Comme quoi avoir des profs vomitifs, ça fait réfléchir
Cette brochure, je l’ai écrite après avoir contenu mon envie de balancer ma chaise sur mon prof de sociologie du conflit. Après m’être fait mansplainé pendant 15 minutes, à la suite d’un oral que j’avais viandé à cause d’un cadre ultra anxieux, j’ai réussi à transformer ma brutale montée de violence en trois décompositions successives : l’envie du scalpel ; la circonspection ; le regard froid.
Pour situer le nuage de seum qui flottait au-dessus de ma tête ce jour-là, j’avais en tête plusieurs choses. Premièrement, l’animal avait dit – avec ce fameux regard qu’ont beaucoup d’hommes universitaires lorsqu’ils ont ce besoin pressant de marquer leur territoire, épistémologiquement parlant – que ça le faisait doucement rigoler que les féministes disent avoir inventé l’idée d’intersectionnalité alors que Max Weber à travers son concept d’idéal-type en avait tiré les racines conceptuelles. Ça m’a fait l’effet d’une main au cul dans le métro, ou d’un rire gras.
Deuxièmement, le sujet que je devais traiter, c’était celui de la pensée de Gramsci, attelé à ce qu’on appelle de façon très généralisante en sociologie, les luttes subalternes. Tout ça en 15 minutes. Le problème, c’est que ce genre d’évaluation oral, c’est une sorte de piège. Un piège que tendent les profs qui considèrent qu’après 15h de cours à écouter les vieilles merdes conservatrices depuis 5 années dans cette discipline, on est parfaitement capable d’étaler un sujet en fonction du cours qui se veut universalisant.
Comment dire qu’après avoir traité des personnes comme Durkheim, Weber, Simmel, Mauss, Clastres, Wall (pour faire une comparaison entre primates et personnes humaines en conflit, charmant n’est-ce pas), Elias, Marx, Gramsci, Thompson, Machiavel, l’école de Francfort (je ne comprends pas comment on peut encore donner du crédit à cette daube), Boudon, Collins, Touraine, etc., on se pose des questions sur la qualité et la pertinence même du cours. Autant dire que rattacher mon sujet de mémoire, à savoir l’autodétermination des luttes trans, avec sa vision bourgeoise et académique du conflit, c’était comme demander à un cheval d’apprendre la langue des signes. Évidemment que le prof m’a mis 12, il a rien capté. On l’a perdu quand j’ai commencé à parler d’ethnocentrisme et d’androcentrisme épistémique.
On pense que la sociologie s’est débarrassée de ses vieux démons, à savoir la reproduction des savoirs et la non-place pour les savoirs invisibilisés. Il n’en est rien (en tout cas à l’Université). On donne une image plutôt ouverte de la discipline, mais ce n’est que du vent. La plupart du temps, on essaye de donner une base commune très traditionnelle de la discipline à la masse étudiante, afin de pouvoir d’ici 3 à 5 ans parler le même langage. C’est déjà une forme de sélection inégalitaire puisque tout le monde n’a pas la même sensibilité avec les choix épistémologiques abordés durant les cursus.
Le plus pervers dans l’histoire, c’est que lorsqu’on arrive à la fac, nos premiers cours sonnent comme une illumination. Après le BAC, ou la prépa si l’on fait des choix sombres, on se retrouve à étudier dans un cadre bien plus détaché, ouvert à la discussion et surtout à la remise en question. On passe d’un cadre ultra oppressant et envahissant, à un monde où tout devient possible. On peut aller où on veut. On peut se balader à la bibliothèque universitaire et s’y perdre. On est encouragé à suivre son flair pour alimenter nos connaissances et nous diriger plus tard vers notre future spécialisation de recherche. Franchement, de façade, au tout début, la fac c’est ultra sexy. Surtout que les universitaires font littéralement passer leurs cours pour un spectacle de divertissement (autant écouter TMC, on aura de la musique en rab)
Seulement, il y a un problème. On vit dans un monde d’inégalités, rongé par les oppressions, les exploitations et la violence sous ses différentes facettes. Cette réalité-là de ce monde, on finirait presque par l’oublier à l’intérieur des murs du campus. Ce paradoxe au sein même de la sociologie, ironiquement, fait que l’on a à faire à des corps enseignant-es limités par cette forte tradition de reproduction des savoirs. Pourquoi ? Parce que cette richesse culturelle, cette liberté d’écriture, cette PASSION qu’on affiche à découvrir le savoir de l’Autre … Tout cela fait qu’on en arrive à considérer la recherche comme un foutu épanouissement personnel. Je trouve ça tellement dangereux… Et tellement insupportable si on considère le fait que des jeunes qui souhaitent étudier des sujets de thèse en lien organique (donc relié directement, organiquement) à des luttes, sont dans l’incapacité de le faire en PRIORITÉ face à des petit-es prétencieux-ses sorti-es de Science Po ou de je ne sais quelle formation épistémologuement neutre et non radicale.
La construction d’une couche universitaire anti-révolutionnaire
Les laboratoires de recherche que j’ai fréquentés de près ou de loin durant ma licence et mon master cherchaient tous un même type de profil : des gens pas trop radicaux, avec un bon parler, ainsi qu’une capacité à adopter un jeu de rôle en accord avec des codes paternalistes. C’en est si grotesque que des gens qui avaient deux à trois ans de plus que moi, que je croisais en manif ou dans des espaces militants sur le campus, me regardaient avec ce sourire si complaisant et satisfait, une fois la différence statutaire établie.
Grand bien leur fasse si iels ont besoin de ce sentiment de supériorité sur leurs pairs. N’empêche que ça donne des doctorant-es qui vont faire des sujets conformes à ce qu’on attend d’elleux : une reproduction épistémiques allant toujours plus dans un délire de sur-spécialisation d’auteurices, sans démarcation ou rupture brutale avec d’autres schémas de pensée, peut-être plus en lien avec la réalité hétérogène de la totalité sociale (pour parler comme les vieux marxistes à lunettes moches qui froncent des sourcils).
En même temps, je ne peux pas m’attendre à autre chose de la part de ces nouvellaux chercheur-se-s. On a qu’à admirer un échantillon représentatif des profs qui ont gravité autour de ma formation (mesdames, accrochez-vous) :
- Un gars cis qui anime des séminaires féministes (répugnant) et qui a travaillé sur la philosophie du pleur (j’ai cru, en me rendant à son bureau que j’allais tomber sur des sponsors de kleenex). J’ai vraiment failli me pisser dessus en licence tellement j’avais rigolé la première fois qu’il nous en a parlé : « alors voilà, j’ai toujours un carnet sur moi, et dès que je pleure, je note ce que je ressens pour ensuite écrire un livre sur toutes ces expériences ». Mon dieu mais quel fragile.
- Un gars de droite (c’est déjà trop).
- Un gars qui a écrit sur « l’anthropologie des portes »… L’anthropologie… DES PORTES !
- Une prof directrice d’un laboratoire de genre qui s’amuse à régurgiter sa transphobie, son mépris du mariage pour toustes (alors que la meuf est mariée avec un mec… ?), qui pense qu’il n’existe pas de classe des femmes, et que la théorie queer est une idéologie libérale… Je rappelle quand même qu’en sociologie, parmi la masse étudiante, il y a beaucoup… BEAUCOUP… De personnes affiliées aux communautés LGBT+. Bon…
Je pense que vous avez capté.
