Le sale travail des flics

Lundi 23 janvier à 19h30 à la Maison des Jeunes, un petit bâtiment au sein du campus EHESS-Condorcet dont les portes s’ouvrent manuellement, à la différence de toutes les autres portes des bâtiments du campus qui sont à ouverture/ fermeture électronique, on était une bonne trentaine. L’idée était de prendre le lieu pour l’utiliser comme lieu de discussion et d’organisation pour les luttes. On a barricadé les portes, sauf une. Une banderole est accrochée dans le but de pouvoir diffuser un appel à rejoindre le lieu dans la soirée.

Les deux caméras présentes dans le bâtiment sont recouvertes de peinture. 20 minutes plus tard, les flics sont là. Aux quatre coins du bâtiment et dans les rues autour : plusieurs équipes sont présentes, des voitures et des camions. Le temps de les voir arriver, ils sont déjà à l’intérieur du bâtiment. Tous avec matraques, LBD et gazeuses à la main.

Une personne essaie de quitter les lieux, elle est rattrapée et prend des coups : elle saigne du nez et ne tient pas debout à cause de la douleur aux côtes et à l’épaule. Les flics nous alignent. Ils prennent des photos et des vidéos avec leur tél, plus particulièrement des personnes encore masquées. Un flic arrache un bonnet en bousculant la personne. Les flics fouillent tout le monde et prennent les identités aux personnes qui en ont une. Un tri est fait entre les personnes sous x et celles qui ont une identité avec elles. Insultes et moqueries. Les flics formulent leur déception, ils disent qu’on leur avait dit qu’il y avait des personnes cagoulées, armées et dangereuses. Ils disent qu’ils s’attendaient à appréhender des personnes qui auraient agressé un enfant sur le campus. Un flic dit qu’il n’a pas pu s’amuser parce que la personne qui a voulu partir n’a pas couru assez vite. Un long temps s’écoule dans le bâtiment et puis on est emmené au comico de la Plaine Saint-Denis. Les flics nous font laisser nos sacs dans le bâtiment. On les retrouvera à la sortie de gav avec des contenus fouillés, mélangés et avec des manques. Les flics nous demanderont de les identifier à ce moment-là.

Au comico, on est assis par terre, toujours menottés, dans le hall d’entrée. On est 29. Un long moment dure pendant lequel les flics ont l’air perdus, ont du mal à nous compter, se disputent entre eux sur la méthode pour nous compter, ne parviennent pas à remplir une fiche. Ils s’y mettent à trois pour en remplir une. Personne ne peut aller aux toilettes. Les flics jouent à se bagarrer entre eux, en se traitant, pour rire, de « flics violents ». Puis, ils nous envoient un par un devant une opj pour nous notifier la gav. Lorsque je reviens du bureau de l’opj, j’entends puis je vois plusieurs flics qui tapent une personne qui avait encore son masque pour prendre une photo de sa tête avec leur tél. Ils me mettent dans la cellule de dégrisement du hall d’accueil où il y a déjà sept d’entre nous. C’est la plus petite cellule, 4 m2 environ. On y sera finalement quinze. La moitié reste debout, faute de place pour s’asseoir. On y reste deux heures. Les personnes désignées comme non-mecs par les flics et celles désignées mecs mais qu’on ne pouvait plus faire renter dans la cellule sont restées assises par terre dans le hall toute la nuit jusqu’à 6 heures du matin, certaines menottées, d’autres non. Les flics ont fermé du pied la toute petite trappe, située au bas de la porte, qui laissait entrer un petit peu d’air dans la cellule. On crevait de chaud, on voyait flou, on était au bord de s’évanouir. Après qu’on a beaucoup tapé à la porte, ils décident de nous changer de cellule comme s’ils découvraient d’un coup que toutes les cellules étaient vides. Le matin, les flics nous sortent pour nous transférer. Moment de cafouillage : les flics pensaient qu’on était 30, nous recomptent plusieurs fois, disent qu’il en manque un avant de s’apercevoir qu’ils ont enregistré la même personne sous deux identités différentes.

On est 13 dans le camion qui doit partir pour le comico d’Aubervilliers. Il y a 3 sièges pous s’asseoir, les autres sont debouts ou assis par terre. Le conducteur donne un coup d’accélérateur pour démarrer et freine aussitôt : à l’arrière, on se casse la gueule. L’un d’entre nous manque de basculer sur le frein à main. On gueule un peu. Le conducteur se retourne, nous insulte, nous menace. Celui qui a failli se prendre le frein à main se met debout. On voit le regard haineux du conducteur, ses pupilles dilatées (speed ou coke ?) qui lui hurle de s’asseoir et qui bondit sur lui, rejoint par deux autres flics qui sautent de l’arrière du camion par dessus deux personnes assises par terre. Tous les trois lui donnent des coups de poing. D’autres flics attrapent une autre personne, lui donnent également des coups de poing, puis la sortent du camion, la mettent par terre, lui donnent des coups de poings et des coups de pied. D’autres flics viennent arracher ceux qui frappent les deux personnes. Les flics s’engueulent entre eux à côté du camion. Sur le chemin, le conducteur se fait engueuler par le flic assis à côté de lui et plus gradé (« qu’est-ce que t’as foutu ? » / « Il ne voulait pas s’asseoir. » / « Comment ça ? Ils sont treize ! ».) Avant d’arriver au comico, le plus gradé dit au conducteur qu’il s’ « en bat les couilles des affaires personnelles des x ».

