[JAD à Aubervilliers] Récit d’une semaine de destruction

Petit retour subjectif, et à plusieurs voix, sur l’expulsion et la destruction des Jardins à Défendre (JAD) à Aubervilliers.

Mardi 31 août, on se motive avec des copaines pour aller filer la main sur les JAD. On ne pensait pas que ce serait la dernière fois.

On a prévu de construire des toilettes sèches supplémentaires puis de préparer le repas pour les personnes qui vont y dormir ce soir. Sur place des copaines ont déjà commencé à rassembler le matériel pour la construction, à dessiner les plans, etc. On se joint à elleux, et on commence à installer, couper du bois, manger quelques framboises fraîchement cueillies en passant.

L’heure tourne, et on n’avance pas bien vite. Tant pis, on finira la prochaine fois, on a aussi un repas à préparer. On a prévu un maffé, avec les légumes de récup ou la production des jardins. Après la scie, les couteaux, et on lance un atelier découpage des légumes avec toutes les bonnes volontés qui veulent filer un coup de main. Les enfants s’amusent, cueillent des fruits, grimpent sur le mur de paille.

Bref, on est bien, on imagine plein de trucs, on discute avec les camarades des projets en cours, on s’imagine être encore là dans les prochaines semaines, les prochains mois. D’autant qu’un dossier en référé suspension a été déposé et qu’il pourrait permettre d’arrêter les travaux le temps qu’une décision juridique soit prise. Le maffé est prêt, la tablée de 25 personnes s’installe. C’est beaucoup et peu à la fois. On sait bien que si l’expulsion a lieu le lendemain, on n’est pas assez nombreuseux. Et pourtant, l’énergie que tout ce beau monde dégage fait du bien. On se régale du repas, un jeune de la cité voisine des Courtillières, fait semblant de s’offusquer du repas alors qu’il a contribué à sa confection : « Mais c’est pas du maffé ça ! », « Mais c’est bon quand même ? », « Ouais c’est grave bon ! » qu’il répond.

Il est genre 22h, c’est l’heure du point d’orga du soir. Malgré toutes les énergies, on redescend sur terre, on sait que le risque d’expulsion est de plus en plus important. Il y aura finalement une vingtaine de personnes à dormir sur place.

Jeudi 2 septembre, l’expulsion a lieu à 7h30.

Les raclures ont profité du premier jour d’école, que les parents et les profs investis sur la lutte aient des impératifs ce matin pour attaquer !
En quelques heures, toutes les cabanes sont détruites, ce qu’on a mis des mois à construire est réduit en poussière. Certains arbres commencent déjà à être arrachés alors que les personnes expulsées n’ont même pas encore eu la possibilité de récupérer leurs affaires personnelles. Il faut croire qu’il y avait vraiment urgence !

Au comico, on est une trentaine en soutien aux camarades arrêté·es. Une GAV et 6 vérifs d’identités.
Au fur et à mesure, tout le monde sort sauf la personne en GAV. Les camarades qui étaient sur place ont besoin de se reposer, on les accompagne dans un lieu ami pour qu’iels puissent se poser et manger. On se pose, et la personne en GAV nous rejoint au bout d’une heure ! On ne s’y attendait pas, iel a des blessures au visage et une côte cassée ! Iel passera au tribunal dans plusieurs mois. Des camarades organisent une récup en dernière minute pour faire la bouffe.

En parallèle, on prépare le rassemblement du soir. On rassemble les banderoles, les drapeaux. À 18h, il y a déjà une centaine de personnes devant la mairie d’Aubervilliers, les prises de paroles s’organisent. Certaines par des camarades qui racontent, d’autres par des élus aux dents qui rayent le parquet, ou des personnes qui aiment s’écouter parler. Le rassemblement s’épaissit au fur et à mesure. Aussitôt que les arrivistes terminent leur petit manège, on commence le nôtre au cri de « JAD, Blocage, Manif Sauvage » et on se lance à l’assaut des rues pour rejoindre le Fort d’Aubervilliers. Il était temps !

On traverse les quartiers les plus résidentiels. Sur le trajet, les habitant·es nous regardent, nous saluent, le sourire aux lèvres. Sur les plus gros axes, les bagnoles et les bus nous lancent des klaxons de soutien. On verra même un·e conducteurice de bus un drapeau à la main ! On est nombreuseux, on forme un beau cortège, ça donne la niaque ! Ça n’en finit pas de balancer des slogans dans tous les sens, repris en choeur aussi bien par les manifestant·es que, parfois, par les passant·es que nous croisons : « Siamo tutti JADisti », « Jardins Partout, Béton nulle part », « Le Grand Paris c’est tout pourri, GPA (Grand Paris Aménagement) on n’en veut pas ».

