Calais, l’assaut du tunnel

Dans la nuit du 2 au 3 octobre, un nouvel assaut collectif et auto-organisé de la frontière a eu lieu à Calais. Plusieurs centaines de migrant-es ont ouvert une brèche de 30 mètres dans les barbelés qui entourent la zone d’accès au tunnel sous la Manche pour tenter de pénétrer à l’intérieur et ainsi espérer atteindre l’Angleterre.

Mise à jour (05/10) : toutes les personnes arrêtées par la police vendredi sont maintenant libres !

Ces actions collectives sont menées régulièrement contre cette frontière mortifère où 16 personnes ont été tuées, écrasées percutées, noyées ou électrocutées depuis début juin 2015. Les dernières mesures de « sécurisation » de l’accès au port et à l’eurotunnel, décidées conjointement par la France et la Grande Bretagne, comme le renforcement des barrières barbelées (surmontées de lames de rasoir), les gadgets électroniques de surveillance, l’embauche de vigiles et l’envoi à Calais de nombreux flics, ne viendront jamais à bout de la détermination de celles et ceux qui veulent passer les frontières et n’ont pas les bons papiers, comme le montre cette nuit du 2 octobre.

De nombreuses personnes passent cette frontière chaque semaine et donne du courage à leurs camarades qui attendent leur heure à Calais. Ce 2 octobre, certain-es ont réussi à parcourir 16 kilomètres dans le tunnel sur les 50 totaux avant d’être arrêté-es par les flics.
Il y a deux mois, le 4 août, une personne a prouvé que la forteresse de l’euro-tunnel n’est pas si bien gardée et à réussi à traverser l’entièreté du tunnel à pied, déjouant tout les systèmes de sécurité existant. Arrêté à la sortie, il est incarcéré et inculpé « d’obstruction au chemin de fer ». Il passera en procès le 7 novembre, l’occasion de lui exprimer notre solidarité.

À Calais, il n’y a pas qu’autour du port que la répression contre les migrant-es sévi. Depuis l’expulsion des derniers lieux de vie des migrant-es du centre ville le 21 septembre dernier, l’apartheid est bel et bien roi sur la ville : tout le monde est prié de rester enfermé dans le bidonville d’État, appelé new jungle par les migrant-es qui y vivent, loin du centre-ville. Les patrouilles de flics à l’intérieur de la new jungle annoncées récemment par le ministre de l’intérieur auront pour but d’y veiller. Le pouvoir n’a sans doute pas apprécié les dernières manifestations de plusieurs centaines de migrant-es vers le centre-ville, les blocages d’autoroute de cet été et les quasi-quotidiens départ nocturnes pour prendre d’assaut le tunnel et les camions qui partent chargés de marchandises vers l’Angleterre.

Les violences de plus en plus nombreuses et organisées de la part de groupes fascistes participent également à cet enfermement dans le bidonville et à la politique d’apartheid mise en place par la mairie et l’État. Plusieurs migrant-es racontent avoir été enlevés, tabassés et laissés à l’abandon par des groupes circulant en voiture dans les alentours de Calais.

Avec la mise en place des patrouilles de flics ont peut également craindre une augmentation des rafles de sans papiers aux abords du bidonville. Actuellement, la France et l’Europe mettent sur pied une politique d’expulsion massive de celles et ceux qu’elles considèrent comme indésirables dans leur logique de tri entre « bon réfugié et mauvais migrant  ». Récemment, plusieurs personnes arrêtées à Calais ont été expulsées vers l’Afghanistan et le Soudan. Des solidarités ont été difficiles à mettre en place au-delà de l’aspect juridique puisque après leurs arrestations elles ont été éparpillés dans les centres de rétention à travers tout le territoire.

Mais à Calais, et ce depuis des années, les migrant-es sont debout et déterminé-es.

Voici le récit de cette nuit du 2 octobre par Calais Migrant Solidarity :

La prise d’assaut du tunnel la nuit dernière

Hier soir (2 octobre 2015), après minuit plus de 200 personnes sans papiers ont franchi les barrières de barbelés aux lames de rasoir vicieuses et ont envahi le tunnel sous la Manche, en essayant de se rendre à l’Angleterre. Selon les autorités, certains ont parcouru 16 km (10 miles) en avant d’être arrêtés. Peut-être aussi que certains, à l’insu des autorités, ont réussi à traverser.

Le tunnel a été fermé toute la nuit, ce qui a eu comme conséquence la déviation du trafic du fret vers le port, provoquant un énorme embouteillage, ce qui a permis a d’autres de monter à l’intérieur des camions. À environ 8h30 ce matin (3 octobre), il y a eu un autre embouteillage car des personnes sans papiers ont érigé des barricades à travers la quatre voies au-dessus de la jungle, arrêtant les camions pour monter à l’intérieur. Étrangement, seulement deux camionnettes de gendarmes étaient présentes, conduisant frénétiquement dans les deux sens, gazant les gens et essayant de les écraser, mais impuissant à les arrêter.

Malheureusement, ces actions audacieuses ont eu un lourd prix. Plus de 100 personnes ont été arrêtées dans le tunnel la nuit dernière et 7 ont été blessées par les flics, certaines très sérieusement. Ce soir (3 octobre), plus de 20 personnes étaient toujours détenues. Nous ne savons pas encore si elles seront libérées, envoyées dans des centres de rétention en vue d’être expulsées, ou inculpés pour des infractions pénales. Dans chacun de ces deux derniers cas, nous devrons leur apporter notre solidarité active.

Voilà ce qui se passe dans le monde réel. Pendant ce temps, dans un monde imaginaire, les syndicats de police ont une fois de plus fait des déclarations, reprises avec empressement par la presse des deux côtés de la Manche, accusant les « anarchistes » d’avoir « coordonné » l’offensive sur le tunnel. Nous pouvons dire la chose suivante à ce sujet :

Les actions collectives de la nuit dernière et ce matin, comme d’autres offensives au cours des dernières semaines, ont été auto-organisés par des personnes sans papiers. Les gens de l’Afrique et l’Asie n’ont pas besoins des anarchistes européens pour les inciter ou les organiser. Ce sont des gens qui ont mené des révolutions, vécu des guerres, entrepris un voyage périlleux, et tout cela signifie faire preuve non seulement de courage, d’initiative et de résistance individuel, mais aussi de solidarité collective et d’auto-organisation. La ligne « anarchiste britannique » des flics et des journalistes est insultant et profondément raciste. Nous les « No Borders », les anarchistes et les autres, sommes fiers d’exprimer notre solidarité avec nos amis sans papiers. Mais ces actions sont les leurs, ils n’ont pas besoin de nous pour les mener ou pour leur montrer comment se battre.

Voir également notre déclaration antérieure sur des allégations semblables il y a quelques semaines.

Traduit depuis Calais Migrant Solidarity

À lire également...