L’abject « Monologue du Virus »

« Le monologue du virus », publié sur lundimatin a déjà beaucoup circulé. Ce texte nous invite à accueillir le coronavirus comme le Messie venant nous sortir de notre servitude volontaire et de notre apathie quotidienne. Mais dans ce monologue abject, il est oublié (ou dénié) que tout le monde n’a pas le luxe de se demander s’il faut concevoir le temps de la pandémie comme des vacances ou bien comme l’occasion de cultiver son jardin et l’art de se saluer.

« Le monologue du virus », écrit dans une prose post-situationniste mal digérée, et publié sur lundi.am, a déjà beaucoup circulé. Ce texte nous invite à accueillir le coronavirus comme le Messie : « Voyez donc en moi votre sauveur ». Pourtant, comme toujours ce sont les plus vulnérables, les plus fragiles, les plus pauvres d’entre nous, les plus exploités, qui sont les plus exposés et les plus menacés : des camarades enfermés dans les prisons ou dans les CRA aux SDF dont presque tout le monde se fout en passant par les retraités entassés mais isolés dans des barres d’immeubles et tous les exploités du 21e siècle, caissières, livreurs, ouvriers du bâtiment, préparateurs de commandes pour la vente en ligne (Amazon, La redoute, etc.), sans oublier bien sûr les soignants des EPHAD, des CHU, etc., qui sont volontairement sous-équipés… Et que dire des milliers de vies qui seront prises dans les camps de réfugiés de guerres, dans les villes détruites en Syrie et ailleurs, dans tous les bidonvilles du monde, et chez tous ceux qui sont forcés au travail malgré le confinement généralisé ? La réponse est toute trouvée pour les rédacteurs de ce monologue : le virus ne vient « qu’exécuter la sanction que vous avez depuis longtemps prononcée contre vous-mêmes ». Dans ce monologue abject, il est oublié (ou dénié) que tout le monde n’a pas le luxe de se demander s’il faut concevoir le temps de la pandémie comme des vacances ou bien comme l’occasion de cultiver son jardin et l’art de se saluer. Quel mépris, quelle éviction des conditions réelles de l’exploitation de masse derrière le pauvre petit ennui des propriétaires embourgeoisés de la gauche néo-rurale.
 
Non, le virus n’est pas notre Sauveur. En plein délire éco-messianique, le Monologue glorifie la sois-disante stratégie du virus : nous réveiller de notre servitude volontaire pour nous transformer en des jardiniers conscients. Mais la stratégie qui s’observe actuellement, c’est surtout celle, implacable, des États et de la bourgeoisie : nous maintenir sous contrôle, nous forcer au travail. Les conséquences immédiates de la pandémie, c’est le déploiement sans précédent des technologies de contre-insurrection, et plus largement du techno-fascisme, que l’on voyait arriver depuis un moment. Bien sûr, nous ne nions pas la dangerosité du virus, mais cela ne doit pas masquer la violence de la réponse autoritaire qui se déchaîne actuellement et ce que cela annonce. Si la Chine fait figure depuis un moment de modèle envié par les techno-capitalistes occidentaux, la pandémie est l’occasion de l’imiter à vitesse grand V sous couvert d’état d’urgence sanitaire. En Chine, des drônes viennent vous prendre la température dans la rue et il n’est plus possible de sortir sans smartphone, car il faut être géolocalisable et avoir la preuve de son état de santé sur son smartphone. L’Allemagne et les États-Unis travaillent avec des StartUp à des solutions de ce type. En France, comme à Madrid, les drônes sont de sortie pour démultiplier les capacités de contrôle de la police.

