Gaël Quirante, secrétaire départemental de SUD-Poste dans les Hauts-de-Seine a été licencié par La Poste, le 24 mars dernier, grâce à l’autorisation de la ministre du travail. La raison invoquée est la condamnation pénale dont il a fait l’objet en 2010 pour une supposée séquestration de cadres RH de La Poste dans le cadre d’une grève. Ce n’est pas la première fois que La Poste essaye de renvoyer Gaël mais, jusque-là, son licenciement avait été refusé à plusieurs reprises, par l’inspection du travail, le Tribunal administratif et le ministre du travail. En effet, d’après l’administration Gaël est visé en raison de ses activités syndicales et les faits reprochés ne sont pas assez graves pour le licencier. Même le dernier rapport remis à la ministre recommandait de refuser son licenciement. Mais, cette fois-ci La Poste a trouvé en Muriel Pénicaud son allié idéal qui se moque de l’avis de ses services.
A : Gaël, ton licenciement a déclenché une grève reconductible qui dure depuis 30 jours, La Poste s’attendait-elle à une telle réaction ?
G : Aujourd’hui l’entreprise m’a licencié mais quelle a été la réponse ?
Il y a des collègues qui gagnent 1300 - 1400 euros par mois et qui sont en grève depuis le 26 mars dans mon bureau, en nombre majoritaire, pour exiger ma réintégration.
Je pense que La Poste s’attendaient à une journée de grève très forte, à un rassemblement devant le ministère avec l’intervention de beaucoup de représentants syndicaux, politiques, associatifs et que les choses reprennent ensuite leur cours. Elle s’attendait à un enterrement de première classe. En fait, une fois appris mon licenciement le samedi 24 mars, en 2 jours on a réussi à appeler à la grève du 26. Pour les collègues c’était évident, ils savaient qu’il fallait se mettre en grève plusieurs jours et donc là la grève est reconductible. Le choix que nous avons fait a été de ne pas juste s’appuyer sur ma réintégration. Vu qu’il y avait, pour une fois, un peu de médiatisation à petite échelle concernant l’autorisation de Pénicaud de me licencier, on a décidé de mettre sur la table les problèmes des postiers et des postières et de leurs conditions de travail.
Les collègues se sont agrégés autour de la réintégration avec une compréhension assez claire du fait qu’à travers mon licenciement le but est de s’attaquer à un syndicat, ce qui permet à La Poste de rattraper tout le temps perdu en termes de suppression d’emplois, de détérioration des conditions d’emploi et de la qualité de service.
Cette réponse est la démonstration que même en s’attaquant à moi ce n’est pas vrai qu’on finira avec la combattivité de notre syndicat sur notre département. La première des démonstrations a été donc celle exprimée par les collègues se mettant en grève. Comme la grève a continué, j’ai été assigné en référé au TGI de Nanterre sous procédure d’urgence, le 5 avril, pour « intrusions » dans des centres postaux, La Poste ne souhaitant pas que j’accède aux centres car je suis licencié. Le vendredi 13 avril il y a eu la décision du juge et La Poste a perdu, elle a été déboutée de toutes ses demandes.
La juge reconnaît que même si je suis licencié j’ai la possibilité de pouvoir représenter mon organisation syndicale puisque je suis mandaté. Je peux donc participer aux négociations avec l’entreprise et représenter mon syndicat et le personnel. Elle confirme que La Poste ne peut pas m’interdire l’accès au centre mais surtout je suis soumis aux mêmes dispositions que les autres représentants syndicaux de l’entreprise.
La Poste va surement faire appel et essayer par d’autres biais mais là c’est une grosse claque qu’elle prend. Elle attaque en référé, pour qu’il y ait une injonction d’un juge avec une astreinte de 1000 euros à chaque fois que je pénètre dans un centre et là elle tombe avec cette décision. De plus, cette décision permet de faire avancer le droit dans le sens de nos intérêts qui est celui de dire qu’on n’est pas obligé d’être un membre d’une entreprise pour représenter un syndicat, et là, quelque part, ils viennent d’ouvrir une brèche dont on ne sait pas où elle va terminer.
A : Concernant ta réintégration, quelles sont, à ton avis, les chances de réussite ?
G : Pour nous c’est dans le cadre de la grève. C’est dans le cadre de la grève que l’on a obtenu le jugement et l’on est confiant.
