Le front populaire est-il « extrême » ?

Ce dimanche 16 juin en Allemagne, Kylian Mbappé a pris la parole sur la situation politique. Avec son influence énorme, on pouvait espérer une prise de position claire face au fascisme, mais il s’est contenté d’une déclaration en demie teinte.

On se demande souvent pourquoi les sportifs et les célébrités interviennent si peu dans le débat public. Pourquoi, alors que l’extrême droite est aux portes du pouvoir, la plupart des « stars » restent silencieuse, ou conservent des postures très tièdes.

Ce dimanche 16 juin en Allemagne, Kylian Mbappé a pris la parole sur la situation politique. Avec son influence énorme, on pouvait espérer une prise de position claire face au fascisme, mais il s’est contenté d’une déclaration en demie teinte.

Le capitaine de l’équipe de France a expliqué qu’il ne voulait pas « représenter un pays qui ne correspond pas à [ses] valeurs » et a appelé « la jeune génération à aller voter. On peut faire la différence ». Puis il a tout foutu en l’air en ajoutant : « Les extrêmes peuvent arriver au pouvoir. » Et lorsqu’un journaliste lui a demandé s’il visait un extrême qu’un autre, il a répondu « Non, car ce sont des idées qui divisent ! »

Ici, Kylian Mbappé reprend mot pour mot la propagande macroniste : il y aurait en France des « extrêmes », ce qui met sur le même plan les héritiers des nazis et la gauche qui se bat pour la justice sociale et contre le racisme. Et face à ces extrêmes », il y aurait le camp de la « modération », de la gentillesse et du bien, incarné par Macron et ses amis.

Commençons par la première erreur : nous l’avons vu, Macron présenté comme un rempart « centriste » et « apaisant » s’est révélé le président le plus violent, instable et autoritaire de la Cinquième République. Il a imposé des lois racistes et ultra-libérales par 49.3, tenu des propos réactionnaires, militarisé la police, écrasé avec une férocité inédites les luttes sociales. C’est son gouvernement qui a dissout le plus d’associations depuis la guerre, qui a ordonné le plus de sanctions contre les députés, utilisé le plus de procédures d’exception… Et à présent, il n’arrête pas de parler de “guerre”, de “réarmement”, et vient de dissoudre l’Assemblée au moment où l’extrême droite est la plus élevée. S’il y a un bien un individu « extrême » et « dangereux », c’est l’illuminé qui squatte l’Élysée.

Ensuite, de quoi parle-t-on lorsqu’on dit « les extrêmes » dans les médias ? Cela renvoie au Rassemblement National et à la France Insoumise. D’un côté, le parti de la famille Le Pen, fondé par des SS et des pétainistes, dont le programme propose toujours plus d’inégalité, de racisme, de répression, et une politique injuste socialement. De l’autre, un parti de gauche, qui propose une meilleure répartition des richesses et une société moins brutale pour les minorités. Le tour de force des médias ces dernières années est d’avoir fait croire à la population que les deux seraient « radicaux », au même niveau, et que les idées seraient également inquiétantes.

Le Front Populaire est-il « extrême » ?
Absolument pas, la gauche a même rarement été aussi modérée. Pour le comprendre, regardons le vrai Front Populaire, celui de 1936. À cette époque, le grand leader socialiste, Léon Blum, celui dont tout le monde vante la grandeur aujourd’hui, estimait qu’il fallait renverser le capitalisme, chasser la bourgeoisie du pouvoir, et disait dans ses discours que la révolution et l’usage de moyens illégaux n’étaient pas à exclure. Aujourd’hui, avec un tel discours, Léon Blum serait qualifié de « black bloc d’ultra-gauche ».

Au sein du parti socialiste – la SFIO – on trouvait des courants anticapitalistes et anti-impérialistes virulents comme « L’Action socialiste », certains voulant abolir l’armée, et même un groupe d’autodéfense entraîné et équipé pour affronter physiquement l’extrême droite dans la rue, les « Toujours prêts pour servir ».