Avec tous ces modèles de références qui font argument d’autorité, aujourd’hui, pour valider ou non le discours des prétendant-es aux futurs postes en sociologie, tu m’étonnes que certaines personnes passent au détriment d’autres.
Le plus grave, c’est que cette liberté totale, sans lien exigé avec la pratique militante, permet justement d’encourager ce genre de recherche/profil. On peut, si on a été titularisé, se servir de l’argent public (parce que l’Université est un SERVICE PUBLIC), pour faire… Je ne sais pas… Sociologie du caca ? Je vous jure que ça peut passer… De toute façon c’est elleux qui décident une fois qu’iels ont le pouvoir de gérer le financement qu’on leur a octroyé.
Au-delà de cette possibilité fantaisiste, cela permet d’encourager les étudiant-es en master recherche de sociologie de traiter de sujets totalement perchés… On a tout un tas de personnes qui produisent des documents très étranges, incompréhensibles, que personne ne va lire. À la limite leurs parents, mais vraiment parce qu’iels les aiment. Je ne veux pas me montrer méchante envers mes camarades, parce que ce n’est pas de leur faute. C’est la faute d’un système académique qui pensent que le master recherche se résume à un apprentissage, à un exercice, en solitaire, et que ça peut ne pas/ne doit pas aller au-delà.
Personnellement, je produis un travail en lien avec une lutte bien précise : l’autodétermination des femmes trans. Je ne vais pas détailler parce que ce n’est pas le sujet, mais c’est bien pour une raison. À mes yeux, la recherche en sociologie des trans studies, ça peut sauver des vies quand on travaille avec et pour des collectifs. Genre vraiment ! Étudier les différentes prises d’hormones, les conservations des gamètes, les protocoles médicaux dans leur plus ou moins formalité, la relation entre le monde psy et nous, la solidarité et les stratégies de lutte au sein de la communauté, les imbrications théoriques intersectionnelles, pensées dans le cadre militant pratique, comment le travail du sexe nous impacte spécifiquement, comment imaginer un système hospitalier communiste (parce que oui c’est bien de ça dont nous avons besoin) qui mêle sciences humaines et sociales avec la médecine dans ses pluridisciplinarités... Bref, des choses concrètes et inscrites dans le présent. À partir de cet exemple, mais aussi bien d’autres, la science devient un outil utile et nécessaire car relié à la pratique. On sort de ce pseudo militantisme dans la recherche qui esthétise sa lutte avec de belles ritournelles, louant une autonomie/autogestion trop woke et supérieure.
Les personnes qui travaillent sur l’islamophobie, c’est utile. Les personnes qui travaillent sur les féminicides, c’est utile. Les personnes qui travaillent sur les divisions racistes au sein du mouvement LGBT+, ou les différents racismes, c’est utile. Les personnes qui travaillent sur les stratégies révolutionnaires et de prise de pouvoir, c’est utile. Etc.
Les personnes qui travaillent sur un concept foucaldien (ENCORE) au diapason d’un objet d’étude (ENCORE), non merci. Les personnes qui travaillent sur la pensée d’Adorno (ENCORE) pour faire la promotion d’un schéma de pensée permettant la compréhension totale des dominations à travers des objets philosophiques abstraits, pitié... Les personnes qui travaillent sur l’art contemporain en lien avec des théories intersectionnelles, vous allez aider qui à part des bourgeois-es ? Est-ce que votre but, aux personnes qui font ça, et bien d’autres choses sans grand intérêt, c’est de devenir la caution d’ouverture d’esprit de la bourgeoisie ? Vous pouvez me reprocher de ne pas être ouverte d’esprit ou réactionnaire, mais personnellement je n’ai pas le temps d’être corrompue par le libéralisme universitaire.
Je ne cherche absolument pas à faire la promotion d’une politique de contrôle autoritaire sur ce qui est permis de faire ou de ne pas faire dans le cadre d’une recherche scientifique. Ça a été le cas du PCF, et ça a coûté cher à la relation théorie-pratique, comme l’a montré Perry Anderson à travers son analyse du marxisme occidental : « sa première caractéristique, et la plus fondamentale, fut le divorce structurel de ce marxisme par rapport à la pratique. […] cette rupture entre théorie et pratique ne fut ni immédiate ni spontanée. Elle fut amenée lentement et progressivement par des pressions historiques massives, qui ne firent qu’achever la rupture définitive des liens entre la théorie et la pratique durant les années 1930. » (ANDERSON, Perry, Sur le marxisme occidental, 1977, Maspero, p. 46)
Plus loin, il poursuit pour introduire le concept de « sublimation de la défaite », très présent dans les luttes actuelles : « C’est ainsi que de 1924 à 1968, le marxisme ne s’est pas « arrêté » comme le prétendit Sartre, mais il avança sur un chemin indéfiniment détourné de toute pratique révolutionnaire. Le divorce entre les deux fut déterminé par l’ensemble de la période historique. À son niveau le plus profond, le destin du marxisme en Europe était enraciné dans l’absence de tout grand soulèvement révolutionnaire après 1920, sauf dans la périphérie culturelle, en Espagne, en Yougoslavie et en Grèce. C’était aussi et de façon inséparable, un résultat de la stalinisation des partis communistes, héritiers formels de la révolution d’Octobre, qui rendait impossible un réel travail de théorie politique poursuivi même en l’absence de tout soulèvement révolutionnaire - soulèvement que la stalinisation contribua à son tour à éviter. La marque cachée du marxisme occidental dans son ensemble est qu’il est un produit de la défaite. Le fait que la révolution socialiste ne se soit pas étendue hors de Russie sert de toile de fond commune à toute la tradition théorique de cette période. Ses principaux travaux ont été, sans exception, produit dans des situations d’isolement et de désespoir politique. » (Ibid. p. 63)
Rosa Luxembourg, Lénine, Gramsci, Trotski, et j’en passe, ont été des figures intellectuelles marxistes qui incarnaient l’unité politique entre la théorie et la pratique ; unité incompatible avec un poste universitaire quel qu’il soit. Contrairement aux universitaires qui aujourd’hui persistent dans une forme de philosophie professionnalisante, et dans la sur-spécialisation de textes théoriques dont personne n’a plus rien à faire, le but était pour les ancien-ne-s marxistes et anarchistes de chercher les solutions pour un soulèvement des masses, et non pas de se complaire dont la validation des pairs pour sa propre satisfaction personnelle petite bourgeoise.
