Journal d’un casseur #2

Ode à la cagoule. Fictionnelle. Enfin, presque.

À chaque fois la sensation est la même. La cagoule me serre le visage, frotte mes cils, agresse mon nez. Je la fais avec un tee shirt mais le résultat final est toujours parfait. La première fois fut la bonne. Rien n’était prévu pour que je finisse cagoulé. J’avais un tee-shirt dans mon sac et la manif’ avait pris une tournure violente. C’est au premier coup de matraques d’un bacqueux au regard vide que la pulsion animale avait empli mes poumons, les compressant d’un coup. Rejoignant mes camarades « non violents », les yeux emplis de gaz, la bouche pleine de larmes, la haine dans les poings, je décidais d’agir. Que voulez-vous, voilà le chemin de la radicalisation.

On commence par lire des textes qu’on approuve, qu’on défend, mais qu’on n’ose pas encore appliquer. Puis viens l’action, au début, passive. Les manifestations dans les rangs, les slogans chantés joyeusement, la marche moutonnière derrière le service d’ordre, bref, l’apathie totale. Les jeunes « représentants » du mouvement, futurs figures des syndicats, futurs traitres de la révolution, ponctuent toujours leurs discours par les mots « construction », « lutte », « massification ».

Puis, vient la violence. Au début, le choc est brutal. On ne comprend plus rien, une fumée parcoure notre corps, des coups surgissent du néant pour nous casser et les mots fusent. « Crève sale gauchiste », « on va vous défoncer bande de pédales », « ça t’apprendra à manifester enculé ». On ne voit que très rarement leurs têtes à ces instants là. C’est une ombre bleue marine, un bras noir, une matraque furieuse. C’est un robot au visage rouge. Ainsi, vient le temps des écharpes et des lunettes. De mouton, on passe à spectateur, soutien même. On sort de la torpeur des drapeaux d’organisations, des banderoles de facultés, pour s’organiser entre nous, avec les copains. Ça prend du sérum, des lunettes. Ça cherche à éviter la fouille, les regards inquisiteurs. Ça se camoufle. Puis, lors d’un énième coup dans la gueule, d’un énième vomissement de salive, d’une toux horrible et d’une crise de larmes puissantes, on change tout. On agit. On devient « casseur ». C’est le temps de la cagoule, du pavé, de la bombe.

La cagoule, lorsqu’elle recouvre ma gueule, détruit mon identité. Je deviens silhouette. Plus une personne dont le visage et les habits expliquent l’appartenance sociale. Alliée au K-way, elle détruit l’apparat. J’en suis « un » de plus. Je le vois dans le regard des spectateurs du cortège de tête. Ils sont surpris d’en voir de plus en plus. Ma cagoule, c’est l’expression de la nullité de ma personne et de l’importance de mes actes. Ils ne doivent voir que le marteau ou la bombe dans ma main. Ne voir que l’impact ou le tag sur la vitrine. « Moi », je n’existe pas, car je suis « multitude ». Je suis une foule, un bloc – noir. Et ma cagoule me donne cette chance. Ils ne voient que mes yeux, fous. Et lorsqu’ils essayent de m’arrêter en me parlant de crédibilité, ce n’est pas moi qui parle mais ma cagoule.

« Je ne veux pas être crédible auprès des mangeurs de télé. Je veux qu’ils tremblent en se disant qu’avant j’étais comme eux. Et qu’un jour j’ai décidé d’en finir avec mon avis, ma petite idée des choses, que tout le monde entend gentiment sans jamais l’écouter. Je n’ai plus besoin de pancarte ou d’assemblée générale. Je n’ai plus besoin d’élection ou de représentant. J’ai juste ma cagoule et mon marteau. »

Le message est dès lors très simple. La haine nous habite tous, enfant du capital, enfant du fric, enfant des twingos et des pokémons, et elle est inarrêtable. Parfois, j’ai l’impression que nombre de gens n’arrivent pas à se rendre compte que leur mode de vie n’est pas éternel. Pourtant, nous sommes de plus en plus nombreux à serrer les poings devant leurs publicités géantes animées, devant leurs slogans et leurs musiques, devant l’étalage de leurs puissances dans les vitrines immenses des banques, des fast food, des sociétés d’assurances. Face à l’asservissement de tous nos semblables, qui errent le nez collés à leurs futiles portables comme tant d’insectes écrasés par leur sort, notre seule réaction est l’action directe. Nous sommes assez orgueilleux pour savoir que ce système qui empli tous les secteurs de nos vies est détestable. Notre réponse est naïve, futile, puissante et magnifique. Nous mettons des cagoules et attaquons les symboles. Car notre lutte nous semble juste.

L. s’est fait arrêter. Tout avait pourtant bien commencé. À cette manif’, le cortège de tête n’avait jamais été aussi grand, jamais aussi puissant. Des flics qui reculent, effrayés, c’est rare. Des flics qui pètent un plomb face à notre volonté et notre organisation, c’est beau. Et là, c’était un déchainement qui s’était abattu sur ces cons. Une pluie torrentielle de pavé répondait à leurs lacrymos tirées sur nous sans limite. La nouveauté ? Une myriade de feux d’artifices, ramenés par des étrangers aux accents bizarres, aux mouvements doux et aux regards tristes. Nous étions les sauvages, les fous, ceux qui courent dans tous les sens, crient « hourra », « ahou » à chaque pétard. Cela se voyait, ils appréciaient notre ferveur.

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