Il n’y a absolument rien de tout ça au Front Populaire aujourd’hui, malheureusement. Et si c’était le cas, l’intégralité des éditorialistes feraient une syncope.

Mais les socialistes n’étaient pas seuls dans le Front Populaire de 1936, on trouvait aussi un Parti Communiste beaucoup plus radical qu’aujourd’hui, et loin, très loin des idées de Fabien Roussel.

Chez les communistes, qui n’avaient aucun problème a prôner des idées révolutionnaires et à appeler à l’action violente, plusieurs dirigeants ont même basculé dans la clandestinité dans les années 1920 pour leurs propos antimilitaristes. Le PC participe alors aux combats de rue contre les fascistes, et adopte dans les années 1930 une ligne de « classe contre classe ». Plus sulfureux encore, le PC obéit alors à Moscou, capitale de l’URSS. Imaginez une seule seconde qu’un parti, aujourd’hui, aligne ses choix directement sur un pays étranger ayant pour objectif de renverser le régime.

Pour épicer encore un peu la situation, l’arrivée au pouvoir du Front Populaire s’est accompagné d’une grève totale, avec une occupation des usines et une paralysie du pays et de puissantes batailles syndicales pour forcer la bourgeoisie à cracher de l’argent. C’est par cette lutte acharnée que les français ont ainsi arraché des droits dont nous bénéficions aujourd’hui, comme les congés payés.

Malheureusement, dès 1937, Léon Blum annonce une « pause » dans le processus de progrès social, et abandonne la République espagnole, attaquée par Franco. C’est la fin du grand espoir né l’année d’avant, et le début du compte à rebours avant le pétainisme.

90 ans plus tard, personne, absolument personne, ne dirait que le Front Populaire était « extrême ». Les livres d’histoire en parlent comme d’une page glorieuse de l’histoire de France.

Une autre grande figure souvent évoquée dans les médias pour critiqué la pseudo-radicalité de la gauche actuelle, est celle de Jean Jaurès. Ce grand homme socialiste, qui a d’ailleurs été assassiné en 1914 par l’extrême droite, n’avait aucun problème à défendre la violence ouvrière contre la brutalité patronale, et à s’opposer de toutes ses forces contre la guerre qui s’annonçait avec l’Allemagne. Aujourd’hui, BFM et Cnews le dépeindraient comme un « traître à la patrie » et un fauteur de trouble.

Mais alors, qu’est-ce que c’est « l’extrême gauche » ? C’est, en résumé, une gauche révolutionnaire, qui veut renverser le régime, abolir la propriété privée, l’État, les classes, l’argent et l’armée. L’extrême gauche, ce sont de nombreux courants politiques, anarchistes et trotskistes notamment. À des années lumières de la gauche qui se présente aux élections actuellement.

En fait, Mélenchon s’inscrit dans l’héritage de Jaurès, ou Blum, c’est à dire au centre-gauche. Le Front Populaire est une alliance sociale-démocrate, ce qui n’est pas lui faire injure : un mouvement vraiment social et vraiment démocrate, contrairement aux précédents gouvernements.

Le discours sur les « extrêmes » est donc un énorme mensonge. Pour les millionnaires, classer Mélenchon et Le Pen dans la même catégorie « extrême » est assez pratique, pour diaboliser la gauche. Pour eux, le Front Populaire représente plus de danger que l’extrême droite, car elle veut leur prendre de l’argent pour le redistribuer.

Ce mensonge est une faute, car il permet de normaliser l’extrême droite. Si l’histoire nous montre que la gauche au pouvoir nous a légué les congés payés, les hausses de salaires et la sécurité sociale, elle nous montre aussi que l’extrême droite au pouvoir, c’est la dictature, la guerre et l’extermination de minorités.

Ainsi, si Kylian Mbappé veut vraiment éviter de vivre dans un pays qui ne représente “pas ses valeurs”, il ferait bien d’appeler, beaucoup plus clairement, à une mobilisation totale, dans la rue et dans les urnes, contre le RN.

Article Publié sur Contre-attaque

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