Perry Anderson montre bien qu’il y a eu un contexte beaucoup trop hostile pour maintenir aussi aisément qu’auparavant ce lien entre théorie et pratique. Cependant, il serait trop facile d’admettre comme valable les excuses de personnes qui n’ont pas cherché à trouver des solutions pour sauver la potentialité révolutionnaire du rôle de « l’intellectuel organique » au sens gramscien du terme. On peut finir cet état des lieux historiques, qui a amené les intellectuels de gauche à se réfugier lâchement dans les universités en rompant avec les classes travailleuses et subalternes, en citant une dernière fois Anderson : « Ce schéma entraîna 3 résultats. Premièrement, il y a eu une prédominance marquée du travail épistémologique, centré essentiellement sur les problèmes de méthode. Deuxièmement, le principal champ d’application de cette méthode fut l’esthétique — ou les superstructures culturelles dans un sens plus large. Enfin, les principales innovations théoriques en dehors de ce terrain, qui développèrent des thèmes nouveaux, absent du marxisme classique — la plupart du temps de façon spéculative — révèlent un pessimisme constant. La méthode par l’impuissance, l’art comme consolation, le pessimisme comme apaisement : il n’est pas difficile de percevoir tous ces éléments dans la tonalité du marxisme occidental. Car ce qui détermina principalement cette tradition fut sa formation par la défaite. » (Ibid. p. 130)
On pourrait en rajouter des caisses en parlant des échecs successifs de toutes les mobilisations face aux réformes universitaires, mais ce serait vite épuisant face à tant d’incompétence militante. Aujourd’hui, je perçois une bonne partie (pas toustes) de nos universitaires comme des valets de la bourgeoisie, malgré elleux. C’est par leur manque de radicalité révolutionnaire et par la promotion d’un cadre neutre face à une institution qui reproduit des violences systémiques que l’on perçoit le gouffre qui les sépare de la réalité sociale.
Je vais dans la partie suivante montrer comment et pourquoi l’université est incapable de produire ce qu’on pourrait appeler une réification de la totalité sociale, à savoir la possibilité que toutes les catégories sociales subalternes puissent trouver entre ses murs un espace où produire des alliances entre elles afin de préparer des révolutions sociales et économiques. Cela me permettra par la suite de montrer la nécessité, à cause du monopole de production et de diffusion des savoirs que détient l’université, d’investir l’espace académique à travers des collectifs et des événements militants radicaux, pour permettre une représentation impossible au sein des laboratoires. Je dirais même, concurrencer et stopper la trop forte importance qu’on accorde à des gens qui n’ont aucunement la légitimité de détenir ces monopoles, par leur manque de complicité sincère avec les luttes sociales. Si des universitaires sortent des choses comme "ce n’est pas le rôle de l’Université", vous pouvez très bien leur répondre avec une même insolence : "alors à quoi servez-vous ?"
Réintroduire le corps pour se réapproprier l’espace académique
Je ne sais pas si c’est une solution de revendiquer l’expropriation des moyens de production et diffusion des savoirs, afin d’installer des personnes plus compétentes à répondre aux urgences sociologiques. Déjà, parce que l’image qui entoure le statut de chercheur-se fait qu’on cultive avec plus de passion leur discours, au détriment de personnes qui n’ont pas réussi à passer les mailles de la sélection. Et en plus de ça, on mettrait qui à la place en priorité ? Non. Je pense qu’il faut commencer à reprendre socialement une désacralisation du poste d’universitaire.
Cependant, il est quelque chose que l’on peut réutiliser à notre avantage : la fréquentation active du campus et des espaces académiques par différents corps très différents qui portent en eux des marqueurs sociaux. C’est quelque chose que l’on retrouve très peu en dehors des cadres scolaires, et qui mérite d’être investi par nos luttes. J’ai sûrement une déformation militante sur cette question puisque j’étais fondamentalement en désaccord avec mes camarades trotskystes qui pensaient qu’il fallait amener cette masse étudiante vers les travailleur-se-s et dans les espaces de manifestation généraux. Pourquoi pas, mais ce n’est pas comme ça qu’on cultive les raisons pour lesquelles on se radicalise. Je ne vois pas mieux qu’Antonio Gramsci pour donner les pistes stratégiques d’une alliance entre les subalternes.
Pour Gramsci (si on intersectionnalise sa pensée), l’enjeu de la révolution est d’inscrire socialement une culture insurrectionnelle, propagée par le parti communiste. C’est pour ça qu’il emploie le terme d’hégémonie, car c’est le communisme (et l’esprit révolutionnaire) qui doit devenir l’hégémonie culturelle de la société italienne, et de toutes les sociétés. Au sens gramscien du terme, l’hégémonie est une notion assez complexe qui n’a pas une définition précise. Dans ses cahiers de prison, Gramsci donne des versions différentes de sa définition de l’hégémonie pour caractériser divers épisodes politiques que rencontrent les partis italiens et les coopératives qui gravitent autour. Cependant la définition suivante de l’hégémonie me convient personnellement dans le cadre de cet article : « L’hégémonie se forge dans le contexte de la société civile, où le parti politique et ses intellectuels organiques (les « persuadeurs permanents ») tentent de rallier à leur cause des groupes sociaux disparates. ». (George Hoare et Nathan Sperber, Introduction à Antonio Gramsci, La découverte, 2013 (réédition 2019), p.97). Cette définition répond à ce qu’on a vu, à savoir que Gramsci a réfléchi à comment créer les conditions d’une convergence des luttes pour faire face à une trop forte division sociale entre les différents groupes subalternes. Ce qui fait l’originalité de Gramsci vis-à-vis de ses prédécesseur-e-s, c’est qu’il refuse de penser que la vie culturelle n’est rien d’autre que le reflet mécanique des forces économiques. À ses yeux, c’est un raisonnement simpliste et faux. On peut citer Georges Hoare et Nathan Sperber qui ont résumé sa pensée dans l’excellent petit ouvrage Introduction à Antonio Gramsci : « Insister sur le rôle capital de ce travail d’organisation conduit par les intellectuels organiques, est une façon pour Gramsci de rejeter l’interprétation mécaniste et déterministe de l’histoire qui constituent à ses yeux le marxisme « vulgaire ». Chez lui, la classe révolutionnaire n’apparaît pas comme un produit nécessaire du capitalisme, puisqu’elle doit être activement construite en tant qu’acteur collectif dans le cadre du Parti communiste. Cette conception s’éloigne ainsi de certaines formulations du jeune Marx, chez qui le prolétariat était par définition la classe universelle, négation exacte de la société bourgeoise (la révolution devenant alors, dans une tournure hégélienne, « négation de la négation »). Au contraire, chez Gramsci, l’universalité de la révolution prolétarienne se pose comme projet politique concret, produits pratiques et du travail du parti [Ramuz, 2018] . » (Ibid. 63). Il était surtout conscient qu’au sein de la masse travailleuse, il y avait des intérêts particuliers, portés parce qu’on peut appeler aujourd’hui « catégorie subalterne », qui constituent la réalité technique de la masse sociale qu’il faut considérer afin de pouvoir créer une alliance entre toutes les catégories subalternes.
Kevin Floyd, dans La Réification du désir, pour un marxisme queer, en fait une suite logique. Pour lui, afin que l’immanence du capital corresponde dans toute la société dans les échanges marchands, il a fallu gommer toutes les contradictions sociales qui étaient à l’œuvre dans la société. Pour lui, montrer que le capital a joué un rôle dans l’hétéronormativité de la société, c’est permettre la réunification du désir révolutionnaire, qui puisse toucher tous les groupes subalternes qui ont été victimes de ces oppressions. Idem pour le remarquable ouvrage de la camarade Federici, Caliban et la Sorcière. Ainsi, on sort des schémas post structuralistes qui ont essayé de créer des schémas permettant une totalité sociale avec un discours inintelligible et impossible à réutiliser.