Macron et E. Philippe ont prévenu : il y aura un avant et un après le coronavirus, les menaces des sbires du capital tombent déjà. Bruno Lemaire et le président du Medef parlent de mettre en place le service économique minimum pour empêcher les travailleurs d’exercer leur droit de retrait, Edouard Philippe prévient qu’il faudra faire de gros efforts après la crise pour relancer l’économie, tout ceci en faisant passer « l’état d’urgence sanitaire », dont un volet comprend 300 milliards donnés aux entreprises, un pouvoir accru donné aux patrons qui peuvent rallonger le temps de travail de leurs salariés, forcer ou annuler des congés payés, etc. Edouard Philippe l’a bien compris, l’État d’urgence actuel est l’occasion de « modifier en profondeur nos habitudes ». L’après coronavirus, c’est la normalisation de nouvelles technologies de surveillance au nom de notre « santé », la télé-médecine, l’école et l’université sur plateformes numériques, le télétravail généralisé, et donc des travailleurs encore plus isolés dans et face au travail. Tout cela pendant que la main d’œuvre qui construit toutes les infrastructures nécessaires à ces technologies d’isolement et de contrôle restent à trimer dans le froid ou la canicule, ou pendant les pandémies ! « Modifier en profondeur nos habitudes », c’est aussi nous habituer à des check-point policiers dans les villes et les campagnes, des drônes dans la rue effectuant toutes sortes de contrôles, etc.

Après la crise sanitaire viendra la crise économique, elle sera encore plus dure que celle de 2008. Les marchés financiers, les multinationales et les États (qui vont encore se surendetter pour “sauver l’économie”) sont en train de perdre beaucoup d’argent, et une fois la première vague passée de la pandémie, ils vont vouloir nous faire payer. Ils vont nous imposer de nouvelles mesures d’austérité sous couvert d’union nationale, afin de ressusciter les marges de plus value du capital et de renflouer les caisses de l’État.

Plutôt que de se perdre dans des monologues ridicules, prenons la mesure de la situation : pour l’État et le capital, la pandémie est aussi l’opportunité d’opérer brutalement un passage à un régime beaucoup plus autoritaire. Le véritable problème ce n’est pas l’apathie que provoque la société de masse, l’apathie qui désole tant les auteurs du Monologue du Virus, le problème c’est l’exploitation de masse tenue d’une main de fer par les capitalistes, l’État et sa police. Faut-il rappeler les chiffres de la répression du mouvement GJ ?

Nous ne croyons donc pas au Monologue du Virus rédempteur, ni à l’Appel du Parti imaginaire ou encore aux Prophéties du Comité Invisible, nous ne voulons pas profiter du désastre engendré par la pandémie pour créer des écovillages ou des formes de vie suffisamment dignes aux yeux du Virus Rédempteur. Comme nous venons de le dire, pour le moment nous assistons à un renforcement du pouvoir, qui ne s’effondrera pas de lui-même — et qui s’accommode très bien de la désertion rurale de ceux qui en ont les moyens, ou de quelque énigmatique geste pseudo poétique de l’infime.

À la différence des slogans moralistes et religieux du Monologue et de leurs injonctions culpabilisatrices stériles du type « demandez-vous plutôt comment vous avez pu trouver si confortable de vous laisser gouverner », nous revendiquons l’histoire des luttes prolétariennes et des campagnes rebelles. Ce mépris pour l’histoire des luttes est intolérable, les exploités ne le sont jamais de leur plein gré, la servitude volontaire n’existe pas, l’histoire des résistances populaires est là pour le prouver.

Personne ne peut dire ce qui va se passer dans les prochains mois, mais il faudra être attentif et ne pas rester sous l’emprise de la peur et de l’état d’urgence permanent dans lequel les gouvernants vont essayer de nous maintenir pour faire passer leurs mesures de sauvegarde, puis de relance de l’économie. Avec cette “crise” s’il fallait le démontrer encore, c’est nous, les exploités condamnés au travail et à la misère, que les capitalistes sacrifieront encore et toujours sur l’autel du pouvoir et du profit. La pandémie touche le monde entier. Les mesures autoritaires de sauvegarde puis de relance de l’économie toucheront aussi le monde entier puisque nos économies sont interconnectées à un point jamais atteint. Il ne faudra pas se laisser abattre mais se révolter contre ces mesures dont l’injustice criante se verra comme le nez au milieu de la figure. C’est peut-être là un espoir de révolution sociale internationale. Nous avons besoin de comprendre ce dans quoi nous sommes pris afin de dégager nos marges de manœuvre dans les temps à venir.

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