Cette enquête (pdf en téléchargement en fin d’article) part du constat que depuis une vingtaine d’années, les ordinateurs ont largement pris place dans le quotidien des soignants en psychiatrie dans un contexte de dégradation de la qualité de l’accueil des patients et des conditions de travail des soignants.
Cette augmentation exponentielle des ordinateurs, du numérique en général, est vantée tant par les mass-médias que par les politiques au pouvoir comme un signe de progrès, « progrès technologique » qui promet une « amélioration de la qualité des soins » (Agnès Buzyn, 2018). Progrès technologiques qui ont permis la mise en place de la Tarification à l’Acte (T2a) dans les hôpitaux généraux, largement remise en question par les soignants lors des récentes grèves du codage. L’épidémie mondiale de coronavirus révèle à quel point notre système de santé public a été endommagé par ces mêmes politiques néolibérales.
Peu de soignants savent qu’en fournissant des informations sur les logiciels en psychiatrie (tel que Cortexte), ils œuvrent au Recueil d’Informations Médicales en Psychiatrie (RIM-P) qui fonctionne sur le même mécanisme que la T2a. Cet outil, dont nous faisons l’historique, est le bras armé de l’idéologie qui sous-tend les mesures d’austérité, de valorisation marchande et de réduction du sujet à ses neurones et sa chimie. Il sert clairement un régime de gouvernance par les chiffres et prépare la transition vers un système de tarification standardisé en psychiatrie pour janvier 2021. Depuis son instauration en 2006, les usages du RIM-P se sont multipliés : management des équipes et contrôle de l’activité des services et des professionnels par les directions des hôpitaux, amélioration de la performance, benchmarking, négociations avec les tutelles sur les budgets, incitations de l’Assurance Maladie à développer certaines activités de soins considérées comme favorables à la santé publique.
Nous montrons comment ces données, par la généralisation de leur traitement par des hangars de données, ou data hubs, vont aussi permettre de renforcer et d’accélérer le processus de marchandisation de la santé mentale avec une multiplication des partenariats public / privés qui œuvrent notamment à la création de nouveaux produits d’e-santé mentale.
Nous pensons que les outils informatiques ont une matérialité concrète dans la vie d’un soignant. En se dégageant de leur emprise et en arrêtant d’y fournir des informations pour en bloquer les mécanismes, nous pouvons nous approcher de formes d’actions partageables et réappropriables par le plus grand nombre. Une grève des actes, ou grève des données devrait nous permettre de dépasser la logique de la tarification en psychiatrie au profit d’un système de dotation annuelle avec des enveloppes ouvertes au prix de journée. Autrement dit, il faut en finir avec le paradigme du RIM-P et de la T2a que l’on sait catastrophiques et refonder le principe d’un service public dont les équipes sont disponibles pour accueillir celles et ceux qui souffrent, sans condition.
L’informatisation et les mécanismes qui en découlent opèrent depuis de nombreuses années dans les secteurs du social et du médico-social avec qui nous devons nous allier. Ce sont des logiciels tels que Solis, Simez, Adoma, PEPS+ ou encore COSMOS qui balayent tout questionnement éthique et imposent une uniformisation des pratiques individuelles et singulières de chaque professionnel.
Au regard des luttes passées, de celles en cours et à venir, nous devons nous organiser pour arrêter de remplir les logiciels de recueil de données, informer par tous les moyens les patients qu’ils peuvent refuser la création d’un Dossier Patient Informatisé, et inviter toute personne ou groupe souhaitant soutenir celles et ceux qui luttent en psychiatrie à cibler directement les outils de la marchandisation des soins (les serveurs, les ordinateurs dans les services, les pépinières d’entreprises etc.). Face à nos adversaires technophiles et surtout fous, rendons-nous visibles dans nos formes d’existants, multiples, hétérogènes, singuliers mais loin d’être hétéroclites et radicalement incompatibles avec le monde numérisé, neuroscientiste et capitaliste puisque profondément du côté de l’incommensurabilité de l’être.
Depuis le début des mesures de confinement contre le Coronavirus, les soignants constatent que les directions des établissements de santé s’inquiètent de la tenue des actes et relayent un discours de menace de ne pas avoir de financement reconduit si les services ne remplissent plus d’actes pendant cette période. Sur le GHU Paris Psychiatrie et Neuroscience, la direction a d’ailleurs très rapidement ajouté sur Cortexte la case à cocher : télétravail ! Par ailleurs, le pouvoir se satisfait de la généralisation de ce télétravail qui devra sauver l’économie du pays : « l’après coronavirus, c’est la normalisation de nouvelles technologies de surveillance au nom de notre « santé », la télémédecine, l’école et l’université sur plateformes numériques, le télétravail généralisé, et donc des travailleurs encore plus isolés dans et face au travail » [1]. L’après coronavirus sera une lutte pour réaffirmer que rien ne peut remplacer « une présence en chair et en os » dans les métiers du soin comme partout ailleurs. [2]
Nous devons refonder une pensée radicale de l’accueil inconditionnel qui ne s’accommodera jamais avec des attentes de rentabilité et de compétition. Ne nous laissons pas déposséder par la machine technocratique capitaliste et le lot de catastrophes sanitaires et climatiques qu’elle va continuer à nous faire vivre… Construisons dès maintenant la grève des données informatiques en Psychiatrie.
La Commission Contre les Outils Gestionnaires du Printemps de la Psychiatrie.
Lire l’enquête dans son intégralité :
Pour compléter cette enquête, apporter vos témoignages et nous aider à construire la grève des outils de recueil de données en psychiatrie, contactez-nous sur : commissionoutilgestionnaire@gmail.com