« La Dépêche, le journal de la démocratie » ? L’Empaillé, un vilain petit canard aveyronnais défend une autre thèse, qui colle peut-être un peu plus à la réalité : La dépêche, le journal au passé collaborationniste, le journal des faits divers et du sport, le journal social-libéral de droite... et le journal de la dynastie Baylet bien sûr.
La dépêche est fondée en 1870. Si le journal diffuse les idées de gauche, ouvre ses colonnes à Jaurès et Clémenceau, il devient peu à peu l’organe de presse des « Radicaux ». Ce courant politique navigue au centre-gauche, préfère le clientélisme et la défense de l’ordre établi à toute remise en cause « radicale ». Fervent anti-communiste et laïc, apôtre de la propriété privée, progressiste s’il le faut. C’est essentiellement un parti d’élus et de notables, dont la mission se limite aux campagnes électorales. La famille Baylet prend pied en 1924 dans La Dépêche avec Jean, grâce au PDG d’alors, le sénateur radical Michel Sarraut et à l’un des actionnaires, Jean-Baptiste Chaumeil, riche entrepreneur et maire de valence d’Agen, qui cédera à Jean Baylet sa fortune et son siège municipal. Le journal refuse le soutien de la France au camp républicain espagnol en 1936 et donne son approbation à l’interdiction du PCF en 1939. La démocratie a ses limites. Comme la majorité de la presse locale, La dépêche continue son activité après la capitulation, avec Sarraut et Baylet aux commandes.
Retour de Vichy
En 1997, pour les 50 ans de reparution du journal, Jean-Michel Baylet commémore sans s’étouffer à propos de la période Vichyste du quotidien « quatre années durant lesquelles La Dépêche a terriblement souffert », le « véritable martyre », et soutient qu’elle a « le droit de dire qu’elle n’a pas eu à rougir ». À Toulouse et dans la région, personne n’élève la voix contre cette énormité, jusqu’en 2001, où Claude Llabres se décide à publier un livre à charge contre le quotidien [1]. En effet, les mouvements de la résistance publient à la libération un document [2] qui ne laisse aucun doute sur les quatre années de collaboration du quotidien avec l’Allemagne nazie et le Maréchal Pétain. Selon eux, « Les journaux « républicains », « démocrates » qui servirent l’occupant alors qu’il fallait, pour paraître, combattre ce qui avait été leur foi, leur doctrine, ce qui leur avait valu la confiance même des lecteurs qu’ils abusèrent, ajoutaient à la trahison l’escroquerie et le reniement. Ce fut le cas de La Dépêche ».
L’accusation, détaillée et sourcée, est accablante. L’administration de La dépêche se soumet, parfois avec zèle, au régime de Vichy et à l’occupant. Elle respecte les centaines de consignes de presse et de notes d’orientation autocensurant chaque article, chaque édito des 1500 numéros parus sous l’occupation. « Le journal de la démocratie » prône l’armistice, l’impossibilité de résister, puis chante les louanges du « chef », du « guide désintéressé », du « grand maréchal » Pétain, de Laval ou de Franco. Il s’oppose de façon virulente aux résistants assimilés à des « terroristes de l’étranger » qu’il appelle à dénoncer et à qui il promet de sévères « représailles ». Il défend sans nuance « la lutte de l’armée allemande dans la défense du continent » contre le péril communiste de l’URSS. Le 18 janvier 1943, le conseil d’administration présidée par Jean Baylet vote à l’unanimité le « contrat de censure » proposé par Vichy, une déclaration d’allégeance à Pétain promettant un journal aux ordres sans besoin de consignes dictées au préalable. La collaboration n’est pas financièrement inodore. Le quotidien multiplie par trois ses bénéfices entre 1940 et 1943, les salaires des directeurs et rédacteurs en chef doublent, le tirage atteint un record de 310 000 exemplaires en 1943.
Les résistants rendent hommage en conclusion de leur travail à tous ceux, rédacteurs et imprimeurs, qui sont morts pour que vive la presse clandestine, et se promettent « d’ interdire à la presse de la forfaiture, à ses dirigeants, à ses profiteurs, de jamais reprendre la parole ». La Dépêche est naturellement interdite le 20 août 1944 [3]. Fin 1947, malgré quelques protestations, les tractations en coulisses de Sarraut et Baylet réalisent l’impensable : le quotidien est autorisé à reparaître et parvient à reprendre ses locaux attribués à un mouvement résistant. Il lui suffit de métamorphoser la « Dépêche de Toulouse » en « Dépêche du Midi ».
Jean Baylet est toujours aux manettes, le radicalisme et l’anti-communisme sont à nouveau à l’honneur. Mais il meurt subitement en 1959 et sa femme Évelyne prend la tête du journal avec... René Bousquet, l’ancien chef de la police de Vichy. Grotesque et pitoyable. On se demande où sont les résistants de 1945. Le sinistre Bousquet a su jouer avec le milieu Radical du Sud-Ouest pour se faire peau neuve. En effet, il a mené sa carrière grâce aux frères Sarraut et à Jean Baylet avant guerre, qui le propulsent préfet régional à 31 ans. Sans scrupule, avide de pouvoir, il accepte de diriger la police de Pétain. Il organise avec zèle la rafle du Vel d’hiv, il propose les juifs étrangers de la zone libre à la déportation nazie et sera au total responsable de la mort de dizaines de milliers de Juifs. Dans les derniers mois, afin de préparer l’avenir il sauve quelques résistants dont Mitterand, et plie bagage.
Après guerre, le salaud sait y faire, c’est un homme de relations, intelligent et beau gosse. Son procès en 1949 lui vaut acquittement. Son ami Baylet siège au sein du jury de députés de la haute cour qui expédie l’affaire en trois jours. À l’annonce de l’acquittement, L’Huma titre « la résistance bafouée ! », Libé parle d’une « minute de dégradation nationale ».
Son protecteur Albert Sarraut lui offre une place à la banque d’Indochine, proche des Radicaux. Il multiplie les relations, les dîners, les poignées de main. Chaban, Daladier, Faure, Mendès-France, Mitterrand font partie de ses fréquentations. Bousquet est un brillant banquier, il est amnistié et c’est alors sans remous qu’il intègre La Dépêche. Au long des années 60, il y place ses hommes et écarte ses adversaires. Jusqu’en 1971. Celui qui a mis la police nationale au service du Reich, de la répression de la résistance et qui a organisé la déportation de dizaines de milliers de juifs, va jusqu’à soutenir, avec la Dépêche, la campagne de Mitterand en 1965 [4].
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