sévèrement recadrés lors d’un débat très intéressant à La librairie Michèle Firk.
Bon, il ne faut pas bouder notre plaisir non plus. Certains débats méritent d’exister.
Petite sélection du bien et du moins bien :
Le mercredi 19 février
Ça commence fort. Deux débats sur le salariat assez balèzes lancent directement les hostilités.
- Luttes de classes et contrôle ouvrier contemporains : les prolétariats du 21e siècle. Notamment une intervention de Emmanuel Barot qui est une personne qui a le mérite de parler des luttes sociale de manière pas trop extérieure. Il parlera ici de l’ « Auto-organisation et la conscience de classe ». À cette occasion, il y aura également un intervenant sur les reprises ouvrières durant la crise argentine de 2001 et un intervenant sur le « rôle de l’État dans la gestion ouvrière à partir de l’exemple de Chavez et du Venezuela. »
Attention y a moyen que ça soit un stal... - Parti et politique d’émancipation. Toi aussi tu penses que le parti n’est qu’un frein pour tout élan révolutionnaire ? Tu pourras aller écouter ce superbe débat avec tes petites oreilles. Avec un peu de chance, Laurent Lévy et son intitulé « Crise et obsolescence de la forme du Parti » pourra te donner du grain à moudre pour ta critique.
- Langage en luttes. Cette conférence ne vaudra que pour une chose : la présentation de Langage et identité chez Jacques Rancière de Javier Bassas Villa. Très intéressant de lier la question du langage avec ce philosophe. En effet, est-ce qu’un jour quelqu’un a compris un texte de Jacques Rancière ? [2]
- Héritages de l’opéraïsme et capitalisme cognitif. Le titre qui fait peur. On a d’autant plus la trouille que pour intervenir il y a Marcello Tari, qui avait écrit ce chef d’œuvre de la littérature totoïde mythomane : Autonomie. Une très belle performance du révisionnisme au profit de son parti...heuuuu... courant politique.
- A 19h le clou de la journée. Une séance « plénière » ou vous retrouverez la fine fleur du réformisme radical français dans un débat intitulé « Au-delà du capitalisme ». Eric Hazan d’abord qui ne cesse de traîner ses guêtres un peu partout dans l’extrême gauche. Un coup essentialiste, un coup lutte des classes, le directeur de la Fabrique s’adapte à tout (mais surtout aux plateaux télés) et bouffe à tous les rateliers. Ensuite on aura Frédéric Lordon, la caution intellectuelle du mélenchonisme, et aussi Bernard Friot, une personne intéressante pour qui le communisme ne sera réalisé que lorsqu’on aura tous un bon salaire. Une personne qui défend aveuglement le Conseil National de la Résistance et le capitalisme d’État. Bref n’y allez pas.
Jeudi 20 février
3 débats qui semblent forts intéressants ce jour :
- Luttes et Auto-organisation dans les régions arabo-musulmanes, question tout de même très intéressante sur comment appréhender la suite des révolutions arabes
- Le Brésil par en bas, qui nous amènera peut-être un éclairage sur la situation sociale au pays du football en cette année de Coupe du Monde et quelques mois après un énorme mouvement social.
- Autour de 14-18, la question du refus. Il y aura entre autres choses une intervention de Stefanie Prezioso sur la bataille de Caporetto, un épisode méconnu (et meurtrier) de la Première Guerre mondiale.
Vendredi 21 février
- Un retour sur la situation en Turquie : Turquie, du pouvoir militaire à Taksim. Il y aura une interv’ sur la recomposition de l’extrême gauche turque à travers l’histoire politique des trente dernières années...
- Matérialismes féministes. Un débat sur le féminisme qui semble très orienté « classe sociales ».
- A la même heure il faudra choisir avec Émancipation, culture et luttes populaires aux Antilles, chose dont on n’entend plus parler depuis un moment, suite à la lutte du LKP. Ça nous permettra de nous rappeler que les « DOM TOMs » sont les derniers endroits où subsiste une domination coloniale directe de l’État français...
- Pour une écologie émancipée accueillera entre autre une intervention intitulé « La nouvelle écologie militaire » de Razmig Keucheyan.
Je sais pas vous mais moi ça m’intrigue...
Samedi 22 février
Le samedi c’est LA grosse journée. Ils ont mis le paquet. Y a de très bons débats en perspective.
- Les luttes et les formes. Question récurrentes dans le mouvement social : la forme que ça prend. Avouez que même nous, les militants, on comprend rien quand un nouvelle forme de lutte arrive... On comprend pas pourquoi, ni comment ça se fait. Et on comprend encore moins « pourquoi maintenant ? ». Ce genre de débat semble très important durant cette période historique pour le moins bancale...
- La politique sans temps mort avec deux interventions qui ont l’air intéressantes. L’une sur les « nouvelles formes de l’émeute » et une autre sur « les collectifs comme réponse à l’impasse syndicale ». On rejoint carrément le sujet évoqué précédemment et c’est un discours qui devrait encore nous apporter des billes dans nos luttes futures.
- Capital et répression. Sans doute le plus « camarade » des débats, avec Matthieu Rigouste qui parlera de la répression à Toulouse (on pense au CREA) et le collectif anticarcéral l’Envolée. Bon en général, les débats anti répression sont très déprimants. Mais bon c’est super de la part des organisateurs d’avoir pensé à l’Envolée.
- Kampfplatz urbain, une conférence sur l’urbanisme comme arme de contrôle social avec entre autres personnes Anne Clerval qui parlera de la gentrification. Ce thème aura un écho particulier à Paris et sa banlieue et les luttes qui l’entourent...
- La question israélienne présente un panel intéressant avec un débat sur l’horreur qu’est le mouvement Antideutsch en Allemagne par Selim Nadi. On retrouve aussi le sympathique Julien Salingue qui nous parlera de l’échec de l’autorité palestinienne et son impossible assimilation par l’État sioniste.
En conclusion et malgré un anti-intellectualisme viscéral (que j’essaie de soigner mais c’est dur), l’idée de faire un tour à ce colloque ne m’effraie même pas.
D’abord parce qu’il y a plein de sujets qui nous apporteront des choses dans nos luttes. Des remises en question, des questions ouvertes et des analyses sur les composantes de celles-ci.
Ensuite parce que nous sommes actuellement dans une phase de repli des luttes et qu’il est nécessaire de comprendre pourquoi, et surtout de brasser les questions théoriques avant les bastons futures (mais si, mais si, ça va venir). Ces luttes ne peuvent avoir lieu sans une prise en compte du contexte dans lequel elles se situent. Ce colloque semble fait pour ça.
Et surtout, je suis sûr qu’il y aura des petits fours. Y a toujours ça dans les colloques. C’est bien pour celles et ceux qui ont du mal à payer le repas du soir et c’est toujours marrant de regarder le bal des universitaires qui se tournent autour dans une danse mi drague/mi défi l’air de dire : « J’ai vu que tu m’avais dézingué dans le dernier article de Contretemps, tu vas voir ce que tu vas voir la prochaine fois » ou bien alors « J’ai beaucoup aimé votre dernier livre chez La Fabrique... Vous êtes trop fort je vous aime ! Vous pouvez diriger ma thèse ? ». Bref, la reproduction de classe c’est toujours drôle à voir (surtout chez des Bourdieusiens).
Un Membre du CCUMAC (Comité Contre les Universitaires Mais Avec Cordialité)
Pour être complet, ajoutons ici une très bonne contribution d’un des membres de notre comité invisible (mais nous on fait pas exprès, c’est juste qu’on est trop peu) :