On a déjà obtenu à travers des grèves et des mobilisations la réintégration de collègues que La Poste avait licenciés. Légalement elle a la possibilité de me réintégrer et un des objectifs de la grève reste ma réintégration au sein de La Poste. Ça c’est la première bagarre, bien sûr on fera des recours juridiques si on constate que la grève n’a pas permis d’aboutir mais aujourd’hui on est totalement déterminés à dire : « vous êtes dans une situation ridicule, vous licenciez quelqu’un qui peut quand même être représentant syndical. Votre objectif était qu’il ne soit pas représentant syndical donc autant le réintégrer et arrêter de passer pour une boîte dont le seul objectif et de broyer les empêcheurs de réorganisations ».
On sait que c’est quelque-chose d’atteignable. Au travers de ce coup ils ont voulu taper sur le bouton de la répression syndicale ils ont enclenché en fait une grève de contestation sur le département d’une ampleur qu’on n’avait jamais connue et pas juste pour demander ma réintégration mais aussi pour exiger des conditions de travail dignes. Il faut donc que La Poste comprenne que la grève va se massifier et qu’il vaut mieux qu’on se mette autour d’une table et que l’on trouve l’issue.
A : Par ce licenciement c’est ton engagement aux côtés de tes camarades et la combativité de SUD PTT qu’on a voulu sanctionner. Peux-tu nous parler des luttes que tu as menées au sein de La Poste ?
G : J’ai commencé dans l’entreprise par le biais d’Adecco, j’étais intérimaire. La boîte après m’a fait des CDD et puis comme très souvent à la fin du CDD le CDI promis n’arrivait pas. C’est une lutte collective dans l’entreprise qui a permis qu’un certain nombre d’entre nous, j’étais à l’époque facteur à Courbevoie, soient cédéisés. Pour moi l’élément central a été celui de s’opposer de façon déterminée à tout ce qui était suppression d’emploi. Pas juste de façon idéologique car toute suppression d’emploi fait augmenter la charge de travail de tous les autres qui restent. Sur la logique du profit, La Poste a inventé une diminution de la charge de travail en invoquant avant tout qu’il y a une diminution de trafic. Le premier champ de bagarre a été celui de contester cette baisse de trafic et de démontrer, vis-à-vis de nos collègues, qu’une diminution du trafic, c’est-à-dire du nombre de courriers, ne veut pas forcément dire une diminution de la charge de travail. Même si c’est évident qu’il y a moins de cartes postales qu’auparavant à distribuer, il faut savoir que le facteur, la factrice a plus de recommandés à distribuer, a plus de lettres grand-format, de petits paquets. Et pour nous la première des choses qu’on a essayé de démontrer c’est que la quantification de la charge de travail faite par La Poste était un vol à main armée. Par exemple, le fait de dire que pour distribuer un recommandé il fallait une minute trente. On n’est pas parti du principe de dire « si le patron le dit alors ça veut dire que c’est vrai ». On est parti du principe de dire « nous quand on le fait ce n’est pas en une minute trente ».
Dans mon service moi j’étais collecteur, je collectais avec les voitures jaunes les entreprises et les boîtes jaunes, et on refusait qu’ils nous racontent qu’il faut organiser le travail de telle façon, qu’il faut supprimer tant de quartiers à collecter pour les entreprises, tout ça était très lié à la question de l’embauche et du refus des suppressions d’emploi.
J’ai été titularisé un petit peu avant les grèves sur le retraites de 2003 et je n’étais pas syndiqué à ce moment-là. Dans mon service, il n’y avait pas du tout d’activité syndicale réelle mais il y avait un syndicat départemental qui menait une activité combative. On s’est regroupé avec mes collègues un après-midi et surtout on s’est mis en grève reconductible un mois sur le bureau, alors que la tradition était plutôt des journées ponctuelles de 24 heures, sur la question des retraites et également sur la question de nos problèmes quotidiens, des sous-effectifs, de l’augmentation de la charge de travail et du manque de respect de la direction. Deux services étaient concernés et c’est vrai que cela nous a couté de l’argent, surtout qu’on était les seuls et que les syndicats n’avaient pas appelé à la grève reconductible sur ces différents services de Haut de Seine. Ainsi, 30 jours de grève nous ont été retirés de la paye par échelons, mais cette expérience a généré une équipe qui s’est soudée autour d’une lutte. La lutte n’a pas été gagnante puisqu’on a perdu sur les retraites mais on a imposé un rapport de force dans notre service sur des revendications locales concernant des embauches de collègues qui étaient en CDD et surtout ça a montré que quand tu sors la tête du boulot, tu comprends mieux le boulot et tu comprends mieux ce qui t’entoure.
