Depuis le début du mouvement lycéen, les jeudis et vendredis avant les vacances de Noël, des tentatives répétées de blocage avaient eu lieu. Il y a eu plusieurs fois des échauffourées avec la police, des gazages copieux et des interpellations (plus d’une quinzaine depuis le début du mouvement). Apparemment, malgré la motivation de certains, les élèves n’ont pas réussi à construire un mouvement très structuré, fondé sur des revendications en lien avec la situation politique. Des tracts et affichettes apposés dans le lycée pour inviter à s’associer au mouvement ont été rapidement récupérés par les personnels, et la direction a bien insisté que si un membre du personnel voyait des messages similaires de « les retirer sans en parler aux élèves, d’en alerter dès que possible le service vie scolaire et les leur apporter ». La proviseure ajoute : « De même, si vous entendez ou vous remarquez quelque chose d’anormal, informez discrètement le service vie scolaire ou la direction » (message daté du 5/12). Du coup, les initiatives de blocage paraissaient souvent minoritaires et préparées au dernier moment, sans soutien (à ma connaissance) de l’équipe enseignante sur des revendications similaires, et majoritairement discréditée parmi les personnels. La veille, un blocage partiel avec feu de poubelles avait endommagé les grilles du lycée par la puissance des flammes, mais les cours ont été maintenus. La direction s’est d’ailleurs illustrée dans ce mouvement lycéen par des décisions prises à la va-vite, contradictoires et dangereuses (maintien des cours puis évacuation du lycée au moment où des affrontements avaient lieu à 200 m, puis rappel des élèves pour les cours…).
Le vendredi 21/12, vers 7h45 (les cours commencent à 8h05) la police municipale et des employés de la mairie (?) étaient présents devant le lycée, appelés certainement à cause des événements des semaines précédentes. A 7h55, la rumeur (qui a été confirmée par les élèves eux-mêmes par la suite) court que des policiers ont escorté deux élèves jusque dans leur salle de classe, depuis la barricade en cours de mise en place et parce qu’ils avaient déjà été repérés comme bloqueurs lors des semaines précédentes. Des grilles avaient effectivement été mises en travers de la rue, mais les policiers municipaux sont rapidement intervenus et la tentative n’a pas été fructueuse. De fait, trois policiers nationaux en tenue de maintien de l’ordre (dont un au minimum muni d’un flashball), sortent du lycée quelques minutes après. Dans le hall, les lycéens ont l’air abasourdi. Ce sont certainement ces policiers qui sont allés escorter les élèves récalcitrants jusque dans les salles de classe.
Les deux élèves escortés ont ensuite été convoqués par la direction, et se sont fait passer un savon à la sauce moralisatrice (méchants casseurs et cie) par son personnel. Les élèves se demandent si c’est bien légal d’interpeller et de contraindre des élèves à aller en cours, en tenue d’intervention.
Parmi le personnel, les réactions sont mitigées, de l’indignation à l’enthousiasme de voir une méthode fonctionner pour empêcher les blocages, en passant par les « c’est choquant chez nous à Conflans », sous-entendu : les flics dans les lycées, OK, mais dans le 9-3, pas dans le 78. Plus tard dans la journée, pas de nouvelle d’une réponse concertée de la part des personnels (AG, communiqué…) mais visiblement dans ce lycée ça ne prend pas. Donc juste avant les vacances, ça risquait de retomber ou de passer inaperçu.
Toutefois, cette situation mérite d’être mise en lumière, car si c’est au seul chef d’établissement de décider si les forces de l’ordre peuvent intervenir au sein de l’établissement - notamment en cas de flagrant délit d’infraction survenant à l’intérieur ou aux abords de l’établissement – ici les forces de l’ordre n’ont pas agi pour placer en garde à vue les élèves (ce qui est dans leurs prérogatives), mais pour les emmener par la contrainte en cours. Un des seuls (semble-t-il) texte de loi qui définit explicitement les modalités d’intervention de la police dans les établissements scolaires précise : « Un traitement particulier doit toutefois être réservé aux personnes qui sont amenées à pénétrer dans l’établissement pour l’exécution de la mission de service public dont elles sont investies. Il peut s’agir, notamment, d’autorités de police agissant dans le cadre d’une enquête préliminaire. » [1].
Peut-on interpréter ce « traitement particulier » comme conférant des prérogatives aux forces de l’ordre pour décider à la place des élèves de les envoyer en cours ? Et bien que ce même texte précise que le chef d’établissement a « l’obligation légale de faciliter l’action des forces de police agissant sur commission rogatoire d’un juge d’instruction ou dans le cadre d’une enquête de flagrant délit (par exemple à la suite d’un crime ou délit venant de se commettre à l’intérieur de l’établissement ou ses abords). », on peut douter du fait que monter une barricade constitue un crime ou un délit autorisant à faciliter l’action de la police à ce point. Dans la liste de l’arsenal déployé pour empêcher les blocages lycéens, pourra-t-on bientôt ajouter l’escorte manu militari des réfractaires en salle de classe (depuis les abords du lycée, voire depuis le domicile ?) aux matraques, grenades diverses, etc. ayant entraîné des dizaines de blessés et d’interpellés ?
De façon plus générale, cette situation interpelle quant à l’évolution de la relation police-école (scène de Mantes-la-Jolie, policiers municipaux ou ASVP à Nice dans les écoles, gendarme proviseur à Stains, des stages à l’armée pour les chefs d’établissement, militaire à la DGESCO…) qui semble ne pas indigner de façon générale tous les personnels, voire en rend certains enthousiastes.
Un membre du personnel du lycée Jules Ferry