Ce qui fait l’originalité de Gramsci, c’est qu’il fait l’effort de savoir comment dans une masse aussi prise dans ses questionnements identitaires, on peut créer une cohésion révolutionnaire. Il ne cherche pas à banaliser les différences qui nous traversent. Au contraire.
Les problématiques décoloniales et queer que nous rencontrons ne sont pas nouvelles. Elles sont soulevées, enfin, mais sont freinées par le mécanisme même du fonctionnement de la sociologie qui bégaye face à une contestation méthodo[logique]. La sociologie traditionnelle joue le jeu de l’hégémonie bourgeoise. Comment faire pour poursuivre l’héritage de cette pensée ? C’est clairement une question qui n’intéressait pas le prof qui m’a donné envie de le désinvestir de ses fluides corporels. Je vais essayer de donner quelques pistes que les futur-e-s étudiant-e-s en sociologie pourront réutiliser pour s’armer face aux futurs corpus disciplinaires.
Reproduction des savoirs : une démarche anti-scientifique, idéale dans le maintien de l’ordre du monde
Premièrement, on peut partir d’un constat général que dresse Geoffroy de Lagasnerie dans Logique de la création. Celui-ci affirme que tout n’est pas possible à l’université, entre autre, pour des raisons de reproduction sociale. Présenter une vision de l’université comme institution critique, unique et libre, ce n’est que montrer "sa partie la plus noble". En effet, derrière le mot d’ordre d’autonomie de la recherche, l’existence d’un corps disciplinaire trop coercitif qui cherche à imposer et certifier des compétences reconnues dans toute une discipline empêche finalement tout esprit d’innovation et d’invention. « Un « professionnel » se distinguera d’un « profane » (gênant) par sa parfaite maîtrise des cadres de la recherche académique, par le fait qu’il sera spontanément ajusté aux attentes du champ et que ces recherches s’inscriront naturellement à l’intérieur du paradigme. » (Lagasnerie, Geoffroy, Logique de la création, Fayard, 2011, p. 31)
À cause de ce trop fort monopole de légitimité qu’entretiennent les instances disciplinaires, s’installe la dégoûtante idée d’une supériorité naturelles de la production académique, puisque scientifique, et disqualifie d’office d’autres formes de production provenant de communautés marginalisées. L’autonomisation de la recherche fait qu’on est évalué sur une échelle très locale entre pairs et que c’est l’une des conséquences de la spécialisation puisque l’on finit par s’adresser uniquement à un petit groupe de chercheur-se-s, et qu’on ne ressent plus le besoin de rendre des comptes au public, alors que l’université est sensée être un service public. Lagasnerie a raison lorsqu’il dit, par rapport aux étudiant-es, que cette réalité dans la production, ou plutôt la reproduction des savoirs, bouleverse l’image merveilleuse d’une université libre aux potentiels émancipateurs : « Le monde académique leur apparaît comme terne, triste, inerte fermé sur lui-même et empêtré dans sa routine. » ( Ibid. p. 202)
On peut d’ailleurs citer l’intervention de Fatima Khemilat dans une intervention sur la question de « l’islamogauchisme », qui m’a sincèrement touchée. Elle illustre ce qui se joue à l’Université, concernant l’évolution de l’Université. Nos chercheureuses sont malgré elleux plus occupé-es à produire des documents prouvant la nécessité d’avoir un financement plutôt que d’avoir le luxe de pouvoir faire de la recherche et s’interroger sur les problématiques qui traversent le public étudiant, faute de financements publics constants :
« Je pense qu’il est important de mettre les individu-es face à leurs responsabilités individuelles. Et que tenir des propos qui jette le discrédit sur une partie de la communauté universitaire, quand on est ministre de l’Enseignement supérieur, c’est pas un acte anodin. Suspecter comme ça de partialité, d’entrisme, d’activisme caché, une partie de la communauté universitaire qui est comme je l’ai dit tout à l’heure ultra minorisée, c’est-à-dire comme je l’ai dit, c’est une forteresse le champ académique : à la fois en matière de diversité des personnes qui y travaillent, mais aussi en matière de champ disciplinaire. Là c’est attaquer des champs disciplinaires qui sont beaucoup plus importants aux États-Unis, et le faire en France. Je vais vous donner un tout petit exemple, j’ai eu la chance d’être invitée à l’Université de Berkeley aux États-Unis, et j’ai appris que le centre dans lequel j’avais été invité, center of gender, avait été constitué au moment où il y avait eu la menace de fermer en fait les ethnic studies, donc en fait les études ethniques, un département, par l’Université. Pourtant on est en Californie, on peut imaginer qu’ils sont extrêmement ouverts, mais il y a une menace de fermeture, il y a une mobilisation étudiante, une grève de la faim, et une occupation du campus par les étudiantes en disant : « non seulement vous allez nous laisser notre département, mais on plus de ça vous allez nous créer un autre centre ». Et il y a eu énormément d’arrestations, il y a eu aussi énormément de passages à tabac, de violences policières à ce moment-là. Donc pour moi, c’est aussi très important de comprendre que ces débats, ils ne se font pas uniquement… Parce que les étudiants, les étudiantes, c’est un peu les oublié-es de notre débat. C’est comme s’il y avait à la fois les universitaire, et à la fois, leur pseudo hiérarchie, alors que je rappelle que les universitaires, les universités sont autonomes. Il y a aussi une vraie demande des étudiants, des étudiant-es françaises. Bon déjà, vous en avez parlé avec Nouvelle voix de manger. Il y a une vraie demande de manger. Il y a une vraie demande de pouvoir accéder à des cours de qualité et non pas être des amphithéâtres où on a très très froid et où on a pas du tout de matériel, mais il y a aussi une demande de déconstruire des questions sociales qui touchent directement certains de nos étudiants et certaines de nos étudiantes. La question raciale, c’est une chose qui concerne directement nos étudiants. La question du sexisme, ça concerne directement nos étudiants. Les questions écologiques ça concerne directement nos étudiants. L’islamophobie ça concerne également une partie de nos étudiants. Donc qu’est-ce qu’on leur dit ? Et ils ont le droit en tant que citoyens et en tant qu’étudiants de demander à ce qu’il puisse y avoir une compétence qui leur soit transmis par des enseignants et des enseignantes, qu’ils ne soient pas suspectés pas leur tutelle de ne pas savoir de quoi ils parlent. Je pense personnellement qu’il ne faut pas personnifier les débats. Je pense en même temps qu’il faut responsabiliser, et qu’à défaut de solutions, de demander le minimum du strict minimum, des insultes, [reprise], (lapsus intéressant), des excuses en bonnes et dues formes. » (https://www.facebook.com/watch/live/?v=544217736470888)
Une fois qu’on a établi ce constat, on peut montrer comment déjouer ces formes de reproduction en imposant une contre hégémonie culturelle face à cette hégémonie conservatrice.
