La solidarité avant tout. Vraiment ? Un regard sur les pays européens

| A bas les CRA

Comment Covid-19 affecte les régimes de détention et d’expulsion en Europe

La pandémie du Covid-19 plonge tous les pays du monde entier dans une crise économique et une crise de santé publique – le virus nous affecte tou·te·s. Malgré son envergure mondiale, les États et leurs gouvernements cherchent des réponses nationales.

En Europe, la pandémie a poussé, à certains égards, à la solidarité et à la priorisation de la santé publique, mais aussi – et surtout – aux restrictions de la vie sociale et des libertés publiques. Dans de nombreux pays, le droit de circuler, de se rassembler et de protester a été restreint par des mesures d’urgence au nom de la crise sanitaire et nous observons de nombreuses tendances autoritaires dans la mise en œuvre des mesures prises.

(Texte collectif écrit le 23 avril et mise à jour le 8 mai, initialement en anglais puis traduit en français – des informations actualisées sur la situation en France ici)

Il est souvent souligné que l’épidémie du Covid-19 nous affecte tou·te·s. Cependant, cette crise, ainsi que les réponses qui lui sont apportées, s’appliquent à géométrie variable et catalysent souvent des discriminations et des exclusions préexistantes. Cette pandémie ne met pas seulement en lumière les conditions dégradantes dans les prisons et les centres de rétention en temps normal, mais montre également le visage le plus laid des politiques d’enfermement et d’expulsion des États de l’UE. Les États ont fait un choix sur les corps qui méritent d’être protégés et guéris et ceux qui sont exclus de la prévention, sans parler des soins. Nous sommes des militants du Danemark, d’Allemagne, de Suisse, de France et d’Italie engagés dans des luttes antidéportation et antirétention. Nous nous sommes réunis pour collecter des informations sur nos contextes, afin de fournir un aperçu plus large de l’impact de Covid-19 sur différents pays. Le système de l’enfermement et des déportations diffère selon les pays européens, ce qui rend la comparaison souvent difficile. Dans certains pays, la détention administrative est effectuée dans des camps semi-ouverts. Dans d’autres, les personnes peuvent être placées en détention provisoire avant expulsion pendant une période pouvant aller jusqu’à 18 mois. Le système des camps pour les demandeurs d’asile diffère également selon les pays. Par conséquent, nous n’expliquerons pas en détail les caractéristiques exactes de chaque pays. Dans ce texte, nous avons établi une distinction entre la rétention provisoire en vue d’une expulsion et les systèmes de camps. De plus amples informations sur les systèmes de papiers de chaque pays sont disponibles ici.

Conséquences de Covid-19 sur les expulsions

Au regard de la situation actuelle des expulsions en Europe, quelques points communs se dégagent. Les expulsions entre États européens dans le cadre du règlement Dublin ont été temporairement suspendues en mars, elles ont depuis repris dans certains pays. En France, des expulsions ont eu lieu au cours du mois de mars et d’avril vers la Hollande, la Roumanie et le Portugal. Au Danemark, au moins une tentative de renvoi vers la Roumanie a été reportée depuis la fin supposée des déportations « internes ». Il y a encore un manque de clarté concernant les vols charters et les expulsions vers les pays d’origine : si ces vols semblent totalement suspendus pour la France et l’Italie, ce n’est pas le cas pour certains pays qui semblent moins touchés par le Covid-19 et les mesures d’urgence. Du côté français, les expulsions vers les pays d’origine ont été stoppées, car le pays a fermé toutes ses frontières extérieures et pourrait ne pas les rouvrir avant l’année prochaine. En Allemagne par exemple, les autorités ont encore tenté de déporter des personnes vers leurs pays fin mars, ce qui a échoué deux fois en raison de mouvements de protestation. Malgré tout, il semble que les autorités allemandes poursuivent leurs efforts pour expulser les gens à tout prix. Au Danemark, le gouvernement n’est pas transparent sur l’arrêt total des expulsions vers les pays d’origine. Parallèlement, il insiste sur l’importance de rattraper tous les vols « manqués » une fois la crise terminée. En Suisse, les expulsions vers les pays d’origine sont toujours possibles, mais fortement restreintes.