C’est pour ça qu’une grève est très importante. Ce n’est pas juste le résultat revendicatif, c’est aussi le bilan qu’en tirent ceux qui l’ont menée. Et le bilan des collègues qui ont mené les grèves de 2003 était qu’on représentait une force.
On avait vu que le mépris de nos chefs et de nos directeurs d’établissement lorsqu’on était groupés et capables de débrayer, lorsqu’on nous refusait de tenir des AG et qu’on les tenait quand même, eh bien, on a vu qu’en face ça reculait, qu’ils étaient plus polis, que ça les obligeait d’être plus à l’écoute. Après, presque la totalité du service s’est syndiquée, sur 40-45 on s’est syndiqué à 38-39 collègues, tous à la CGT. Pour nous, la force collective est un élément central pour se faire respecter, pour arrêter de se faire traiter comme des boulons d’une chaîne et pour reprendre un peu le contrôle sur nos vies.
A : Et ça passe aussi par la remise en cause de l’organisation du travail dans le service
G : Oui, l’organisation du travail, qui décide… parce que la personne au travail a une légitimité qui est inscrite dans le code du travail. Il y a d’un côté un pouvoir de direction qui appartient à l’employeur et de l’autre la légitimité de ceux qui font, de ceux qui connaissent et qui n’ont pas l’équivalent de ce qu’ils rapportent, c’est-à-dire les travailleurs et les travailleuses. Au fait ces deux légitimités là s’opposent.
A : Quelles ont été les luttes les plus significatives ?
G : Après la constitution de l’équipe sur mon service, une lutte réellement significative a été la grève départementale de Haut de Seine en 2009. Il y a eu plusieurs grèves sur plusieurs établissements de 2006 à 2009, des grèves longues dont une victorieuse à Rueil-Malmaison mais l’élément déclencheur a été une grève reconductible d’une durée de 62 jours sur le report des réorganisations dans le département et sur la question des salaires. On exigeait une prime de vie chère compte tenu de la région dans laquelle on travaille, du prix de la vie et de nos bas salaires.
Cette grève victorieuse a permis de reculer des réorganisations sur plusieurs années et surtout d’imposer une stratégie de grève sur la base d’assemblées générales le matin, avec des comités de grève l’après-midi. Syndiqués ou pas et quel que soit le syndicat, nous nous organisions autour d’un triptyque qui était : des AG, des manifestations et surtout des actions coup de poing pour contraindre la direction à nous recevoir.
Cette grève a été le point de départ qui a forgé un groupe de postiers et postières soudé avec une tradition de lutte établie et prêt à aller chercher les autres. Au fait, on est de petites concentrations sur le Haut de Seine, c’est 40-50, 80 personnes maximum qui travaillent dans un bureau donc très vite on a intégré la conviction que si l’on voulait résister au rouleau compresseur de l’entreprise qui attend que les jours passent pour nous faire plier, on est obligé d’agréger les différents services en expliquant que la boîte n’attaque jamais tout le monde au même moment mais que son objectif est de tous nous attaquer au final, qu’il fallait donc être capables de réagir avant qu’on soit tous passés à la moulinette. Le fait de s’adresser aux autres bureaux, en faisant grève dans d’autres services pour agréger les forces a aussi été une stratégie établie dans le cadre du conflit de 2009.
A : Que faites-vous pour concerner les autres postiers ? Est-ce que la solidarité s’organise spontanément ?
G : Non il n’y a rien qui vient naturellement. Aujourd’hui c’est plus facile parce qu’il y a le bilan des luttes passées : tout le monde voit bien que lorsqu’on ne se bat pas on est plus réorganisés que ceux qui se mettent en grève. Que la lutte paye et sert à quelque-chose, je crois que c’est acquis de façon importante par les collègues. Mais être convaincu de cela n’implique pas automatiquement que les collègues se mettent en grève reconductible. Il faut qu’ils aient confiance dans le fait qu’il y a une organisation de la lutte, suffisamment efficace pour pouvoir obtenir des résultats. Pour ça nous avons très vite compris, dès 2010, la nécessité des caisses de grève. Ce qui n’est pas une grosse invention, c’est la base du syndicalisme mais c’est vrai que c’est quelque chose qui ne se pratique pas du tout alors que les syndicats devraient avoir des caisses de grève en permanence. La base d’un syndicat est de pouvoir montrer au patronat qu’il vaut mieux qu’il négocie parce qu’il a la capacité de tenir.