Si la science est à penser comme un service public, cela veut dire qu’elle concerne l’ensemble du territoire. Or, si la majorité des moyens de production des savoirs scientifiques est détenue par une classe hégémonique (car dominante), il y aura forcément des lacunes face à des sujets plus sensibles que d’autres qui ne concernent pas ces personnes (comme le racisme, l’homophobie, la biphobie, le sexisme, le validisme, la transphobie, l’islamophobie, etc.). Qui plus est, rendre un rapport sur une situation sociale qu’on ne vit pas est quelque peu déroutant, surtout s’il s’agit de rapports de dominations où l’on se place dans la même catégorie sociale que celle des dominant-es dans notre champ d’étude. On va avoir accès à certaines portes, celles qu’on veut bien laisser aux dominant-es. Jamais notre vision d’un objet d’étude ne sera complète. Ce qui importe n’est peut-être pas ce que peuvent percevoir les dominant-es, puisque ce ne sont pas elleux qui subissent les oppressions et le bas de l’échelle sociale. Et c’est parce qu’iels ne les vivent pas qu’iels ne les voient pas de façon claire. Qui plus est, Spivak dans Les subalternes peuvent-ils parler a bien montré que c’était une démarche profondément coloniale et occidentaliste que de penser uniquement les conséquences globales d’une oppression ou d’une exploitation, car ça invisibilise tout un tas de discours des marges et des subalternes qui auraient des choses bien plus pertinentes à décrire pour parler d’un sujet qui les touche dans leur chair.
Exemple à travers le concept de blanchité
Ainsi, chaque corps est différent d’un autre dans l’espace, pour de multiples raisons ; l’expérience vécue fera qu’on sera plus attentif à telle chose plutôt qu’à telle autre. C’est pour cela que des collectifs antiracistes ont commencé à parler du concept de « blanchité » (whiteness en anglais). Cela nous oblige à nous reconcentrer sur la notion sociale de "race" qui a été détournée par des mots comme ethnie. Le terme ethnicité comme substitut renvoie à une identité, un langage et une culture commune. Quand on parle de race, on ne parle pas du même phénomène : là on parle de l’expérience de l’oppression, ce qui n’est pas la même chose que l’angle ethnique . Le concept de blanchité permet de renverser le regard qu’on porte sur le racisme. Il ne s’agit pas tant d’interroger les processus d’altération, de minorisation, mais de penser la construction de l’hégémonie blanche, et la persistance des identités blanches. Le blanc est construit comme étant du côté de l’universel, de la neutralité, du non-particularisme. Ce système de renvoi fait que le minoritaire se trouve du côté du particularisme. Parler d’actions individuelles ne relevant pas d’une empreinte systémique revient à dépouiller le racisme de ses formes matérielles, qui ne se résument pas à des insultes dans la rue. C’est ce qu’explique Rokhaya Diallo en disant que « la blanchité n’est pas une couleur de peau objective mais une condition sociale issue d’un processus politico-historique ». Parler de décolonialité, et non plus de post-colonialisme fait qu’on incarne un principe de résistance plus visible, car il nous force à reconnaître que en effet, être blanc·he n’est pas une question de couleur objective mais relève d’expérience politique (comme les populations juives qui pour certaines se sont blanchisées, comme celles vivant en Palestine et en Israël), et que par conséquent, les traces du colonialisme ont laissé dans la répartition des richesses et dans le traitement social des mécanismes violents. Si on dit « je suis blanc », ça nous ramène à une substance. Alors que si on pense « blanc » comme une catégorie qualitative, c’est-à-dire qui s’imbrique dans des relations systémiques et sociales, on le prend uniquement comme un adjectif qui n’a d’autre consistance que révéler des situations que les corps des individu-es occupent : quels pouvoirs les corps projettent-ils ? La blanchité, c’est une vérité sociale qui peut changer dans le temps. C’est une propriété qui peut être construite ou déconstruite. Se penser blanc-he dans l’espace académique, c’est repenser les productions mêmes qui s’y déroulent. C’est repenser la légitimité qu’on donne à l’Université : « Le même élitisme déclare que ceux qui ne vont pas à l’université ont échoué, ou sont défavorisés. D’un côté, l’aspiration à « l’université pour tous » offre un espoir vital pour la démocratisation de la culture élitiste. Mais d’un autre côté, elle entretient l’illusion bourgeoise que les autres « voudraient » avoir accès à la culture qui est précisément constituée par le fait de n’être pas accessible à tout le monde. ». Il est donc capital de revisiter notre rapport à l’Académie, en tant que corps et sujet. Ne pas parler d’une oppression ou d’un privilège comme celui de la blanchité, ce n’est pas les détruire. C’est leur permettre de s’exprimer sans qu’on puisse mettre un mot dessus car on nous a interdit d’en parler ou de la faire exister pleinement dans le débat. C’est tout aussi vrai pour les personnes trans’ qui, pour celleux qui ont la chance de pouvoir transitionner le plus tôt possible, se retrouvent investi-e-s de toute la transphobie et le poids normatif qu’entretient l’école avec les enfants. C’est l’une des nombreuses raisons qui conduit ces enfants à être défaillant-e-s, voire abandonner.
La localité, entre le corps et l’espace de lutte
La question de la localité dans des processus pédagogiques et de recherche a déjà été pensée à travers la figure de Paulo Freire, un pédagogue anarchiste brésilien. Freire est assez peu connu en France mais est très souvent cité en Amérique à travers son ouvrage principal : Pédagogie des opprimés. Le but est de donner des outils aux pédagogues et aux élèves. La relation entre les deux catégories doit s’horizontaliser. Iels doivent s’apporter mutuellement des connaissances et non pas reproduire un système de reproduction des connaissances et de domination. Il va même encore plus loin en disant que ce sont les opprimé-es qui doivent par l’alphabétisation et la production de connaissances, liées à leur situation sociale et locale, se libérer elleux-mêmes. La pédagogie devient une arme révolutionnaire, que Freire va d’ailleurs expérimenter en travaillant avec des paysan-nes chilien-ne-s après son exil durant un coup d’État en Argentine. « Ceux qui oppriment, exploitent et exercent la violence ne peuvent trouver dans l’exercice de leur pouvoir la force de libérer les opprimés et de se libérer eux-mêmes. Seul le pouvoir qui naît de la faiblesse sera suffisamment fort pour libérer les deux ». L’opprimé-e prend également conscience de sa capacité à s’émanciper de sa condition pour devenir l’oppreusseur-e. Il y a donc une dimension antoréflexive sur la pratique pédagogique.
C’est aujourd’hui quelque chose qui s’est installée dans les cours auxquels j’ai assisté durant ma formation. On reste globalement dans une pratique de reproduction de ce qu’appelle Freire un « dépôt » de connaissance que doivent restituer bêtement les élèves. Cependant on laisse de la place pour la parole des étudiant-es, on apporte des critiques complémentaires en invoquant des anecdotes, ce qui casse l’esprit cérémoniel d’un cours universitaire.