Conséquences de Covid-19 sur la détention

Dans un certain nombre de pays européens, des libérations ont eu lieu dans plusieurs centres de rétention au début de la crise du fait des risques sanitaires et de l’arrêt des déportations.
Mais partout, de nombreux centres, voire la quasi-totalité, restent ouverts et de nombreuses personnes sont toujours enfermées. Pire, la plupart des gouvernements ont imposé de nouvelles restrictions, et avec le ralentissement voire arrêt des déportations, les conditions de rétention deviennent à peine distinguables de celles de la prison. Les cinq pays ont en commun que les parloirs dans les centres de rétention comme dans les prisons sont actuellement interdits et que les prisonniers sont encore plus isolés de leurs proches et du reste du monde qu’auparavant. Dans tous les pays, le droit des personnes à la santé, et peut-être à la vie, est gravement violé depuis le début du confinement.

En Suisse, selon des informations officielles, les autorités genevoises ont libéré tout le monde en retenue et vidé complètement les centres de détention administrative de Favra et Frambois. Cependant, cette décision ne s’est pas étendue à dans d’autres régions du pays ; à Bâle et à Zurich, par exemple, il y a encore plus d’une soixantaine de personnes en rétention provisoire. Dans les deux cantons, les autorités soutiennent que le motif juridique des expulsions n’a pas changé et soulignent qu’en général les expulsions sont toujours possibles et exécutées chaque fois qu’elles peuvent être réalisées. En Allemagne, les autorités n’ont pas élaboré d’approche globale sur la façon de protéger et de libérer les personnes en détention provisoire, laissant aux différents Länder la possibilité de gérer à sa manière. Quelques centres de détention ont fermé et libéré tous les détenus et plusieurs personnes en attente de transfert de Dublin vers l’Italie notamment, ont été relâchés assez rapidement après l’arrêt des transferts de Dublin. Cependant, de nombreuses personnes restent détenues même si on ne sait pas vraiment quand les vols d’expulsion pourraient reprendre. Dans un centre de rétention de Darmstadt, des personnes ont manifesté contre leur emprisonnement. Aujourd’hui, cinq personnes y sont toujours retenues. Ils rapportent que les doutes liés à la situation et le fait de savoir que de nombreuses autres personnes ont été libérées, mais qu’eux sont toujours enfermés représentent un énorme stress psychologique pour eux. Au Danemark, le gouvernement refuse de libérer les personnes en détention pour expulsion, mais continue d’arrêter et de détenir de nouvelles personnes – bien que les prisons « normales » aient été fermées pour les nouveaux condamnés. Les gens sont continuellement transférés entre les différents lieux de rétention. Toutes les personnes qui sont transférées à Ellebæk, la prison fermée pour expulsion d’où des personnes sont expulsées de force, sont soumises à l’isolement forcé dans une prison d’État pendant deux semaines avant leur transfert.

En France, le confinement général a été déclaré le 16 mars. De nombreuses prisons pour sans-papiers sont actuellement vides du fait des libérations massives de prisonniers au cours des premières semaines de l’isolement. Cependant, elles ne sont pas définitivement fermées et d’autres centres continuent de fonctionner malgré la pandémie. À ce jour, de nombreux centres de rétention administrative (CRA) se remplissent à nouveau rapidement et les nouvelles rétentions sont très souvent validées et prolongées par les juges. Comme on pouvait s’y attendre, le confinement et l’état d’urgence ont renforcé les contrôles d’identité et les arrestations arbitraires – même de travailleurs sans-papiers qui n’ont pas d’autre soutien financier pendant la crise que de continuer à travailler. De nombreuses personnes sans-papiers sont également transférées directement des prisons à des centres de rétention : cette « double peine » existe depuis longtemps en France et s’est intensifiée pendant la crise. En Italie, les centres de détention (CPR) sont toujours ouverts. La fonctionnalité des centres dépend des autorités locales, et les informations à ce sujet sont partagées par le siège de la police locale (préfecture). Même si certains juges, à Potenza et Trieste par exemple, ne valident pas la prolongation de la détention, dans de nombreux cas, les CPR continuent de faire entrer de nouveaux détenus et les juges locaux prolongent ou valident la détention comme si rien n’avait changé. La principale différence est qu’au lieu d’une expulsion, il n’y aura qu’une obligation de quitter le pays.

Ainsi, les expulsions ne pouvant pas être effectuées, les motifs juridiques de la rétention pour expulsion disparaissent également. Même si nous rejetons cette prémisse absurde, autant que nous rejetons le régime de rétention et d’expulsion à travers l’Europe dans son ensemble, nous tenons à souligner que cela ne laisse plus aux autorités aucune justification légale ou institutionnellement acceptée pour maintenir ces centres ouverts, en particulier pendant la pandémie.

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