Si l’on s’en tient aux déclarations de M. Gérald Darmanin, la dissolution des Soulèvements de la Terre serait justifiée par les « événements inqualifiables » survenus à Sainte-Soline et « l’extrême violence de groupuscules fichés par les services de renseignement parfois depuis de très nombreuses années. ». Pourtant, un rapport de son propre Service Central du Renseignement Territorial sur les Soulèvements de la Terre éclaire d’une toute autre lumière cette annonce. En effet, à la lecture de cette note confidentielle étonnamment élogieuse, on comprend qu’au-delà du prétexte affiché de la violence si le ministre cherche à dissoudre le mouvement, c’est parce qu’il réussit !
« Les Soulèvements de la Terre par leur inventivité, leur niveau d’organisation, leur force d’influence, leur capacité à mobiliser et à donner un retentissement national et médiatique aux luttes locales auxquelles ils s’associent, apparaissent aujourd’hui comme un acteur majeur de la contestation écologique radicale. »
Réussir à quoi ? Le fond de l’histoire est là : à travers une somme d’analyses élogieuses qui renvoie à une capacité à fédérer, à sortir de la léthargie politique et à impacter réellement des projets destructeurs de l’environnement, on nous explique en 8 pages que le problème fondamental avec ce mouvement c’est que plutôt que de contester bien dans les clous, il parvient à peser sur le champ politique.
Ce que ce gouvernement indique ensuite en faisant suivre cette note des renseignements par une tentative de dissolution, c’est que pour lui désormais toute opposition effective qui se met en travers de sa route - et de celles des lobbys financiers et industriels que sa politique soutient - doit disparaître. Dissoudre toute opposition, quitte à le faire dans un bain de sang avant les méandres des tribunaux.
Au-delà de cet éclairage transparent sur les mobiles du gouvernement, ce devoir appliqué de sociologue policier interpellé par la vivacité de son sujet n’en est pas moins biaisé par son incapacité manifeste à percevoir le mouvement tel qu’il est. Invariablement, tout ce qui est effervescence, réseau, coalition est ramené - pour mieux pouvoir incriminer ensuite - à l’encadrement par un groupe dirigeant. Il faut surtout donner le sentiment que les personnes et groupes ici agissant, ne sont guidés que par des motifs instrumentaux et froids, s’accaparant opportunément la cause écologique ou paysanne au profit d’une pure recherche abstraite de terrains de conflits et de violence. Mais comment s’étonner que des fonctionnaires du renseignement qui écrivent depuis leur bureau au service d’un gouvernement qui s’obstine à détruire terres arables, forêts, fermes, cours d’eau... ne parviennent pas à comprendre et saisir ce qui est défendu et ce qui se construit, les liens les solidarités et les joies qui vont avec. Il n’est pas davantage surprenant que les rédacteurs du rapport réduisent tout le bouillonnement politique, local et décentralisé, dont les Soulèvements de la Terre sont l’écho et le catalyseur, au type d’agencement pyramidal rigide dont ils sont les agents.
Par-delà la pauvreté de leurs analyses, force est de constater que si depuis deux ans des foules grandissantes ne se contentent plus de défiler et recherchent des gestes ad hoc pour freiner concrètement certains chantiers, pour empêcher le pillage de l’eau ou des prairies, c’est bien parce qu’une urgence vitale à agir se fait ressentir. Et tentative de dissolution ou pas, répression brutale ou pas, ce sentiment d’urgence ne devrait qu’augmenter tant que les décideurs continueront à promouvoir dans ce pays des infrastructures incarnant une violence écologique et sociale face à laquelle de très nombreuses personnes ont désormais choisit de faire front.