Le CLAP, en lutte contre la Start Up Nation !

Suite aux actions menées par les livreurs à vélo ces dernières semaines, quelques contributeurs à Paris-luttes.info ont retrouvé une interview inédite réalisée en juin sur la création du CLAP, un Collectif dédié à la défense des droits et des conditions de travail des livreurs « autoentrepreneurs » (Deliveroo, Foodora, Stuart, Uber, etc.). Vers une uberisation de la grève...


Comment vous vous êtes rencontrés, comment est venue l’idée de former un collectif ?


CLAP : Antoine* a rencontré Alan* à une première réunion d’info organisée par la CGT au mois de février 2017. Un mois plus tard, en mars, y’ a eu un mouvement de grève sauvage orchestré par Lyon, suivi par Bordeaux, et on a lancé ça à Paris. Ici il y a eu une centaine de personnes mobilisées, et c’est la que Marvin a rencontré Roger, Henri, Yves et Walid* qui se connaissaient déjà : ils s’étaient rencontrés sur un forum facebook issu du mouvement contre la loi travail. À la base on voulait faire un collectif qui fasse un peu de syndicalisme, mais tous ne voulaient pas rentrer à la CGT, et on voulait aussi taffer sur des trucs non-syndicaux : le cyclisme à Paris, le genre, la sécurité (les accidents à vélo). Là on a fondé le Clap, un collectif de livreurs issus de différentes boîtes, comme Foodora, Deliveroo, UberEats et Stuart. On est aussi syndiqués à Sud commerce pour certains, d’autres sont à la CGT commerce. Pour l’instant, on commence à se structurer, on existe depuis un mois, c’est un petit bébé quoi !

Pourquoi c’est un travail ou l’on voit très peu de filles ?


Les filles qui m’en ont parlé m’ont dit que c’était souvent par rapport aux clients. Chez UberEats, les clients ont une photo de nous et notre numéro de téléphone, du coup pour certaines, c’est devenu du harcèlement sexuel. En plus chez UberEats les travailleurs sont notés, du coup si la livreuse ne répond pas à leurs avances, ils peuvent se venger en la notant mal. A quoi s’ajoute une perte de salaire pour celles-ci, car Uber a ajouté un critère pour toucher la prime : il faut 85% de satisfaction du client. C’est la triple peine pour les livreuses : elles sont précaires, risquent du harcèlement et en plus elles ont une baisse du salaire. Les filles y’en a déjà pas beaucoup, mais quand je les vois, je sais qu’en général elles restent pas plus de 2 semaines. C’est dégueulasse.

Sur le rassemblement du 27 août
Lors du rassemblement du 27 août, qui comptait entre 150 et 200 personnes à Paris, les livreurs se sont répartis en groupes de 10-15 pour aller vers les restos et les convaincre de fermer les tablettes pour ne prendre aucune commande. Ils ont fait éteindre les tablettes de 20 restos sur les 26 visités.
La lutte du 27 aout était organisée dans plusieurs villes. La où ça a le mieux marché c’est Nantes, avec une cinquantaine de livreurs (ce qui représente un tiers des effectifs que Deliveroo inscrit pour une soirée), avec pas mal de restau bloqués et de commandes récupérées. Les autres villes particulièrement mobilisées étaient Bordeaux, Lyon et Paris.

Vous faites de la prospective sur les mois à venir ? Comment vous allez vous débrouiller ?


