Les faits sont graves. Et je me garderai bien d’évoquer le contexte de l’interpellation que l’enquête doit encore déterminer, car j’ai envie de dire, peu importe ! Ce que le jeune Théo a pu dire aux flics à qui on ne peut décidément plus parler, ne pourra jamais justifier un tel traitement.
Ainsi, je me borne au factuel déjà connu. Et pour ce que l’on sait, je renvoie à cet article.
Le ton parfois cynique de ces lignes ne vise qu’à mettre en exergue cette mascarade éhontée, car en plus des faits, c’est elle qui se moque de la victime.
La « bavure »
Sans en connaître la raison de départ - mais les premiers témoignages semblent indiquer que Théo réagissait juste à une violence préliminaire d’un policier sur un autre jeune -, nous savons qu’il s’agit d’un contrôle policier qui tourne mal. Le déroulé des événements, selon la police, nécessite alors l’usage de la force.
Voilà Théo, énième jeune homme "sans histoire", mû en réfractaire à l’autorité et dont la force se décuple à l’occasion d’un contrôle policier. Allez, pourquoi pas ?
Toujours selon eux, et pour faire leur travail, les policiers sont donc dans l’obligation d’utiliser de la bombe lacrymogène, dont les effluves se retournent contre l’un d’entre eux. Malgré cette première répression, les hommes en bleu sont apparemment forcés de dompter cette force hostile à l’aide de leur matraque.
C’est là que nous entrons dans un récit de science-fiction, celui des objets autonomes.
Lors des premiers coups – qui ne font toujours pas plier Théo –, le pantalon de ce dernier tombe tout seul. Bon. Peut-être a-t-il oublié de mettre sa ceinture.
Donc nous en sommes à un moment où l’homme appréhendé est a priori en caleçon dans la rue, le pantalon tombé aux chevilles, encadré et violenté par quatre flics. Et ce jeune homme continue de mériter les coups qu’il reçoit. Bon. Peut-être réplique-t-il, peut-être est-il très très fort.
Mais là, en toute logique, l’un des flics porte un « coup horizontal » avec sa matraque télescopique, au niveau de l’entrejambe de Théo. Une explication technique de ce geste horizontal, qu’on peut avoir beaucoup de mal à se représenter, n’est pas de refus. On peut bêtement penser, voire, avoir pu constater de ses propres yeux, que les coups de matraques pleuvent davantage par le côté, par le haut.
Ce coup horizontal est tellement violent et précis, que la matraque transperce le caleçon du jeune homme, et va se loger dans son anus. Indépendamment de la volonté du flic, bien entendu.
C’est donc la matraque autonome et perverse, qui frappe sans doute trop et sans raison, mais sûrement, là où on ne l’attend pas.
Résultat de cette malencontreuse erreur : Théo est hospitalisé pour un sphincter sectionné et une lésion du rectum de 10 centimètres, blessures qui lui valent 2 mois d’ITT.
Un-e viol-ence qui ne dit pas son nom d’humiliation
Nous avons donc un garçon de 22 ans sans histoire. A part celle d’un habitant d’Aulnay-sous-Bois, 9-3. Se pourrait-il, par le plus grand des hasards, qu’il soit jaugé en amont, a priori, pour le seul fait de vivre dans ces territoires à l’abandon ? Les mêmes policiers auraient agi de la même façon devant les mêmes faits, si toute cette scène s’était déroulée à Passy, n’est-ce pas ?
Dans les territoires comme celui de Théo, les flics ont la main leste et lourde, et le simple fait de le leur dire engendre un émoi sans nom de l’ensemble du corps policier.
Un contrôle qui dégénère, comme trop souvent. Si elles le veulent un jour, il faudrait peut-être que les autorités se penchent sur la question… (il n’est pas interdit d’espérer après tout).
Mais que se passe-t-il lors de ces contrôles qui dérapent ? Comment autant de jeunes gens sans histoire, impliqués dans leur ville souvent, se métamorphosent-ils en délinquants qu’il faut cogner lors d’un contrôle de routine ? Étrange tout de même.
Comme il paraît toujours étrange que quatre hommes ayant autorité et équipés en fonction, doivent utiliser une telle violence pour en maîtriser un seul. Au-delà de leur témérité surprenante, les interpellés sont donc souvent dotés d’une force herculéenne, qu’il faut mater, à coups de lacrymo et de matraque… dans les moins pires des cas.
Considérant la configuration qu’on nous décrit, Théo se tenait donc dos aux garants de sa sécurité. Dès lors, sur un plan matériel d’abord, il est permis de s’interroger.
En posant de simples questions derrière son écran, au moins, on ne risque pas de coups de matraque.
Le policier nous dit que ce geste n’avait pas l’intention de pénétrer. Alors, quelle intention avait-il à ce moment précis ? Quel dessein visait ce coup horizontal, puisqu’on peut penser que le jeune homme était déjà maîtrisé ?
Sans doute le policier sait-il que cela s’appelle un viol, c’est pourquoi, aussi stupide que cela puisse paraître, c’est bien de cet argument principal que se pare sa défense. Certes, on peut avoir beaucoup d’imagination, mais en manquer soudainement quand il s’agit de visualiser la réalisation de cette non-intention de viol.
Pourtant, cela a failli suffire au Parquet.
Comment la Justice a-t-elle pu autant tergiverser aujourd’hui, en ne retenant pas d’abord le chef d’accusation de viol, pour ensuite revenir, heureusement, sur cette honteuse décision ? Comment a-t-elle pu considérer que ce geste intentionnel n’avait pas produit les effets escomptés de ses intentions ? A quel moment cette version de l’incident et de la matraque autonome a-t-elle pu être crédible auprès des tenants du Droit ?
Ironie mise à part, pour qui nous prend-on ? Quelle blessure supplémentaire les juges qui ont été saisis de l’affaire ont-ils failli infliger à ce jeune homme en hésitant tellement à qualifier les faits pour ce qu’ils sont ?
Par conséquent, n’est-on pas en droit de considérer que ce geste doublé des atermoiements de la Justice est, au-delà de sa violence physique et psychologique, porteur de sens ?
Celui d’une certaine et brutale phallocratie qui veut toujours posséder, dominer et humilier. Quitte à passer, pour les plus extrémistes, par le viol anal, châtiment suprême pour son "avilissement"... Quelle idée de la représentation cela suggère-t-il sur la mentalité de ces flics ? Est-il au moins légitime d’y déceler, en plus d’autres troubles, une certaine homophobie ?
Quant à la Justice, pourquoi est-elle souvent si prompte à amoindrir les violences policières ou politiques ? Pourquoi participe-t-elle à la banalisation de ces actes inadmissibles ? Quels messages envoie-t-elle au reste de la population à qui, a contrario, on ne fait que rarement cadeau d’une telle indulgence ?
Cet événement a eu lieu il y a déjà 4 jours, le jeune homme est toujours hospitalisé aujourd’hui et il a fallu attendre ce soir dimanche, pour que l’erreur soit réparée et les policiers mis en examen pour les faits graves qui leur sont reprochés. Sûrement un effet des pressions politiques et de la médiatisation de l’affaire.
Sans ces scandaleux échos, ce jeune homme serait sans doute tombé dans la cohorte des victimes condamnées à la double peine, violence et silence.
Cela suffit. Vraiment.