Le cas qui m’a le plus parlé, c’était mon cours de méthodologie universitaire en première année. L’enseignant que nous avons eu était en première année de doctorat. Il a réussi à créer un espace d’échange entre nous en nous laissant une grande liberté dans le choix de notre évaluation. On savait que ça se passerait bien à chaque cours car il n’y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses, juste une certaine attente dans la réflexion. C’était percutant de voir à quel point il prenait du plaisir à casser les codes qu’on lui avait rabâchés. Qui plus est, il a fait des questions écologiques, queers, féministes et antiracistes la base fondamentale de son cours, nous laissant à chacun-e de quoi nous identifier et ne pas nous sentir en dehors d’un cadre de réflexion qui ne nous concerne pas. Car on a tendance à l’oublier : il y a tout de même une certaine attente des étudiant-es. La lecture de bell hooks m’a permis de réfléchir à ces cadres alternatifs que mes plus jeunes enseignant-es ont voulu mettre en place. hooks dit que beaucoup d’étudiant-es sont réticent-es au fait d’apprendre de nouvelles méthodes d’apprentissages, de peur de s’écarter de la norme. Elle prend son expérience d’étudiante noire en exposant une relation assez conflictuelle. Elle a connu l’école avant et après « l’intégration raciale ». « Pour les afro-américain-es, enseigner-éduquer était fondamentalement politique, parce qu’ancré dans la lutte antiraciste ». (bell hooks, Apprendre à Transgresser).
Avec l’intégration raciale, l’école perdait à ses yeux de son côté révolutionnaire. La connaissance se transformait en information et l’éducation n’était plus une pratique de liberté. Malgré la nouvelle mixité étudiante dans les écoles, le savoir universitaire qu’on y délivrait ne permettait pas de célébrer cette diversité culturelle. Avoir des enseignant-es qui se soucient à la fois du bien-être et de l’inclusion de toustes devient un nouvel enjeu. Elle insiste bien sur la question de la race que nous avons vu précédemment, mais à l’échelle de la classe : effacer le corps, c’est effacer la classe. Mais quand cette pratique d’effacement des corps est légitimée dès le secondaire, vouloir changer la pratique pédagogique traditionnelle devient compliqué. C’est quelque chose qui peut également faire peur car une dérive de la part d’un-e enseignant-es peut-être perçue comme un manque de sérieux. Il incombe donc aux enseignant-es de créer un cadre « d’excitation » suffisant pour que le savoir devienne aussi riche que divertissant, et d’encourager la classe à sortir de l’état silencieux.
Pour cela, il est plus facile de parler sociologie et philosophie sur des questions qui touchent aux vécus des élèves. Cela permet de prendre véritablement en main les outils que peuvent nous apporter les pédagogues, et inversement, que les élèves puissent apporter aux pédagogues des retours critiques sur leur savoir, voire sur le cadre du cours afin d’améliorer le système d’apprentissage. Pour cette question, Irène Pereira dans son analyse de la pensée de Freire nous donne quelques pistes de réflexion. Pour elle, il faut faire un compromis entre l’approche critique bourdieusienne et l’approche pragmatique : confronter l’analyse macrosociale pour comprendre en quoi les structures reproduisent des inégalités, tout en analysant les interactions entre les individus, dans leurs capacités critiques et leurs compétences pratiques. Elle inverse la croyance de la théorie qui précède la pratique en disant que ce sont les actions qui construisent les individus.
Grâce à cela, Pereira nous permet de repenser les outils d’analyses de l’intersectionnalité et de la décolonialité : elle annonce la limite de l’approche critique en précisant que plus l’on se concentre sur les mécanismes de reproductions des inégalités, plus l’on tend à réduire les capacités d’émancipation des acteurices. Si s’émanciper nécessite un savoir sur son aliénation, comment acquiert-on ce savoir ? Pereira montre qu’il est possible de créer une continuité entre le discours du sens commun et le discours scientifique : « Les actions d’émancipation impliquent l’émancipation individuelle et collective comme conditions réciproques. ». (Irène Pereira, Le pragmatisme critique, 2016, L’Harmattan ). On arrête avec la pratique de la sociologie explicative et l’infantilisation de la démarche compréhensive pour adopter une méthode actionnaliste.
Par rapport à mon mémoire de M2, il m’était impossible de ne pas concilier théorie et pratique, donc théorie et lutte. Déjà, déontologiquement, parce que faire autrement serait répugnant, mais surtout parce qu’on s’aperçoit qu’un paquet d’échantillonnage sur les études quantitatives que l’on retrouve en faisant un rapport des lieux de ce qui a déjà été fait sur les femmes trans est tout simplement insuffisant, voire totalement faux. Je ne vais viser personne en particulier, parce que je ne m’attaque pas aux chercheur-se-s de ma propre communauté pour des raisons assez complexes, mais il serait temps de donner un caractère plus intimiste et plus radicale. Je n’ai pas du tout envie qu’on reproduise un style académique chiant, ou qu’on réutilise du Bourdieu ou du Foucault pour parler de nous. On mérite mieux que ça.
Si votre but était de mettre un pied à terre dans le monde de la recherche, vous avez pour certain-e-s joué à merveille le jeu de la rupture entre théorie et pratique révolutionnaire, et c’est bien dommage (je ne parle pas de tout le monde attention). Pourtant, il suffit de lire Julia Serano ou Pat Califia pour comprendre dans une perspective matérialiste historique que le mouvement trans a, de façon très spontanée, désigné des expert-es autoproclamé-e-s pour faire face à celleux du champ médical opérant sur des fondations profondément sexistes et homophobes. Ou encore plus chouette, aller à des réunions de vieilles militantes qui racontent leurs parcours de vie et de lutte. L’autodétermination des luttes s’est faite naturellement, et grâce à l’auto-identification des personnes trans, comme pour d’autres communautés ou catégories sociales. Pourquoi vouloir ressembler aux personnes qui reproduisent les obstacles de notre émancipation collective ? Je peux malgré tout comprendre la tentative : vous avez fait en sorte de préparer le terrain pour les prochaines générations trans dans la recherche. Et dans les années 1990-2000, on sait à quel point il était extrêmement compliqué de rentrer dans ce monde-là. Cependant je reste sceptique, peut-être à tort (débat ouvert). Je ne cherche pas à être égoïste sur les efforts opérés par mes ainé-e-s, mais je vois bien qu’il existe un effacement archiviste. Et cela aussi, peut-être si on s’en tient à ce que nous dit l’ODT (Observatoire des transidentités), peut être dû à la relation hégémonie/contre-hégémonie à l’époque dans l’Université quand on a commencé à introduire les questions trans dans les sciences humaines et sociales : « Nous avons été dans cette situation à l’ODT où la défiance vis-à-vis d’un homme cisgenre universitaire l’a emporté sur une analyse globale, contextuelle autant qu’universelle. Le reproche de « collaboration » a maintenu ainsi un cadre d’isolement malgré un travail d’introduction à des trans studies en France (et non pas des trans studies françaises), sa diffusion et sa transmission. Au passage, l’accusation quasi permanente de collaboration, entretien et participe au rapport hiérarchique au monde cisgenre. » (Maud-Yeuse Thomas, Noomie B. Grüsig et Karine Espineira, Transféminismes, édition de 2015, l’Harmattan, p. 13)
Investir la fac, désinvestir la fac : renforcer l’impact idéologique des collectifs militants révolutionnaires pour créer une contre hégémonie
Depuis la crise du covid, l’espace universitaire de mon campus a été désinvesti par les collectifs de gauche, pour des raisons assez compréhensibles. Les collectifs anarchistes, syndicalistes, ainsi que le NPA, LO (hum) ont perdu les membres qui entretenaient une relation particulièrement intime avec le campus. C’est le cas de beaucoup de facs il me semble, et les nouvellaux étudiant-es se retrouvent sans rien pour se forger une vie étudiante digne d’intérêt. La fac est devenue uniquement un lieu où l’on enregistre des informations. Fini les discussions politiques organisées par les collectifs militants, fini les soirées et fini toute perspective critique empuissançante (pour reprendre l’expression de la géographe Rachele Borghi, rompant avec celui trop libéral d’empowerment). (Rachele Borghi, Décolonialité et privilège, Daronnes, 2021, p. 21). Personnellement je n’éprouve plus aucun plaisir à m’y rendre. C’est devenu un endroit culturellement pauvre et anxiogène.