Au comico d’Aubervilliers, on est mis en cellule. Deux sont mis à part, celles qui sont sous x, dont la personne qu’ils avaient tabassée deux fois (pour prendre sa photo dans le premier comico et quand ils l’ont sortie du camion.) Quand ils viennent nous chercher un par un pour aller voir l’opj, je demande à voir mon avocate. Ils disent qu’ils l’ont appelée plusieurs fois, qu’elle n’a pas répondu et donc qu’ils font les entretiens sans elle. Un peu plus tard, on est plusieurs à demander à changer d’avocat. Les flics disent qu’elle a répondu, qu’elle a une audience et qu’elle viendra plus tard. Finalement, c’est un autre qui arrive vers 15h et je ne le verrai pas. Quand c’est mon tour, l’opj vient me chercher : il me plaque contre le mur, me fait comprendre qu’il n’aime pas mon regard et menace de me frapper. Une fois dans le bureau, l’entretien commence. Il est agacé que je ne déclare rien, plusieurs fois s’interrompt pour me parler de mon regard qu’il dit trouver menaçant : « qu’est-ce que tu veux me dire avec ton regard ? Assure-moi que l’entretien va bien se passer. Je te dis ça pour que tu ne sois pas blessé ou plus... » Pendant l’entretien, une collègue pose un dossier sur son bureau concernant une personne déjà entendue et dit qu’il faut approfondir. Puis, l’opj me demande la signalétique (empreintes, photo & ADN), je la refuse et il m’informe qu’ils la prendront de force plus tard. Je retourne en cellule. Par ailleurs, les images de surveillance du campus on été filées aux flics pendant la nuit et plusieurs personnnes y sont confrontées par l’opj. La plupart d’entre nous a refusé la signalétique. Certains sont entendus trois ou quatre fois dans la journée. En fin de journée, le flic de la scientifique vient avec sa collègue et le mandat du procureur chercher un par un ceux qui ont refusé la signalétique. Une première fois, on entend un.e d’entre nous hurler à l’autre bout du couloir et on la voit revenir en vacillant, sans force, ne tenant pas debout, porté.e par les flics. À chaque fois qu’ils m’appellent, moi je ne réponds pas, puis c’est une autre personne qui est appelée et, sachant que sinon elle se ferait tabasser, elle suit les flics. Je serai le dernier à passer.

Quand je suis appelé, je dis que je refuse. La flic dit qu’on va devoir venir me chercher. Ils me disent que je devrais avoir honte de me comporter comme un enfant, je leur réponds que la honte est de leur côté. Je reste assis sur le côté opposé à la porte. J’avais mis mes chaussettes sur les mains car j’avais entendu un récit dans lequel ça avait relativement fonctionné. Quatre flics viennent me choper, me soulèvent, me traînent dans le couloir. En même temps que je me débats, ils me donnent des coups de poing dans le visage et des coups de pied dans le dos. Ils m’assoient sur une chaise. Pendant que je mets mes bras devant mon visage, un flic m’attrape par les cheveux et me tape la tête en arrière contre le mur. D’autres flics me tapent en même temps. Ça dure longtemps. A un moment, un flic dit que c’est filmé , et une autre flic se met entre la caméra fixée sur le torse du flic et moi. D’autres flics les ont rejoints, tout le comico est là et, quand je crie de douleur, tous les flics encouragent leur collègues, m’insultent, se moquent de moi, disent que je ne suis pas un homme et que je crie comme un enfant. Ils me font culpabiliser en me disant que je fais souffrir les personnes qui m’entendent hurler et qu’on entend crier et taper à la porte de la cellule. Après ce long moment de coups donnés pendant que je cache mon visage, ils abandonnent la photo. Ils me lèvent et me déplacent pour les empreintes. Je n’ai plus beaucoup de force. Ils sont plus nombreux sur moi. Un me tord le bras derrière le dos. J’avais déjà lâché les chaussettes lorsqu’ils me tapaient la tête contre le mur. Pendant longtemps, je suis debout, je refuse de desserrer le poing. Derrière, il y en a un qui appuie très fort sur des points douloureux derrière l’oreille, au niveau du foie, me fait une clé de bras et un autre qui me tape la tête. Celui qui veut prendre mes empreintes me tord le poignet. Une flic qui pendant tout ce temps me parle, veut me convaincre que ce que je fais est débile, que je vais être prolongé de 24h, que j’empêche les autres de sortir, demande à un autre de ses collègues de soulever ma jambe en l’air et il me tord la cheville. J’ai trop mal, je desserre le poing. Celui qui tient ma jambe la lâche. Les autres continuent de me taper, d’appuyer sur les articulations. Plusieurs fois, celui qui prend mes doigts pour les mettre dans l’encre les tord quand je bouge la feuille. A un moment, quand je crie, un flic me dit : « je te préviens, si tu me mords, je te sors, ça va être un contre un, et je te termine. » La douleur est trop grande, j’arrête de résister. Ils prennent les empreintes, me rassoient sur la chaise pour la photo. Je détourne complètement ma tête. Un flic me tire les cheveux en arrière, celui qui m’avait tapé la tête contre le mur. J’ai peur qu’il me fasse à nouveau trop mal et j’arrête de détourner la tête. Celui qui m’a pris les empreinte me ramène en cellule.

Je sors en début de soirée. Le flic qui a pris mes empreintes se plaint auprès d’une autre personne qui sort en lui disant qu’il n’avait jamais rien eu d’aussi difficile à faire de sa carrière.

Localisation : Aubervilliers

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