La première fois que l’on a monté des caisses de grèves les collègues étaient sceptiques mais depuis 2010 on les a faites systématiquement car ça permet de pouvoir tenir la grève et c’est un élément essentiel qui alimente la confiance sur nos luttes.
Comme aussi le fait de s’adresser aux autres et de ne pas rester enfermés. Dans la grève de 2014 il y a eu une alliance improbable avec les intermittents.
On a fait des actions communes, devant le ministère du travail par rapport à l’assurance chômage et leur statut et dans des blocages de bureaux de poste et des actions pour les postiers. Tout ça faisait un mélange étonnant qui nous a permis de sortir un peu de nos frontières, de ne pas nous sentir isolés mais plus forts puisque on voyait des personnes prêtes à se lever tôt le matin et à venir nous soutenir, y compris à s’affronter à la police.
Et il y a la grève en elle-même. On travaille dans un cadre où l’on est traité comme de la merde. Dans la grève il y a déjà le fait d’être privés de ça, du mépris du regard de ton chef.
Lorsque tu es en assemblée générale et que tu vois que les rapports entre nous peuvent être complétement différents, rien que ça, ça donne confiance et ça donne envie.
Puis quand tu vois que la peur change de camp : quand tu vas dans un bureau à expliquer pourquoi on fait grève et tout à coup celui qui te traitait de haut quand il parlait, maintenant il bégaye, il a peur et ne trouve pas ses mots. Bah cela montre qu’en fait ils ne sont pas si forts.
L’essentiel de la force du patronat et de la bourgeoisie c’est nos faiblesses à nous, c’est la domination que l’on intériorise nous-mêmes et l’expérience de la grève est essentielle pour s’émanciper de ça.
Après il y a ce qui relève de l’organisation, c’est-à-dire que ce n’est pas juste une expérience spontanée. Il y a la question d’avoir des assemblées générales qui permettent de discuter dans un cadre où l’on peut penser à voix haute où il n’y a pas de questions tabou. On prend soin et un temps très important à faire en sorte que les assemblées générales soient dans des lieux où les gens puissent vraiment discuter, c’est-à-dire pas dehors, pas debout et on prend en moyenne 2h00- 2h et demie pour une AG quotidienne. Une fois que l’on a fait les bureaux le matin, pour essayer de débrayer, aux alentours de 9h30-10h00 on fait l’AG dans laquelle, au moins 2 fois par semaine, on fait un tour de parole de l’ensemble des grévistes. Parfois on est 70/80 personnes et c’est la démonstration, même si c’est à petit échelle, que le fait de formuler les problèmes, les inquiétudes, de formuler les idées que l’on a par rapport à la grève et de les mettre en commun, ça permet de surmonter les obstacles et de voir quelles sont les opportunités.
C’est tout ça qui permet de donner confiance mais tout ça n’est possible que parce qu’en dehors de ces grèves, en dehors des moments de lutte il y a une organisation syndicale dont les militants ont une conception politique de la lutte dans l’entreprise et réfléchissent, même dans des moments calmes, à une stratégie. Chez les postiers du 92 il y a des militants qui font le choix de se saisir du droit pour faire avancer le droit des salariés, pas juste de s’y conformer mais de le faire avancer. Ça c’est essentiel car si on avait attendu le droit pour obtenir le droit de grève on aurait pu attendre longtemps.
Enfin, dans nos boîtes il y a des jeunes, des moins jeunes, des personnes de toutes les religions, sans religion etc.….Je pense que dans la bagarre pour la défense de tes intérêts tu es obligé de creuser tous les autres problèmes concernant l’oppression. Même si ça peut arriver, ce n’est pas possible de ne pas résoudre les problèmes de sexisme dans une grève ou de laisser passer des propos racistes, homophobes. Pour mener une bagarre collective contre l’oppression et l’exploitation capital-travail, tu ne peux pas ne pas aborder les autres champs d’oppression qui existent dans la société et ne pas faire en sorte de les surmonter avec l’objectif d’atteindre un but commun qui est celui de ne pas avoir à subir la domination, à partir de celle de ton chef et de ton patron. C’est aussi pour cela que la grève modifie ce que l’on est et notre capacité à nous faire respecter et à intervenir sur ce qui nous entoure.
Nous, ne pensons pas que la grève permet de tout changer. Le blocage de l’économie le fait de ne pas aller au boulot, ce n’est pas ça qui permet de tout changer. Ce sont les changements que la grève reconductible engendre dans nos vies quotidiennes : les habitudes, la compréhension du monde, les liens avec d’autres secteurs qui ne sont plus les mêmes et nous transforment.