Je pense qu’il est nécessaire de préciser pourquoi ce sont les étudiant-e-s et non pas les universitaires titularisé-es, dans les conditions actuelles qui sont les leurs, qui sont le plus à même de faire de l’espace universitaire un lieu qui puisse renouer avec théorie et pratique.
Ce sentiment de violence que crée l’hégémonie épistémologique a résonné en moi durant mes années en licence de sociologie, si bien que c’est sûrement pour cela que je n’ai pas transitionné à mes 17 ans lorsque je commençais à avoir des doutes sur mon identité de genre. Je craignais de ne pas être à ma place à l’école, et de ne plus avoir ma place nulle part. M’intégrer au centre, et ne pas aller à la marge, ou au placard pour reprendre Eve Kosofsky Sedgwick (ENCORE), c’était une nécessité à l’époque, bien qu’affligeante.
À partir de ce moment, je me suis posé la question « mais qu’est-ce que je fais à écouter des cours qui ne me parlent absolument pas, à m’enfermer dans des livres théorico-abstraits qui prennent mon temps et mon énergie, à ne pas plutôt foncer à la librairie féministe en face et ENFIN acheter tous ces livres sur la question trans’, féministes et queers » … J’avais juste peur de perdre un temps précieux parce que ces livres ne comptaient pas dans les cursus que je fréquentais, et ne comptaient nulle part ailleurs que dans les communautés.
« Communauté », c’est vraiment un mot qui m’a fait peur. J’avais une peur bleue [infondée] de m’enfermer dans un entre-soi militant, en dehors de toute réalité sociale. Et cette peur provenait de l’Université et de l’école qui nous demandaient d’avoir une culture générale, et de délaisser des formes trop fortes de spécialisation, parce que ce serait être sectaire (c’est l’hôpital qui se fout de la charité). Mais cette culture générale, elle est tout sauf « générale ». Elle a été écrite par et pour des individus qui investissent des monopoles de diffusion du savoir (pour reprendre l’analyse marxiste sur le stade monopolistique). Cette culture générale ne parle pas aux minorités sociales, aux marges, aux subalternes, aux placards. Bref. Elle n’est pas émancipatrice. Pourtant j’avais l’illusion, comme beaucoup de jeunes, que cette culture était là pour nous intégrer. Dans quel but, je ne savais pas, mais au moins ça me donnait l’impression de pouvoir voyager partout, naïvement. Heureusement que j’en suis sorti. Mais j’ai l’impression qu’une fois arrivé au master, on prend vraiment conscience de l’incompétence institutionnelle qui structure l’Université : on est formé pour rompre avec notre essence, tout ce qui construit notre identité, quelle qu’elle soit. Bref, ce qui s’éloigne de ce qu’on imagine être un-e universitaire, car la parole des minorités n’est pas le fondement de la sociologie. Elle en est même sa contradiction et la justification de sa refondation.
Pour articuler ce propos, je vais me référer au très récent ouvrage collectif, Matérialisme trans, qui réconcilie l’approche matérialiste marxiste avec l’autodétermination des subalternes dans un processus de libération. L’article Autonomie et Autodétermination de Séverine Batteux a été une source de puissance littéraire qui m’a fait beaucoup de bien. Dans cet article, elle explique que lorsque des chercheur-ses tentent d’étudier des questions qu’on considère comme minoritaires, comme la question des personnes trans, on résume souvent ce genre d’enquête de terrain à une simple généralisation des parcours de vie dans le milieu médical et professionnel. Il n’en est rien. Batteux nous explique que mêmes les groupes minoritaires et marginaux sont traversés par des rapports inégalitaires : « il est aujourd’hui bien connu que les femmes trans racisées forment la population la plus précarisée au sein de la classe des personnes trans, même si la réalité complexe de cette situation de domination est souvent résumée à quelques statistiques sur les meurtres des femmes trans racisées aux E.U. Contre une vision qui réduit les femmes trans à des victimes sacrifiées dont le nom sera prononcé le seul Jour du souvenir trans, il s’agit de travailler à la mesure effective de la situation de domination des femmes trans racisées et de soutenir les projets militants qui luttent contre leur précarisation : missions de prévention du VIH-Sida, notamment auprès des travailleuses du sexe, procédure de changement d’état civil libre et produit sur simple déclaration, mais aussi procédure d’accueil des personnes sans papiers/migrantes, organisations de visites en prison … C’est au prix du changement de perspectives, qui se constitue dans le refus du psychologisme et de l’individualisme libéral, que peut se réaliser le passage d’une auto-identification à une autodétermination des personnes trans. L’autodétermination est une lutte : celle du développement d’une conscience de classe entre la domination du genre. Encore faut-il préciser les conditions de ce développement ». (Séverine Batteux, Matérialisme trans, 2021, Hystériques et associées, p. 93)
La reprise de Batteux me semble pertinente car elle reprend l’image du silence épistémique à l’aide d’un exemple bien précis qui montre toute la négligence que peut avoir une production scientifique quand elle devient une simple spéculation absorbante d’informations qui laissent des particularités de côté. Particularités qui pourtant, si elles sont soulignées, s’avèrent être généralisable dans la construction d’alliances de classes/catégories sociales, entre personnes qui vivent par exemple du fait d’être sans papiers, d’être victime du sexisme, de la transphobie, du racisme, etc. C’est tout l’intérêt du terme subalterne que reprend Batteux dans son article en définissant la subalternité (via Spinoff ) comme l’impossibilité de se faire entendre pour les femmes trans racisées, du fait de la domination tant matérielle qu’épistémiques. Surexploitées dans la vision interne du travail, n’ayant pas accès au consumérisme, ni aux institutions de production et de diffusion des savoirs, les subalternes ne sont ni sujets dans les discours hégémoniques, ni dans les discours patriarcaux locaux. En laissant ces femmes prendre possession de leur propre récit de condition de classe, elles font émerger ce que nous sommes incapable de voir si nous sommes en dehors de leur condition de classe.