C’est un travail dont le salaire dépend beaucoup de la météo, car celle-ci détermine le nombre de travailleurs et de commandes. Par exemple, en janvier-fevrier, les plateformes ont beaucoup recruté parce qu’avec le froid, les patrons avaient très peur de pas avoir assez de coursiers alors que c’est la saison où il y a le plus de commandes. Ils proposent des bons salaires à ce moment-là. Maintenant qu’il pleut moins, c’est une période beaucoup plus calme et nos salaires sont redevenus très bas. On réfléchit énormément à comment ça va se passer les mois suivants, par exemple je me suis surpris à rêver qu’il pleuve. Dimanche dernier il a énormément plu, et on était super heureux, parce que c’est le moment où ni les coursiers ni les clients ne veulent sortir. Quand il fait mauvais, Uber Eats propose de très bons salaires, et ceux qui bossent gagnent très bien. Et puis, dès qu’il se remet à faire beau, les salariés d’UberEats s’énervent. C’est ce qu’on prévoit pour l’été : beaucoup d’étudiants vont venir grossir les rangs des coursiers, alors que c’est le moment où il y a peu de commandes, puisque les gens préfèrent sortir et s’installer en terrasse. On anticipe déjà que nos salaires vont baisser la saison suivante.

Quand Take it Easy s’est pété la gueule, en laissant plusieurs milliers de livreurs sans être payés, une grande partie de ceux qui se sont retrouvés sur le carreau sont allé chez Deliveroo. La faillite de Take it Easy a été une aubaine pour Deliveroo, qui a non seulement récupéré ses parts de marché clientèle, mais qui a profité de la vague d’arrivée des anciens de Take it Easy pour baisser tous les salaires. Comme l’entreprise était devenue un quasi monopole tant sur l’emploi que sur les commandes, elle a fait le choix de reporter la misère des licenciés sur ceux qui avaient un contrat correct. Elle a changé son tarif, qui était à l’heure en le faisant passer à la tâche. Les anciens, qui avaient des contrats à l’heure se sont fait licencier brutalement. Deliveroo les a réembauchés, mais avec les nouveaux contrats à la tâche. En bossant, les mecs se sont vite aperçut qu’ils avaient perdu 30% de leur salaire.
Le statut d’auto-entrepreneurs crée ce turn-over : puisqu’il y a personne à licencier, ni à payer de manière continue, l’entreprise utilise le turn-over contre les employés, pour baisser les salaires. Le turn-over fait partie intégrante du modèle économique.

Pour contrer les baisses de salaires, y a aussi la débrouille. Comme Uber et les autres baissent les prix des courses, nos conditions sont quasiment intenables. Des fois, on peut passer 2 ou 3 heures à être sur Paris sans toucher un seul euro. Donc c’est devenu tellement précaire, que beaucoup de gens se mettent à travailler pour plusieurs plateformes, et bouger vers celles qui proposent le meilleur salaire. Par exemple, moi je travaille pour Stuart en semaine, ils me payent à l’heure, et le weekend j’enchaîne avec Uber, dont les salaires sont plus élevés ces jours-là. Bosser pour plusieurs plateformes, ça enlève aussi la crainte de se faire virer de l’entreprise dans laquelle tu bosses. Après le problème, c’est que travailler pour 2 plateformes, ça veut dire que tu payes 2 fois la caution équipement, qui coûte 150 euros pour la panoplie chez Deliveroo.

Lors du premier mai 2017

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez quant au syndicalisme ?


Déjà, c’est un boulot qui au début, sonnait comme au XIXe siècle, quand les syndicats étaient interdits, parce que c’est très récent qu’on puisse se syndiquer en tant qu’auto entrepreneur. C’est devenu légal avec la loi travail en 2016, puis il a fallu attendre juillet 2016, où la CGT s’est ouverte aux travailleurs des plateforme numériques. Eux, ils nous appellent « salariés », ils se positionnent déjà en considérant les auto-entrepeneurs comme des salariés.