Devant les jardins, les flics ne sont pas bien nombreux, étonnement. On est au contact, eux coincés au niveau de l’entrée des jardins, nous les encerclant de nos banderoles. On s’arrange pour leur bloquer la vue le temps que certain·es d’entre nous ouvrent un espace dans le grillage à proximité.

Une quarantaine d’entre nous réussit à entrer dans la partie encore préservée des jardins pour rejoindre Colibri, militante des JAD, qui s’est installée avec son fauteuil roulant sur ce qui fut le pont levis à l’entrée de la zone maintenant en chantier. Elle refuse d’en bouger depuis le début de l’après-midi. Une petite équipe est avec elle depuis ce matin pour la soutenir, et nous voir arriver les soulagent.

L’idée est lancée d’aller s’installer sur la parcelle du bureau de l’association des Jardins des Vertus, histoire de rappeler à son président Philippe Fretté, actif collaborateur de Riposte Laïque et consciencieux artisan de la destruction des jardins, qu’on a bien l’intention de se rappeler régulièrement à son bon souvenir. Le temps de commencer à investir la parcelle, les bacqeux sont déjà là ! On ne sait pas trop quel groupe fait courir l’autre, mais on cavale jusqu’à la partie des jardins côté Pantin, une longue allée qui distribue une dizaine de petites allées qui retournent sur l’avenue où est restée le gros de la manif. Au fur et à mesure, des petits groupes se forment naturellement pour prendre chacun une allée différente. Chaque groupe se retrouve avec 2-3 bacqueux sur les talons, ils ne pourront rien faire d’autre qu’attendre notre sortie. On se retrouve dans des situations complètement ubuesques où en escaladant les grilles à pointes, ils semblaient avoir plus peur qu’on se blesse que nous. Aucune interpellation cette fois-ci. On rejoint tous·tes la manif devant l’entrée, on se compte, on n’a perdu personne. On apprendra aussi que quelques personnes ont pu rester auprès de Colibri pour appuyer l’équipe qui était déjà sur place.

Au bout d’un petit moment, les flics finissent par décider de la fin de la manif, après leurs inhabituelles sommations, pour une fois clairement audibles de toustes. Alors que les bleus commencent à repousser les manifestant·es, un groupe de 20-30 personnes s’assoit en bloc compact au milieu de la chaussée pour empêcher leur avancée. Iels ne sont pas assez nombreuseux, et les condés continuent à repousser le reste de la manif. On se fait raccompagner au niveau de l’entrée du métro, dans une sorte de nasse qui n’en est pas une... On n’aura pas le choix, même les personnes à vélo finiront par passer par les souterrains. Quelques personnes resteront finalement sur place pour continuer à faire chier les keufs le plus longtemps possible en faisant du Qi Qong ou du Yoga dans la nasse.

Vendredi 3 septembre, on est là en soutien à Colibri, toujours sur son pont levis, à faire chier, par sa présence, flics, vigiles et chefaillons de chantier. En arrivant, il y a des contrôles d’identité dans la rue, du bon délit de faciès façon « ultra-gauche ». Pas grave, on les contourne ! Nous nous relayons toute la journée, pour ravitailler, prendre le relais des personnes fatiguées. On regarde impuisant·e ces foutues pelleteuses arracher les clotûres, les restes de nos barricades, les buissons et les arbres, à quelques mètres de nous et de Colibri. Elle ne se démonte pas. Patiemment, elle écrit un texte. Elle est incroyable de ténacité. Sans elle, aucun·e d’entre nous ne serait là aujourd’hui, on n’aurait même pas imaginé pouvoir se réinstaller. Pourtant on a le soutien de plusieurs jardinier·es, on pourrait imaginer plein de façons de continuer la lutte... mais sa façon nous va bien, on est au plus près du chantier, il n’y a rien qui aurait pu plus les emmerder ! Les flics et les vigiles se retrouvent obligés de composer avec cette présence bien gênante. La sous-préfète tentera vainement de lui demander de bouger, du haut de son validisme bourgeois, elle nous demandera même de l’aide pour communiquer avec elle. Les keufs tentent aussi quelques incursions dans l’allée, peut-être pour essayer de nous faire peur.

S’ensuivent des jours à jouer au chat et à la souris pour essayer d’entrer dans les jardins, se relayer auprès de Colibri et à échafauder les actions suivantes. Des jours à subir de nouvelles GAV, de nouvelles violences policières et administratives, de nouvelles journées passées devant les comicos et les tribunaux. Des jours à voir cet espace de lutte écologique, queer et anti-autoritaire être consciencieusement détruit et clôturé jusqu’à ce qu’il ne reste aucune trace visible de nos résistances de cinq mois.

Le 30 septembre c’est la réponse du référé en suspension contre le permis de construire qui a été déposé. D’ici là, on continuera à mettre la pression, on est là et on lâche pas. Prochain RDV : samedi 18 à 10h en manif au départ de la mairie d’Aubervilliers !

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