Pour donner un autre exemple afin de montrer que « métier de sociologue », ça ne veut rien dire puisqu’on ne sert pas les catégories invisibilisées : en reprenant l’analyse que fait Elsa Dorlin de la construction de la matrice de la race afin de différencier la femme blanche de la femme noire et métisse, Maud-Yeuse Thomas, dans son article Du sexe au genre, va montrer que la construction de la matrice trans, vis-à-vis de la construction scientifique de la notion « transsexualisme » relève de la même logique que celle de la race. En effet, toutes deux ont été soumises à des regards extérieurs qui ont jugé leurs différences en réaction à une transgression de la norme cis-hétéro, sans leur laisser la parole. Ces personnalités extérieures ont construit des catégories comme celle de « transsexualisme », en rapport avec le masque que daignaient bien leur montrer les personnes trans’. « Confronté à des médecins, des policiers, des psychiatres, le parcours trans a des points communs avec ce schéma raciste ; il est la dernière scène pathologique après l’homosexualité pour édifier en nature le modèle de la différence des sexes et justifier l’asymétrie hétérosexuelle. », et donc éviter de considérer le genre comme changeant ou questionnable dans son existence même. En cela, Thomas montre à quel point il est dangereux de ne pas intervenir face à des constructions scientifiques unilatérales sans le consentement des concerné-e-s. (Maud-Yeuse Thomas, Karine Espineira & Arnaud Alessandrin, Transidentité – Histoire d’une dépathologisation, 2013, l’Harmattan, p.11)
Toujours sur cet exemple des luttes trans, on peut citer Emmanuel Beaubatie qui nous explique que la définition d’un terme, dans son histoire, se fait souvent en partenariat avec les personnes qui possèdent les monopoles de production et de diffusion des savoirs, et les personnes concernées qui sont la source de ces nouveaux savoirs. Mais au lieu de créer un rapport égalitaire, lorsqu’on est, comme Scott l’a mentionné, dans un rapport inégalitaire (dominant-es/dominé-es), on choisit une position stratégique pour survivre ou gagner des droits. Il est facile de crier, mais il est très difficile de jouer un jeu pour manipuler l’autre afin de gagner des droits et un peu plus de sécurité. C’est une stratégie qui se questionne mais elle a pourtant été celle des premiers mouvements trans de masse : « le champ médical a connu d’importantes divergences au sujet de la définition et du traitement du « transsexualisme ». Au cours du XXe siècle, la sexologie et la psychiatrie notamment se sont affrontées sur ces points. Par ailleurs, cette catégorie médicale a été coconstruite avec les trans’ eux/elles-mêmes, certain-e-s s’étant investi-e-s en tant qu’expert-e-s, auprès de professionnel-le-s de santé dans le but plus ou moins stratégique d’accéder à des soins. ». (Emmanuel Beaubatie, Le genre précède le changement de sexe, 2021).
Pour moi, cet exemple historique d’une lutte subalterne que représente la lutte des droits trans’, c’est vraiment original par rapport à la pensée de Gramsci. Sous couvert d’une fausse expertise médicale, des personnes sont désignées dans l’histoire pour être les « intellectuels organiques » de la communauté trans’. Mais elles n’ont pas été choisies par la communauté, seulement imposées à travers des dispositifs académiques/institutionnels déjà opérant au travers de fondations patriarcales et hétéronormés. Cela veut dire que la communauté a accepté ce lien organique que les experts médicaux leur ont imposé, et s’en est servi afin de pouvoir gagner en droits et en puissance, stratégiquement. Finalement, je pense qu’on peut citer la meilleure réplique de la série Shameless : « Un bon procès, c’est quand les deux partis ont eu l’impression de se faire enculer. »
Favoriser l’autodétermination des individus dans la création de leurs propres discours afin de cerner de façon matérialiste les structures de pouvoir qui nous encadrent. Être subalterne est une définition large : on peut être pauvre, mais aussi être une femme, une femme trans, une femme racisée, ou les deux. Comprendre que le corps et l’identité sont déterminants dans la construction d’un discours scientifique nous permet de considérer notre place dans les rapports de production, et plus largement la place qu’on nous octroie dans la société qui est profondément inégalitaire. De quoi sommes-nous victimes ? Comment le penser et comment agir avec les outils qui sont à notre disposition ? (comme l’espace universitaire).
À partir de l’imposition du corps comme base fondamentale et inévitable pour remodeler notre « métier de sociologue », il me semble convenable de proposer une chose qui selon moi est au cœur même de pourquoi on aime aller à la fac lorsqu’on est nous-mêmes ce qu’on peut appeler des corps invisibilisés : investir politiquement et spatialement l’Université. Pour moi, les collectifs qui sortent du cadre syndicaliste ont souvent été perçus comme un regroupement de poseur-se-s. Personnellement, je trouve que ce jugement part vite en besogne lorsque l’on sait à quel point il est compliqué d’investir autant de temps à faire du cas par cas dans un syndicat. Beaucoup le font déjà dans leur vie extra-scolaire. Personnellement, je me lève tous les dimanches pour accompagnement sanitaire à la prise hormonale de meufs trans. On fait comme on peut avec l’énergie qu’il nous reste lorsqu’on arrive sur le campus.
Mais une chose très facile à faire, c’est de renforcer la politisation de la fac, par une pluralité de collectifs répondant à des intérêts de catégorie sociale (et pas de classe, ou pas seulement). C’est selon moi quelque chose qui a vraiment aidé beaucoup de personnes à correspondre avec leur radicalité politique enfouie, et qui pourrait de nouveau s’avérer utile. Cette radicalisation politique ne doit pas servir à massifier les mouvements militants universitaires qui de toute façon sont biaisés par autant de contradictions internes, mais plutôt à construire massivement une contre hégémonie culturelle à l’intérieur même des Universités. Proposons nous-mêmes nos séminaires ! Faisons de nos mémoires des cours pour nos camarades plus jeunes. Invitons des complices universitaires pour penser ensemble ce lien entre prof/élève. On peut même proposer des liaisons et une continuation logique entre collectifs, médias, etc. entre nos études, nos recherches et nos luttes. Ce sera une puissance au service d’une remise en question d’un service éducatif qu’on nous délivre à la fac, et qui s’avère, comme on l’a dit plus haut, inefficace à répondre aux enjeux sociaux réelles qui nous touchent directement.
Encore plus important : proposer un relais vers des associations d’auto-support pour des personnes queers précaires en créant des liens communautaires au sein de l’Université peut être d’une importance capital. C’est comme ça que j’ai réussi à m’épanouir très vite dans ma transition grâce à une connaissance. C’est aussi un moyen de forger une conscience révolutionnaire en pensant ensemble nos vécus et nos besoins dans un tel cadre normatif.
Il ne faut pas attendre ça de nos professeur-e-s.
Arrêtons donc de leur accorder de l’importance. Arrêtons d’aller donner notre temps et nos énergies à leurs colloques et séminaires (à moins de vouloir taper dans le buffet, là je valide). Arrêtons de penser leur cours « intéressant ». Réutilisons le terme « utile » pour qualifier les cours, en fonction de nos attentes collectives au sein de nos promotions respectives. On va peut-être dire que ça renvoie à l’utilitarisme qui est un mouvement de pensée nul. Certes. Mais ça n’a rien à voir dans le cas présent. Un cours est utile ou il ne l’est pas. Quand certain-es sont en danger de mort ou sont victimes de violence récurrente à l’extérieur du campus, on ne peut pas se contenter de cours qui font leur beurre sur des romans ou des schémas de pensée dépassés.
Votre généalogie épistémique, ça va deux secondes.