Après, chez Deliveroo et Foodora y a des « capitaines », qui sont des sortes de contremaîtres anonymes. On peut devenir capitaine si on a fait de bonnes "performances" : aller vite, ne pas avoir d’accidents, être présent. Les « capitaines » ont tous les créneaux horaires qu’ils veulent et en plus ils ont des gains supplémentaires quand ils recrutent des nouveaux. Sur le terrain, ils sont pas visibles, ils sont livreurs comme nous, sauf qu’ils ont un taf de contremaîtres car ils peuvent dénoncer ceux qui luttent et les faire renvoyer. Comme ils bossent avec nous sur la route, on sait pas qui est capitaine et qui ne l’est pas. Donc on essaie de voir ce qu’on va faire, parce que lutter c’est se visibiliser, et du coup risquer d’être viré. Aussi, si on instaure pas le gel des recrutements, les plateformes recrutent davantage pour que ceux qui luttent deviennent minoritaires.

Pour rencontrer des gens qui veulent s’organiser c’est difficile, par contre y a quelque chose qui nous aide vachement, c’est que tous les mois ils baissent les rémunérations. Ils baissent les primes : au début y avait des primes le midi et le soir, ensuite y en a plus eu le midi, et puis maintenant ils sucrent les bonus du début de semaine et du soir, donc y en a plus que le week-end. Plus le temps passe, plus les mecs s’énervent.


Et ça donne lieu à des luttes ?


Ouais, c’est ça qu’a fait qu’à Marseille les livreurs ont pété les plombs alors qu’au départ ils étaient très très corporate. Quand ils ont reçu les nouvelles tarifications du mois d’avril, ils ont craqué. Après avoir vu s’envoler la moité des bonus de la semaine, ils ont fait une grève sauvage et ont bloqué les restos associés à Deliveroo. Ils tenaient leur piquet de grève devant les restos, comme ça, même si les commandes étaient prêtes, mais y avait personne pour venir les chercher ! Ça a bien marché. L’avantage de Marseille, c’est qu’il y a moins de livreurs, ils sont une vingtaine, répartis sur 2 zones de livraisons, donc ils se connaissent tous. Nous à Paris, on est plusieurs milliers, répartis sur une dizaine/vingtaine de zones de travail. Ça complique la tâche pour éviter les capitaines.

Quelle a été votre activité de lutte ?


Au départ les VTC ont lancé la grève sauvage du 15 mars parce qu’ils avaient ce jour-là une réunion avec Uber. Ils ont communiqué avec les autres collectifs de province, et de notre côté on a participé au rassemblement de déconnexion massive qui a eu lieu à Paris. On était une centaine ici, c’est déjà pas mal pour une première date. Comme on le disait tout à l’heure, la grève sauvage a été simultanée à Lyon, Bordeaux et Nice. Le but était de faire peur aux entreprises, de leur montrer que c’était trop. On a pas mal été relayés dans la presse, c’est aussi une manière d’envoyer un message aux patrons, et de publiciser la précarité de ces nouveaux métiers.

En mai, on a profité des manifs contre les élections pour tracter et se mobiliser en tant que collectif, on avait notre cortège en tête de manif. Après, en activité moins visible, certains parmi nous déposent aussi des tracts dans les restos.

Crédit photo @LaMeute

Quelles sont vos perspectives ?


À 2000 coursiers à Paris, c’est trop compliqué de mener une grève sauvage, parce que ceux qui vont rester bosser vont faire un super shift [Une « course », dans le langage du métier] et seront super contents de leur paye, qui aura été augmentée. Puis si on fait grève sans bloquer, les commandes seront livrées quand même. Ce qu’il faut c’est faire un piquet devant un restaurant, pour empêcher les commandes de partir, et c’est à ce moment-là que les plateformes seront impactées. L’avantage de bloquer un resto, c’est qu’on a pas besoin d’être très nombreux, et que ça fait pas mal parler de nous. À Marseille, en bloquant une soirée ils ont eu 2-3 papiers dans les quotidiens locaux, donc mine de rien ça envoie un message. Au bout de 3 jours, Deliveroo qui a son siège à Lyon a dépêché un mec pour qu’il vienne discuter avec eux.

En tout cas, les plateformes s’attendent à ce que ça pète !

* les prénoms ont été modifiés.